Passion Parfums

Depuis peu, je mets mon nez dans des parfums résineux qui m’auraient rebuté il y a encore un an ou deux. C’est une variante des boisés que je trouve peut-être plus chaleureuse et plus jubilatoire. J’avais déjà un peu survolé le sujet à plusieurs reprises mais j’ai envie de revenir sur des tops de cette senteur particulièrement étonnante qui, finalement, sur moi, est agréable et, surtout, qui m’entraîne aux antipodes de ma zone de confort. Pour moi, porter un parfum résineux est vraiment un challenge et je pense qu’un jour je trouverai celui qui me fera envie. Serge Lutens, État Libre d’Orange, Pierre Guillaume… de nombreuses maisons de parfumerie ont leur(s) résineux et j’en suis tout au début d’une exploration que je veux approfondie. Que voulez-vous, s’intéresser à la parfumerie c’est un peu comme Sisyphe qui pousserait éternellement son rocher, on fait sans cesse des découvertes et on n’en fait jamais le tour. En tout cas, j’ai sélectionné quatre parfums résineux qui m’ont particulièrement impressionné.

Le premier est bien évidemment « Filles en Aiguilles » que je connais depuis très longtemps et qui est sorti en 2009 chez Serge Lutens. Composé par Christopher Sheldrake, il a ses adeptes qui ont du être bien désappointé(e)s lorsqu’il a été arrêté et ressorti dans la très onéreuse collection Gratte-ciel. Comme toujours la maison ne communique pas sur les notes, il m’a fallu un peu déduire ce que je sentais. Il me semble qu’il pourrait y avoir de l’encens, des épices, du pin ou du sapin (baumier peut-être) et sans doute des fruits confits comme la datte ou le raisin noir peut-être. En tout cas, c’est vrai que, s’il est extrêmement linéaire, il donne le ton tout de suite. Serge Lutens en parle ainsi : « Solaire, irradiant, sa sève résineuse nous mène au pied d'une pinède peuplée de cigales. Là, dans ce paysage aride résonne sans fin les stridulations de ces insectes aux élytres d'or : cri-cri-cri-cri-cri-cricri-cric-cri... Le dernier cri de Paris des filles en aiguilles de pin ». Rien que son nom a un double sens. On pense bien évidemment à des aiguilles de pins mais aussi à l’élégance des talons aiguilles. Pour moi, c’est un parfum que je ne qualifierai pas de chic mais plutôt de réconfortant et original à la fois. Je ne l’avais pas senti depuis des lustres et en remettant mon nez dedans, je me suis rendu compte que, alors qu’il m’avait rebuté à sa sortie, il me plaisait davantage aujourd’hui. Il est assez agréable, enveloppant et unique. À l’occasion, j’aimerais l’essayer un peu plus précisément pour voir comment je vis avec.

Il y a plusieurs résineux chez État Libre d’Orange et je pense que c’est une volonté d’Étienne de Swardt, fondateur et directeur artistique de la maison. J’ai hésité mais finalement, c’est « Hermann à Mes Côtés me Paraissait une Ombre » que j’ai choisi pour vous parler de ces senteurs car il est très différent du précédent. Il a été composé en 2015 par Quentin Bisch qui a utilisé des matières premières très inédites et notamment synthétiques telle une molécule appelée geosmine qui donne une odeur de terre fraîchement labourée associée à une mousse de pepperwood qui est, comme son nom l’indique, un peu poivrée. Ce que je sens, lorsque je remets mon nez dans ce parfum, c’est surtout l’ambroxan et une combinaison de rose, de patchouli et de muscs blancs. Je ne sais pas si je tombe juste mais sur ma peau, c’est ce que me suggère son évolution. La marque parle aussi de poivre noir, de galbanum et de cassis en tête et effectivement, en le pulvérisant à nouveau, je le discerne aussi. Évidemment, le coeur est soutenu par l’encens mais, en revanche, je ne sens pas vraiment le fond de vétiver ou alors en toute fin de l’évolution. Pour moi, ce très beau parfum qui porte le nom d’un vers de poème de Victor Hugo, évoque une balade en forêt très tôt le matin et, de ce fait, pour le citadin que je suis, il est un peu difficile à apprivoiser. Ceci dit, je l’ai senti souvent sur un ami à qui il allait divinement. Il avait très bien su dompter son côté dense, résineux et poivré. Je suis séduit lorsque je le sens mais je ne me verrais pas du tout le porter.

