Cécile Zarokian ou l'opulence et l'audace
Parmi les noms qui reviennent dans les articles que j’ai pu lire sur les créations de ces dernières années, il y a celui de Cécile Zarokian. J’avoue ne pas connaitre la plupart des marques pour lesquelles elle a travaillé mais il y a des parfums que j’ai sentis ou essayés et qu’elle a composé. Opulence, élégance et sillage sont les maîtres mots de ce que je connais de son travail. C’est l’une de mes abonnées qui m’a suggéré cette revue donc je me suis dit que j’allais revenir sur cinq parfums de cette créatrice à la signature moderne, souvent baroque et extrêmement reconnaissable. Je dois dire que, si je retrouve, dans les jus qu’elle a inventé , la trace d’une longue tradition de parfumerie française, elle a su s’en écarter pour faire preuve d’une étonnante modernité.
J’avais, dans mes doses d’essai « Couleur Fauve » que Cécile Zarokian a créé en 2017 pour Evody dans la collection Gallerie et à côté duquel j’étais un peu passé. « Un mouvement insoumis, indomptable, haut en couleurs et brisant les codes. Le fauvisme est un hymne à la vie, à la joie et surtout au plaisir. Le tableau « Bonheur de vivre » d’Henri Matisse a porté le parfum couleur fauve. Des femmes dénudées, lascives et ouvertes au plaisir de l’amour, joueur de flûte et danseurs emportés dans une ronde bachique. Les couleurs y sont pures, distinctes, comme les notes qui composent couleur fauve : l’or, l’orange, le rouge, des tonalités qui rendent palpables la vibration du vivant et l’état de béatitude. L’ambre, le ciste labdanum en font un parfum de plaisir charnel, sensuel et animal » tels sont les mots de la marque pour décrire ce flamboyant ambré. Au moment où j’écris, je l’essaye autour de mon cou et je dois dire que je me sens transporté dans l’univers des peintres du Montmartre ou de Montparnasse des années 20. Il y a quelque chose de chaud, de profond et d’un peu dingue dans l’effluve qui arrive jusqu’à mon nez. Le départ de bergamote est poivré et le coeur d’ambre, de ciste de labdanum et de patchouli prend vite toute sa place avant de se poser sur un fond d’infusion d’ambre gris de vanille et de benjoin pour donner un parfum facetté, impressionniste, très envoûtant même si je n’aime pas le mot. Je dois dire que je suis complètement sous le charme alors que je ne suis pas très souvent attiré par les ambrés vanillés. Entre oriental classique et ambré moderne, « Couleur Fauve » porte bien son nom car il évoque des couleurs flamboyantes.
C’est Victoria de la parfumerie parisienne Sens Unique qui m’a fait découvrir, en m’offrant une dose d’essai, « Stairway to Heaven » il y a un peu plus d’un an. J’avoue avoir eu un peu de mal à l’aborder tant son départ est aldéhydé mais je me suis entêté. Créé par Cécile Zarokian pour la marque français Jul et Mad Paris, cet extrait de parfum présente une vraie dualité entre classicisme et originalité. Rassurant d’un côté, étonnant de l’autre, il faut vraiment le découvrir sur la peau. Le départ est, sur ma peau, vraiment aldéhydé et cette note prend le pas sur celles de bergamote et d’orange présentes à l’envolée, le coeur est très amandé et poudré avec des notes d’héliotrope vraiment présentes et le fond est très muscs blancs et patchouli avec la facette « cocon » du cashmeran. Vous l’aurez compris, sur le papier, « Stairway to Heaven » est le genre de parfum sur lequel je serai passé un peu vite mais, vu que la concentration extrait lui confère une superbe profondeur, je m’y suis arrêté. Je l’ai eu sur moi durant toute une journée et j’ai pris plaisir à le sentir évoluer même s’il présente par moment une facette fruits rouges un peu gourmande. Il est parfaitement raffiné et élégant. Je ne sais pas s’il serait un parfum pour moi mais, au plus haut de son évolution, lorsque les notes de coeur sont vraiment à leur paroxysme, il est quand même très beau et intéressant. Je le réessayerai sans doute à l’occasion.
