Passion Parfums

Si elles ne plaisent pas forcément au plus grand nombre, les notes « animales » sont utilisée en parfumerie. On parle ici de cuir, de oud (même si je ne le traite pas dans cet article), de musc tonkin, de civette, de castoreum et j’en passe et des meilleures. En raison de lois concernant (et c’est heureux) la protection animale, ces matières premières sont recréées depuis des décennies soit de manière naturelle et végétale soit de synthétique et il faut admettre que le résultat est toujours « criant de vérité ». Mais pourquoi acheter un parfum qui « sent le fauve » ? Me demanderez-vous. J’avoue que je n’en sais rien. Je pense que les notes animales peuvent renforcer une composition florale et la complexifier mais alors quand elles sont utilisées de manière importante, il faut en assumer les effluves. Sexys pour certains ou dérangeantes pour d’autres, ces créations ont pourtant leur public. J’avoue que ce n’est pas trop mon truc mais, pour écrire cet article, j’en ai sélectionné cinq dans différentes familles olfactives mais qui, toutes, m’évoquent un peu l’animal sauvage.

Précisons d’abord ce qu’on appelle le musc tonkin et qui est décrit de la manière suivante : « Parfum fétiche de l'impératrice Joséphine mais également fragrance de légende pour la maison Parfum d’Empire, le musc tonkin est un ingrédient qui n'a pas pour ambition de passer inaperçu. Celui-ci est immédiatement identifiable et est adulé par de nombreux consommateurs de fragrance initiés. A l'origine, le musc tonkin était une matière première animale provenant de la sécrétion d'une glande du chevrotin porte-musc. Cette espèce vit notamment en Asie, en Sibérie ou dans l'Himalaya. Ainsi, la chasse de ce mammifère fut pratiquée de manière intensive dans les années 1900, et plus particulièrement entre 1960 et 1970. Il faut dire qu'il s'agissait d'un sport très lucratif étant donné que celui-ci se vendait alors de 300 à 400 000 fr. le kilo ! (…) Fort heureusement, grâce aux nombreuses avancées techniques dans le secteur de la parfumerie, il est désormais possible de reconstituer l'odeur du musc tonkin de façon artificielle. Celle-ci est extrêmement forte, à la fois boisée et animale. En l'occurrence, c'est au groupe Firmenich que nous devons la recette complexe du musc tonkin synthétique. D'ailleurs, ces derniers ne cessent d'en créer de nouveaux qui redoublent toujours plus de tenue, d'unicité et de sensualité. De multiples ingrédients sont alors utilisés par les maisons de création en vue de se rapprocher au plus près possible de cette odeur inimitable. L’ambrette, par exemple, est une fleur qui donne une odeur musquée. De même, d'autres matières premières telles que le castoréum, la teinture de truffe,  l’indol, l’acétate de paracrésyl,… servent à recréer cette substance à la sensualité quasiment inimitable. » (Source - Olfastory).

On le retrouve dans nombre de parfums que je connais comme « Musc » de Mona di Orio, ou il est travaillé de manière très cosmétique ou alors à la manière orientale, dans « Musc Ravageur » des Éditions Frédéric Malle mais le parfum qui m’évoque le plus cette note est, sans conteste, « Musc Tonkin », créé tout d’abord en eau de parfum en 2012 par Marc-Antoine Corticchiato pour sa marque Parfum d’Empire et qui est désormais édité en extrait depuis 2019. La marque le décrit de la manière suivante : « Le parfum de l’empire des sens. Une aura puissante, addictive… érotique. Effluves de chair en émoi tour à tour cuirés, solaires, félins. C’est sur un mode contemporain et inédit que cet élixir réinvente une note adulée depuis des millénaires, la plus suave de la parfumerie : le mythique musc Tonkin. Plus qu’un parfum, une empreinte… ». J’ai découvert cette création il y a quelques années et j’ai eu l’occasion de l’essayer plusieurs fois. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est animal et puissant. Je pense que la reconstitution de la matière première par des voies synthétiques et naturelles donnent sa profondeur et son sillage. Sur moi, il est absolument dérangeant au départ et même au coeur mais le fond, un peu fleuri, n’est pas laid. Ceci dit, il est un peu trop excentrique pour moi même si j’aime les parfums originaux. J’ai deux ami(e)s qui le portent. Sur l’une, je ne le supporte que difficilement mais je trouve qu’il va très bien au second qui a, à la fois la personnalité et le grain de peau pour le porter. « Musc Tonkin » est une curiosité. Je ne sais pas comment on peut arriver à le porter en extrait mais il faut essayer car je sais qu’il a ses adeptes.