J’évoquais déjà, il y a quelques temps, lorsque je l’ai découvert, « Indochine » de Pierre Guillaume qui porte le numéro 25 et a été lancé en 2015. Le parfumeur en parle ainsi : « ”1920 : une croisière sépia au fil du Mékong souverain, alternant les aurores évanescentes emmitouflées de brume et les jours glorieux ruisselants de soleil. Calmer l’allure, apprivoiser la moiteur et fermer les yeux. Au delà des deux rives, nos rêves d’Indochine…” A la fois doux, vanillé, résineux, poudré, lacté et épicé le Benjoin de Siam est une résine d’une grande richesse olfactive rarement utilisée comme thème central en Parfumerie. Usant et abusant de notes rares telles que le Poivre de Kampot, le Tanakha de Birmanie ou le Miel du Laos, Pierre Guillaume nous livre une orchestration lumineuse, soyeuse et aérée, ciselant avec justesse, chacune des facettes de la matière balsamique brute.D’un baume aux reflets sépia, Indochine s’empare de l’éclat du Platine… ». Je ne vais pas revenir sur la pyramide olfactive mais je dois dire que, depuis, je l’ai réessayé et il m’a vraiment convaincu. Il est légèrement gourmand et un peu miellé ce qui contrebalance son côté dense et résineux. C’est un parfum enveloppant, très épicé et très original. J’aime bien la dualité entre le côté baumé du benjoin et le poivre que je sens pas mal. Je l’ai porté sur une journée et je me suis fait vraiment plaisir. C’est un très beau parfum, singulier étonnant et profond. Je ne sais pas si je suis prêt à me l’approprier mais c’est un merveilleux coup de coeur à sentir.

Le quatrième parfum qui me vient naturellement à l’esprit est le très singulier et précieux « Wazamba » créé par Marc-Antoine Corticchiato en 2009 pour sa marque Parfum d’Empire et dont il parle ainsi : « Un boisé résineux où vibrent les mystères du sacré. De toute éternité, les hommes ont envoyé des messages parfumés aux dieux… Wazamba concentre, dans ses notes empreintes de spiritualité, les résines et les bois précieux brûlés dans les rituels de différentes cultures : l’encens de Somalie aux profondes vibrations, la myrrhe du Kenya, l’opoponax d’Ethiopie, le santal d’Inde et le cyprès du Maroc… Wazamba invite à un parcours initiatique hors du temps… pour se réconcilier avec soi-même ». Je dois dire qu’il ne me séduit pas tant que ça même si je reconnais qu’il est particulièrement bien imaginé. Construit autour de l’encens mais travaillé de manière très facetté. On retrouve un départ de cyprès et d’aldéhydes, un coeur de myrrhe, de ciste et de prune ce qui est une association qui, sur le papier, pourrait paraître périlleuse. Le fond de résines diverses et d’opoponax est particulièrement puissant. Pour écrire cet article, j’ai réessayé « Wazamba » et j’y ai pris un certain plaisir mais je reconnais que j’aurais du mal à me l’approprier. Il est vraiment très dense, un peu liquoreux et je pense que c’est la présence très encens qui me dérange au bout du compte. Ceci dit, je comprends qu’il plaise aux amateurs du genre car il est remarquablement construit, en outre, son sillage et sa tenue sont absolument impeccables. Pour les amateurs du travail de Marc-Antoine Corticchiato dont je fais partie, il est un peu déroutant. Je n’ai pas réussi encore à me l’approprier.

 

 

Voilà pour cette revue. Si vous avez des idées de parfums résineux que je pourrais découvrir n’hésitez pas à me faire des suggestions. Je m’y pencherai avec plaisir. Ma curiosité est extrême et je serai très content de faire des trouvailles et, pourquoi pas, me faire mentir lorsque je dis que je ne pourrais porter de parfum résineux. Je serai le premier content de changer d’avis… Enfin je crois.