C’est toujours chez Sens Unique à Paris mais plus récemment que j’ai découvert « Les Indes Galantes », composé par Cécile Zarokian pour la maison MDCI en 2015. Je l’ai trouvé certes un peu gourmand mais je trouve que les notes sucrées amandées sont contrebalancées tout en délicatesse par les épices et le fond de benjoin, de ciste et de cuir. L’envolée d’orange et d’amande s’acidule de framboise et de bergamote mais le coeur de cannelle, clou de girofle et coriandre, construit autour du géranium, est très agréable. Le fond très vanillé et cuiré n’est pas forcément pour moi et, lorsque je l’ai essayé, j’ai remarqué que, le lendemain, sur mon pull, le reste de parfums embaumait la pièce. Pour moi, « Les Indes Galantes » est tout de même trop féminin et trop opulent mais je sais en apprécier la profondeur et l’originalité. J’aime beaucoup la facette très épicée des notes de coeur. Je dois dire que je suis moins fan du côté gourmand qui perdure plusieurs heures après la vaporisation mais cela n’engage que moi. C’est tout de même un très beau parfum, magnifiquement construit et qui est, malgré tout, un invitation au voyage dans l’espace et dans le temps. Je ne le porterais pas mais je ne saurai que dire combien je le trouve réussi. Je sais que plusieurs d’entre-vous l’ont essayé et c’est pourquoi je l’ai choisi car j’en ai un souvenir très précis même si je ne l’ai pas senti depuis quelques mois.
Cécile Zarokian a réalisé six parfums à ce jour pour Jacques Fath entre 2015 et 2018. Elle a, entre-autres, réinterprété le mythique « Green Water » mais le parfum que j’ai le plus senti et essayé est sans aucun doute « Curaçao Bay » lancé en 2015 et qui est typiquement un parfum de vacances d’été. La marque le décrit ainsi : « Une escapade sur le bleu profond de l’océan. La caresse du vent sur le visage, des notes marines qui flottent dans l’air, impression de liberté et sentiment d’extase. Curaçao Bay est un voyage vers les horizons lointains. A l’infusion d’Ambre Gris, rare, s’ajoutent des notes iodées qui font de ce parfum une composition authentique, océanique et chaude. Ces sensations se retrouvent toutes dans cette fragrance unique ». Après une envolée d’agrumes et de petit grain, le parfum se fait « beachy » avec un coeur de fleur de frangipanier, de cassis et de calone qui reproduit parfaitement l’odeur de la mer et des embruns. Le fond est une infusion d’ambre gris et des muscs blancs qui lui donnent une certaine rondeur et fraîcheur à la fois. Ce parfum exotique est une vraie invitation au voyage et m’entraîne sur des plages rêvées polynésiennes ou hawaïennes où des fleurs capiteuses côtoient le sel de la mer. La note de cassis peut sembler incongrue dans cette composition mais je trouve qu’elle apporte beaucoup de « croquant » et contribue à l’envie de la porter. J’ai essayé plusieurs fois « Curaçao Bay » et, s’il n’est pas le parfum de la collection Jack Fath qui me convient le mieux, je le trouve vraiment très réussi.
Difficile d’évoquer le parcours de Cécile Zarokian sans évoquer « Café Cabanel » qu’elle a composé pour Teo Cabanel en 2019 et vers lequel vont tous vos suffrages. Autant le dire, il est complètement hors de mes goûts et j’appréhendais un peu de l’essayer car mon premier contact, à sa sortie, avait été assez désastreux et, de plus, il est assez éloigné de mes codes olfactifs. La maison le décrit ainsi : « Café Cabanel s’ouvre sur une note veloutée de café adoucie par le citron, la mandarine et une pointe de cannelle. Il évolue ensuite vers un coeur gourmand composé d’une note beurrée, lactée et amandée délicatement associée à un accord floral de rose Bulgare et d’héliotrope. Son sillage révèle ensuite la volupté de la vanille et de la fève tonka mêlée au santal et aux muscs blancs. Un accord addictif, relevé d’une touche de patchouli. » et s’il est résolument en rupture avec les créations de Jean-François Latty pour la marque, force m’est de constater qu’il est complètement dans l’air du temps avec son départ de cannelle et de café, son coeur lacté et amandé par l’héliotrope et son fond de fêve tonka, de bois de santal et de fève tonka un peu vanillée. Je voulais aussi faire une mention spéciale pour son packaging qui est absolument magnifique. Je l’ai porté pour écrire cet article et, décidément, il n’est pas pour moi. Trop gourmand, une note de café trop omniprésente. Je ne pourrais pas le porter en revanche je comprends pourquoi vous l’aimez. Il est enveloppant et réconfortant, comme une protection au froid de l’hiver.
Opulent, parfois clivant (mais c’est ça aussi la parfumerie d’auteurs), l’univers olfactif, du moins à ce que j’en connais, de Cécile Zarokian est riche, varié et baroque. Un peu de folie en parfumerie ça fait du bien ! Je dois dire que « Curaçao Bay » est le parfum de cette sélection que je préfère. Il est plus adapté à mes goûts et m’invite à voyager au soleil ce qui, surtout en ce moment, représente un certain réconfort. Je ne suis pas toujours touché par la complexité des parfums de la créatrice mais mon avis n’est que mon avis et n’a aucune valeur de critique. Je ne donne que mon ressenti. En revanche, j’aime énormément l’inventivité déployée pour inventer une parfumerie à la fois belle, hors norme et portable. Les oeuvres de Cécile Zarokian sont vraiment à découvrir et nul doute qu’elles font des adeptes très passionnés.
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