Passion Parfums

« Nos parfums sont inspirés par la musique qui nous est chère et créés en collaboration avec certains des parfumeurs les plus talentueux » tel est le credo de Berceuse, une marque toute récente puisqu’elle a été fondée en 2020. La marque est américaine, je crois qu’elle est née à San Francisco et je remercie Fabien de la boutique Yuuminoki pour cette découverte. Je dois dire que je suis bluffé par cet univers très dense, très clivant et qui, pour moi, revient à la quintessence de l’esprit de la parfumerie de niche. Je vais essayer de développer mes impressions sur les deux premiers parfums proposés par la marque de mon mieux sans trop me laisser emporter. Je dois dire que je suis assez enthousiaste. Will Carius, le fondateur, décrit ainsi l’inspiration : « Je suis tombé amoureux du parfum en 2013. Un ami m'a fait découvrir la culture vibrante et animée des parfums de San Francisco et j'ai été immédiatement accro. Il y avait une telle variété, un tel art, une telle invention ! Je suis devenu fasciné par l'histoire et l'art du parfum, et rêvais d'ouvrir un jour ma propre maison. Six ans plus tard, je l'ai fait ». Je suis content de participer, à mon petit niveau à faire connaitre cette marque dont les deux premiers parfums m’ont énormément plu.

Avec une envolée de thym, de romarin et de menthe, le parfum se fait à la fois oriental avec une vanille douce et présente, aromatique, la lavande est bien présente également et floral puisque l’ylang-ylang arrondi la fagrance. Le fond est très qualitatif également avec des notes de vétiver, de benjoin très baumé et de bois de cèdre de l’Himalaya, « Allegretto 7.2 », créé par Antonio Gardoni en 2020, sort vraiment des sentiers battus. Pour la petite histoire, c’est à ce parfumeur que nous devons « Tyrannoraurus-Rex » de Zoologist dont je vous ai déjà parlé et la maison Bogue Studio que j’espère découvrir prochainement. Will Carius décrit ainsi cette création : «  Comment la mélancolie devient-elle belle ? Écoutez le deuxième mouvement sombre et émouvant de la 7e symphonie de Beethoven et imaginez son odeur. Sombre, ample, poignant : c'est Allegretto 7.2. Une étude de thème et de variations, Allegretto 7.2 est construit autour du vétiver haïtien qui s'éclaircit et s'assombrit au fur et à mesure qu'il se développe, superposant des parfums terreux, de la fumée et de la lavande. Les notes d'Allegretto 7.2 s'éloignent et se répètent en rythme. Une note de tête de menthe fraîche flotte dans l'air comme la baguette d'un chef d'orchestre, laissant bientôt place à des tourbillons de fumée, de racines et de feuilles vertes humides. Des arômes de terre fraîchement retournée et de végétation sauvage rejoignent la lavande et les herbes au cœur. Puis, alors qu'il tombe de son crescendo, Allegretto s'installe sur une base chaleureuse de bois de cèdre, de vanille et de benjoin. Avec son pouls dynamique et séduisant, Allegretto est le vétiver transcendant ». Boisé, aromatique lorsque restent les notes de fond, c’est un parfum que je pourrais qualifier de « nerveux », atypique et complètement clivant. Personnellement, alors qu’il est très loin de mes goûts, je dois bien dire que je me suis laissé séduire. Je souhaite profondément qu’il réussisse à venir jusqu’en France et à rencontrer son public car, il est très original et, en même temps, pas forcément difficile à porter. Je n’ai pas vraiment une musique qui me trotte dans la tête lorsque je le sens sur ma peau mais je peux comprendre ce qu’a voulu dire Will Carius car il porte remarquablement bien son nom.

La nouveauté, « Minneapolis 5.3 » a été créé par Spyros Drosopoulos qui est aussi le créateur de la maison Baruti. Je dois dire que c’est un vrai choc olfactif. Vraiment, je suis sous le charme de ce parfum qui, après un départ très épicé de citrus, d’aldéhydes, de cannelle et de clou de girofle nous conduit sur un coeur floral et poudré de racine d’iris, d’ylang-ylang, de rose, de muguet et de fleur d’oranger avant de se terminer sur un accord de suede enveloppé de notes poudrées, de mousse de chêne, de musc, d’ambre et de patchouli. C’est un chypre sans bergamote mais j’avais reconnu la construction. Vraiment, je ne peux qu’adhérer. Il est un peu étrange à l’envolée mais, très vite, sur ma peau, il se fond et se fait fascinant. Will Carius en décrit l’inspiration : « Parmi les nombreux grands musiciens et poètes issus de l'âge d'or du rock, aucun n'est peut-être plus singulièrement maître de lui que Tom Waits, dont le génie lyrique et le style mercuriellement guttural l'ont rendu extrêmement influent parmi ses pairs et les nombreuses générations qui ont suivi. . Son morceau Christmas Card from a Hooker in Minneapolis raconte l'histoire sombre et douce-amère d'une femme battue par la vie, les circonstances et la dépendance, prise dans la réminiscence et le fantasme de ce qui aurait pu être. Nous n'apprenons jamais son destin ultime et n'avons à la place qu'une petite fenêtre sur sa vie et le fait qu'elle est emprisonnée pour le crime d'avoir vendu son corps pour gagner de l'argent pour vivre et pour nourrir sa terrible habitude. Minneapolis 5.3 est le parfum de la fantaisie déchirante, le parfum de quelqu'un qui, quoi qu'il arrive, ose toujours espérer et rêver d'un avenir meilleur. Les aldéhydes pétillants et nostalgiques et la cannelle et le clou de girofle pétillants se marient parfaitement avec la fleur d'oranger classique et élégante et le muguet, d'une beauté envoûtante dans leur splendeur luxuriante. Orris, ylang ylang et rose dérivent à travers la composition, faisant écho au refrain bluesy du piano qui rend l'enregistrement de Waits si inoubliable. Sous cette opulence florale persistent des notes de daim doux, chuchotant tout au long de la mélodie, ainsi que l'onctuosité facile et charmante du bois de santal, entrecoupée de coups de vanille et de mousse de chêne. Dernier point, mais non le moindre, le caractère humide et mélancolique d'un patchouli rare et unique, jamais plus qu'une fantaisie vacillante, mais néanmoins présente. Ode somptueuse aux grandes œuvres de parfumerie de l'âge d'or, Minneapolis 5.3 est la distillation même d'une nostalgie poignante. Une symphonie douce-amère ». J’ai adoré vraiment l’évolution complètement inattendue sur ma peau et c’est pourtant vrai qu’il y a quelque chose de pop-rock dans ce parfum. Vraiment, c’est un coup de coeur. Il figurera en très bonne place dans mon top des sorties de 2022.

Résolument contemporaine, un peu balbutiante encore mais extrêmement prometteuse, enfin à mon sens, Berceuse est une nouvelle marque à suivre. Mélomane je suis, mélomane je reste et le rapprochement de l’ouïe et de l’odorat ne pouvait que me parler mais je ne savais pas que j’allais tellement aimer les deux créations voulues par Will Carius. Vraiment, je ressens le même choc que lorsque j’ai découvert Beaufort il y a quelques années. Ce sont des parfums à ne pas mettre sous tous les nez mais force m’est de constaté que, pour moi, pour l’instant, Berceuse fait carton plein.