 

 

Certaines fleurs ont des facettes animales. C’est évidemment le cas de la tubéreuse lorsqu’elle est travaillée avec des notes cuir ou tabac voire d’autres fleurs profondes comme le jasmin ou encore l’immortelle. Je trouve que, dans certains parfums, comme « Fracas » de Robert Piguet par exemple, elle a un côté franchement charnel mais c’est « Tubéreuse 3 Animale » de Histoires de Parfum qui me vient à l’idée lorsque je pense à cette note. La capiteuse fleur blanche est travaillée de manière faussement moderne et est présente à tous les étages de la pyramide olfactive et tout au long de l’évolution du parfum. À l’ouverture, elle est associée avec des notes de kumquat et de fleur d’oranger, au coeur elle se renforce grâce à une prune confite et suave. Le fond de tabac, de bois de santal, et d’immortelle la rend encore plus puissante. Lorsque j’ai senti ce parfum il y a quelques années, il m’a tout d’abord plu énormément. Moi qui n’avais jamais vraiment porté de tubéreuse, j’ai cru pouvoir me l’approprier mais tel n’a pas été le cas. Si je l’aimais énormément sur mon poignet, je le trouvais passablement insupportable autour de moi. Il me faisait tout de même trop sortir de ma zone de confort. Encore un beau parfum qui n’est pas pour moi ! Me suis-je dit immédiatement. En revanche, je pense que sur un homme plus audacieux ou sur une femme sophistiqué, il doit être plus que parfait. Le côté animal de la tubéreuse est vraiment très bien exploité dans cette création. Je trouve dommage que la marque ne communique pas sur le créateur car il a inventé un jus très intéressant.

 

 

Certains cuirés ont aussi un côté très animal et c’est le cas, je trouve dans plusieurs créations d’Aliénor Massenet pour la collection Leather de Memo. Il y a un côté comme ça dans « African Leather » que je porte depuis assez longtemps et qui évoque la savane à sa créatrice mais je trouve que ce n’est pas le meilleur exemple. Pour moi, celui qui est le plus proche de l’idée que je me fais de ces notes est « French Leather » créé en 2014 et qui est un travail autour de la reconstitution de l’odeur du daim après une envolée de bergamote, un coeur de rose et de sauge sclarée. Le fond est vraiment très animal pour moi avec cette note un peu difficile pour moi associée au genévrier, au vétiver, à différentes résines et muscs. Je trouve que, dans ce cas précis, la rose a vraiment un côté très « peau » voire même un peu brute. Personnellement, il n’est pas le « leather » de la collection qui m’attire car je le trouve vraiment trop animal pour le coup. Ceci dit, je reconnais qu’il est intéressant et absolument incroyable sur la peau d’un utilisateur à qui il va bien. Aliénor Massenet a, une fois de plus, transgressé les règles pour inventer un jus très puissant et inédit. Pour être tout à fait honnête, dans le même esprit, je serais plus attiré par « Arcana Rosa », créé par Daphné Bugey pour l’Artisan Parfumeur.

 

 

 

Dans le genre animal, il n’est pas possible de faire l’impasse sur deux créations d’État Libre d’Orange. Tout d’abord « Vierges et Toreros », un travail autour des épices et de la tubéreuse créé par Antoine Lie et Antoine Maisondieu en 2007. Pour moi, il est absolument insupportable et a vraiment une odeur d’étable (il n’y a pas d’autre mot) et d’arènes et porte très bien son nom. On aime ou on déteste, personnellement, je le trouve insupportable au départ tout comme tout au long de son évolution qui prend, il faut le dire, pas mal de temps avant d’arriver au fond de ciste. Le second, très connu pour son côté subversif est évidemment « Sécrétions Magnifiques » créé en 2006 par Antoine Lie et qui est supposé reprendre l’odeur des quatre « s » : sang, sperme, sueur et salive. J’avoue que je trouve l’ouverture écoeurante au possible et les algues qui renforcent le côté à la fois doucereux du lait et de la noix de coco et animal de l’opoponax sont un peu agressives pour moi. L’évolution de « Sécrétions Magnifique » est très longue et l’on dit qu’il faudrait le vaporiser sur les vêtements la veille pour pouvoir l’apprécier. J’avoue que je ne l’aime vraiment pas mais je salue son originalité. Je préfère les jus plus sages finalement chez État Libre d’Orange même si leur nom seul est subversif. Je pense par exemple à « Tom of Finland », également créé par Antoine Lie qui symbolise la peau d’un homme après la douche mais qui est, pour moi, surtout un très joli cuiré irisé.

 

 

Vous l’aurez compris, le côté « odeur de fauve » n’est pas forcément ma tasse de thé. Peut-être, finalement, suis-je un peu conventionnel mais, non seulement je n’assumerai pas de tels parfums mais, en plus, j’ai un peu de mal à les sentir et, si je fais une exception pour « African Leather » de Memo c’est parce qu’il allie notes animales à d’autres plus épicées et plus fraîches qui me le rendent tout à fait agréable à porter. Je comprends que le mâle alpha ait envie de « renforcer » son odeur par de telles fragrances mais alors je les lui laisse. Quant aux femmes, je ne crois pas qu’elles puissent trouver agréables de telles créations (exception faite évidemment de « Musc Ravageur » qui est adouci par des notes orientales et vanillées et qui, s’il est difficile à porter, reste vraiment à la fois brut et élégant) que ce soit pour les porter ou les sentir sur leur compagnon mais bon, peut-être suis-je dans l’erreur. J’ai voulu quand même faire cette revue car de tels parfums existent, qu’ils ont leur public, qu’ils s’adressent aux plus audacieux des perfumistas et que je suis respectueux de leur revendication d’identité.