Francis Fabron ou la quintessence des parfums de couturiers
Il a créé des classiques, des merveilles de la parfumerie française et pourtant le nom de Francis Fabron est assez peu connu. J’ai eu envie d’aller me promener sur ses traces. Plusieurs des jus emblématiques, notamment pour Nina Ricci, Givenchy ou Balenciaga sont venus jusqu’à mes narines et si certains n’existent plus aujourd’hui, j’en ai un souvenir suffisamment précis pour vous en parler et me remémorer les émotions et les impressions qu’il m’ont procuré. Francis Fabron aimait les odeurs, il savait les maîtriser pour créer le beau. Son sens de l’esthétique se rapproche, je trouve, de celui de Joséphine Catapano dont nous avons déjà parlé. C’est donc en faisant appel à une mémoire un peu lointaine mais que je crois assez fidèle que j’ai eu envie de vous parler de ses créations.
Ah « Le Dix » de Balenciaga ! Je l’ai senti durant toute mon enfance car l’une de mes grand-tantes que j’aimais beaucoup le portait et il faisait tellement partie d’elle que je peux me remémorer des fou-rires de mon adolescence rien qu’en pensant à ses effluves. C’est le tout premier parfum créé par Francis Fabron en 1947 et je crois qu’il a été réédité récemment après une période durant laquelle il a été introuvable. Le départ est très bergamote et un peu aldéhydé mais sans excès. Le coeur de lilas et d’iris associé à l’ylang ylang, le jasmin est la rose est tout ce que j’aime quant au fond de santal et de muscs relevés par le vétiver et arrondi par l’ambre et la vanille, il est tout simplement parfait. Pour moi, « Le Dix » est la quintessence de l’élégance de l’après-guerre. Je comprends qu’il a été pour nombre de femmes, le parfum de leur vie. J’en ai un souvenir d’une précision diabolique. Je le reconnaitrai, sous sa forme originale, entre mille jus et vraiment il représente, pour moi, une période heureuse qui tend, hélas, à s’éloigner… mais c’est la vie.
C’est en 1948 que Francis Fabron a imaginé l’un des jus les plus célèbres de la parfumerie française pour Nina Ricci. Avec son flacon tout à fait reconnaissable et son côté floral et musqué, « L’Air du Temps » est indémodable, incontournable et reconnaissable entre mille. Depuis sa sortie, il ravit des générations de femmes et de jeunes filles et je comprends pourquoi. Classique, doté d’une formule longue, complexe et très innovante pour l’époque, il « sent le propre » et donne une impression de bien être, je suppose, à celle qui le porte. Je l’ai toujours senti, je le connais vraiment très bien. Son ouverture de bergamote, de rose avec des accents aldéhydés est absolument inimitable. Le coeur de violette, d’ylang ylang, d’orchidée, de jasmin et de gardénia ne peut que me plaire. L’iris et la violette apportent le côté poudré, le clou de girofle une note épicée et la rose une facette florale absolument agréable. Le fond, poudré par l’iris, boisé par le santal et le cèdre est submergé par des muscs blancs et de la mousse de chêne. C’est une petite merveille. « L’Air du Temps » est mythique. Il a même remporté un grand succès outre-Atlantique et a été porté par nombre de stars hollywoodiennes telles Faye Dunaway ou encore Jane Fonda et même, le temps du film de Jonathan Demme « le Silence des Agneaux » par le personnage de Jodie Foster. Pour moi, c’est une institution. Il faut absolument l’avoir senti au moins une fois. Il existe plein de déclinaisons de ce parfum et Francis Fabron en a signé plusieurs mais je préfère l’original.
C’est complètement par hasard que j’ai découvert, il y a quelques années, « Baghari » de Robert Piguet que Francis Fabron a créé en 1950. Il fait partie de ces floraux aldéhydés qui ont presque un côté chypré typiques de cette époque d’après-guerre. C’est une merveille il faut le dire. On le croit classique et il ne l’est pas. On l’imagine floral alors qu’il est presque oriental par moment. Il ne ressemble à rien d’autre. L’envolée de bergamote, fleur d’oranger et aldéhydes est absolument fraîche et étonnante. Le coeur de rose, de lilas, de jasmin, d’ylang ylang, de muguet et de vétiver lui donne toute son élégance et le fond baumé, musqué, lui assure une tenue absolument incroyable. L’ambre et la vanille complètent cette formule très singulière. « Baghari » est un parfum pour amateurs. Il ne plaira pas à tout le monde tant il est singulier mais il m’a plu tout de suite. Il était question que la marque le retire du catalogue mais j’espère que tel n’est pas le cas car je le trouve absolument magnifique. Pour moi, il est peut-être le chef d’oeuvre de Francis Fabron. Je l’imagine porté par une élégante des années cinquante à la beauté un peu Grace Kelly ou encore par un dandy élégant et un peu décalé. J’aime énormément « Baghari » mais je reconnais que je ne pourrais pas l’assumer. Il est un peu trop aldéhydé pour moi.
En 1957, Hubert de Givenchy a chargé Francis Fabron de créer la toute première version de « L’Interdit » comme je l’évoquais dans mon article sur la marque et, deux ans plus tard, leur collaboration donnera « Monsieur », un parfum que j’ai également beaucoup senti durant mes jeunes années. La marque le décrit de la façon suivante : « Monsieur a été conçu comme une nouvelle vision de la masculinité: Monsieur de Givenchy est la quintessence de la séduction masculine à la française et de l'élégance impeccable depuis 1959. L'expression du goût pour le Beau et la Qualité. Monsieur est le premier parfum masculin de Givenchy distribué largement. » C’est un aromatique avec un départ d’oeillet et de poivre, un coeur de lavande et de verveine et un fond de muscs blancs, de mousse de chêne et de bois de santal. Il peut avoir, maintenant, un petit côté désuet et un peu suranné mais je trouve qu’il s’en dégage une certaine élégance. Ce n’est résolument pas un parfum pour moi mais je sais reconnaitre que c’est une belle création.
Francis Fabron a également participé à l’élaboration de nombreux parfums qu’il n’a pas forcément signé mais j’ai voulu retenir les plus célèbres et ceux qu’il a inventé tout seul. Plusieurs d’entre-eux existent toujours et ils sont typiquement de beaux classiques de la parfumerie française. S’ils sont parfois datés, force m’est de constater qu’ils sont tout de même toujours vendus et qu’ils conservent leur public. En ce qui concerne « L’Air du Temps », il traverse les années et les générations avec bonheur. C’est ça le succès !
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 226 autres membres