Passion Parfums

 

Parmi les parfumeurs dont j’aime le travail, il y a Annick Menardo. Prolixe, très inventive, elle a signé nombre de parfums qui sont, parfois à mon goût, parfois de grands succès, parfois les deux. Je dois dire que je n’ai eu aucun mal à en sélectionner quelques uns pour illustrer mon propos et il était beaucoup moins simple de me limiter tant son oeuvre, parce que c’est bien de cela qu’il faut parler, est très étendue que ce soit pour des marques du sélectif, des collections privées ou des maisons plus exclusives. Le dénominateur commun entre les réalisations que je connais est une sensibilité olfactive qui lui permet de sortir des sentiers battus très facilement ou d’utiliser un ou un autre ingrédient singulier. Allons donc nous promener parmi les créations de cette parfumeuse prolifique et inventive qui ravit nos narines et explore des univers variés avec bonheur.

J’avais évoqué « Memory Motel » qu’Annick Menardo a créé pour la marque Une Nuit Nomade et que j’ai essayé avec plaisir durant ces jours d’enfermement mais elle a aussi collaboré avec eux pour « Rose America » qui est une variation, comme son nom l’indique, singulière et fort originale autour de la reine des fleurs si aimée en parfumerie. Le départ oscille entre notes marines et framboise et nous entraîne sur d’hors et déjà dans un univers olfactif très étonnant, sur une plage du bout du monde et est en opposition avec un coeur de rose de Bulgarie et d’oeillet un peu piquant. Le fond poudré d’héliotrope est arrondi par l’ambrette et le parfum, évolue vers quelque chose d’à la fois rond et cosmétique. « Rose America » fait partie de la très belle collection lancée par la marque et qui nous invite au voyage. Je le vois très bien porté par une élégante des années folles dans les Hamptons et qui aurait l’air de sortir tout droit d’un roman de Francis Scott Fiztgerald. Lorsque j’ai découvert ce parfum il y a quelques temps, lors d’un séjour à Dijon, je me suis dit que la rose offrait décidément de nombreuses possibilités.

 

 

Je crois que j’en ai déjà parlé mais j’y reviens toujours. En 2000, Annick Menardo a signé la toute première version de « Lolita Lempicka au Masculin » que j’ai vraiment beaucoup porté et beaucoup aimé. Complexe, tenace, je trouve qu’il a été l’une des très grandes réussites du sélectif. Le départ de violette, d’absinthe et de lierre est épicé par l’anis et soutenu par le bois de réglisse qui va être bien présent tout au long de la pyramide olfactive et se détacher comme la note dominante. Le coeur de fève tonka, d’amande et de bois de santal est encore arrondi par une note de rhum et le fond de ciste, de vanille, de cèdre et de vétiver est du plus bel effet. On m’avait offert mon premier flacon de ce parfum dès sa sortie et il était aux antipodes de ce que je portais à l’époque et pourtant je l’ai beaucoup aimé. Sans le porter régulièrement, je l’ai racheté plusieurs fois et je trouvais qu’il avait quelque chose d’ultra moderne et de très singulier, comme inédit mais ce fut souvent le cas des créations d’Annick Menardo. Je regrette que sa réédition l’an dernier ne soit pas à la hauteur de l’original.

 

 

 

Même s’il n’entre pas forcément dans mes goûts, « Bois d’Argent », créé par Annick Menardo en 2004 pour la collection privée de Christian Dior est un énorme succès et je ne me voyais pas écrire cet article sans me pencher dessus. L’envolée d’iris à l’ouverture est associée à des notes de cyprès et de baies de genièvre. Le coeur de myrrhe et de patchouli nous conduit vers un fond rond, miellé et cuiré à la fois avec des accents d’ambre, de muscs blancs, de bois précieux, de vanille et de diverses résines naturelles et synthétiques. Je ne sais pas vraiment dans quelle famille olfactive le classer et, si je le trouve très joli, je suis surpris que ce soit celui qui ait, dans cette collection, tellement emballé le public car il est quand même assez singulier. Personnellement, il n’est pas « ma tasse de thé » mais je reconnais bien volontiers qu’il est intéressant et très certainement, l’un des plus originaux de cette collection avec laquelle je n’accroche pas tellement.

 

 

C’est en 2006 qu’Annick Menardo crée pour Le Labo, « Patchouli 24 » qui est, à mon sens, à mi chemin entre un chypre très classique et un cuir de Russie encore plus traditionnel ce qui le rend finalement totalement atypique. L’écriture de la formule est assez épurée mais passe outre tous les codes de la parfumerie car le patchouli, très boisé est présent dès le départ de la fragrance. Le coeur de bouleau et de mousse de chêne est très cuiré et cette impression est renforcée par le styrax. Le fond vanillé a quelque chose d’oriental. Il en résulte une composition très facettée, très intéressante et originale que j’ai beaucoup aimé découvrir lors d’un passage au stand du Printemps Haussmann et je suis heureux, aujourd’hui, de remettre mon nez dans l’échantillon que l’on m’a gentiment offert. Si je l’avais senti superficiellement, je serais peut-être passé à côté des différents versants de ce parfum à la fois épuré et déroutant.

 

J’ai déjà évoqué « Peau d’Ailleurs » créé par Annick Menardo pour Starck Parfums en 2016 mais vraiment il m’est impossible de revenir sur la carrière de cette parfumeuse de talent sans revenir sur ce que je considère comme l’un de ses chef d’oeuvres. Terreux, musqué et boisé, ce parfum porte remarquablement son nom et ne ressemble absolument à rien d’autre. Enveloppant comme une étole de soie ample que l’on pourrait porter lors d’une balade dans un sous-bois en automne, ce jus n’est que paradoxe, que dualité entre profondeur et fraicheur. À la fois profondément boisé et très poudré, il a aussi un côté « peau après la douche ». Considéré comme mixte, je le trouve très différent sur la peau d’un homme et sur celle d’une femme. Personnellement, il n’est pas le parfum de la marque que je préfère mais je sais en apprécier l’originalité et la qualité. Annick Menardo a créé là un inédit olfactif qu’il faut absolument découvrir.

Il y a, dans le travail d’Annick Menardo, quelque chose de profondément singulier et dont elle ne se départit jamais même quand elle travaille pour des marques grand public même si je trouve que c’est avec des maisons plus exclusive qu’elle peut laisser libre court plus facilement à sa créativité. Elle fait partie des nez de talent qui comptent dans la parfumerie et qui, je le pense, n’ont pas fini de nous surprendre. Je suis toujours impressionné par la singularité des parfums qu’elle a créé et je ne suis nullement surpris de l’immense succès remporté par plusieurs d’entre-eux.