Chyprés modernes ou néo-chyprés
* Article enrichi
Les parfums chyprés ont beaucoup évolué depuis René Coty. Outre les constructions que l’on pourrait qualifier de « classique » et qui tendent un peu à se faire de plus en plus rares dans les collections et notamment dans les nouveautés, la conception de cette famille olfactive par les parfumeurs. Depuis une vingtaine d’années, peut-être un peu plus, sont apparus des parfums à la pyramide olfactive quelque peu bousculée. On parle alors de chyprés modernes voire de néo-chyprés. Je dois dire que je trouve ce terme un peu plus évocateur et peut-être que cela sera celui que je retiendrai. Étant donné qu’il s’agit-là d’une des familles olfactives que je préfère, j’ai donc pris du plaisir à explorer cette manière, peut-être plus contemporaine, d’envisager le chypre. Pour illustrer mon propos, j’ai choisi de parler de quatre parfums « néo-chyprés » que je connais bien, que j’aime et peut-être même que je porte. J’espère qu’il y aura quelques cohérence dans mon article. En tout cas, j’essaye, je me lance.
Le premier parfum qui me vient à l’esprit est sans doute l’un de ceux que je porte le plus en hiver et je vais y revenir même si j’en ai souvent parlé. Il s’agit de « The Afternoon of a Faun » créé par Ralph Schweiger en 2012 pour État Libre d’Orange. « Un mélange des genres esthétique et éternel. Dans ce parfum se trouve la relation entre la fantaisie et la réalité séduisante. Une fleur immortelle forte qui trouble la barrière entre rêves et réalité ». Construit comme un hommage aux grands chypres à la française, ce parfum atypique, profondément étrange et pourtant si agréable à porter, est sans doute la création que je préfère dans la marque imaginée par Étienne de Swardt. Je le porte depuis longtemps et je l’aime vraiment toujours autant car il allie une modernité absolue avec une fausse construction classique. Il déroute, surprend, me rend addict et, lorsque je le sens autour de moi, j’ai envie qu’il reste le plus longtemps possible. Heureusement, il est doté d’une excellente tenue et donc je ne ressens aucune frustration. On retrouve la bergamote, typique de l’accord chypré et elle est associée, en tête à des notes de cannelle et d’encens ce qui constitue déjà un départ original et atypique qui nous conduit sur un très beau coeur classique de rose, d’iris et de jasmin qui se renforce avec un fond de myrrhe et de benjoin assez résineux. Les notes de patchouli et de mousse d’arbre deviennent alors anecdotiques et le parfum se fait un peu oxydé et surtout plus rond qu’un chypre classique. Pour moi, ce parfum est un parfait équilibre entre une colonne vertébrale qui me séduit et une construction qui me déroute. Pour moi, il ne ressemble à rien d’autre et je suis content de l’avoir découvert il y a déjà des années et d’avoir franchi le cap de le porter.
« Je suis un parfum à l’écriture vive et actuelle. J’évoque l’odeur de la pluie d’Irlande, fraîche et douce, l’odeur veloutée du vent et la Bruyère délicatement sucrée de ce pays de feu sous la lande humide qui a captivé mon parfumeur. Je suis un chypre moderne, recomposé grâce à un Patchouli en deux temps. L’un sublime mon coeur floral où la Rose Damascena est reine, l’autre s’associe à la Poudre de Cacao en fond et révèle ses notes sombres et chaudes. En note de tête, les effluves fruités et hespéridés soutiennent l’impertinent sillage des fragiles Feuilles de Violette. Je suis à l’image de la Reine de Saba, mystérieuse, qui continue d’intriguer siècle après siècle. Je suis Sublime car envoûtante, je suis Balkiss car insaisissable et émouvante. Je suis Sublime Balkiss ». Depuis que je m’intéresse à la parfumerie de niche, j’ai toujours cherché des créations qui pourraient me surprendre, m’éloigner de mes goûts habituels et dans la famille des chyprés, il est plus facile de trouver cela en découvrant des créations modernes et qui prennent leur distance avec les constructions classiques. C’est le cas de « Sublime Balkiss » créé par Céline Ellena Nezen en 2008 pour la collection Just Chic de The Different Company. Mon attachement à cette composition ne s’est jamais démenti même si elle me déroute à chaque fois que je la porte. C’est un néo-chypré très moderne avec un départ dans lequel la bergamote est associée à des notes poudrées de feuille de violette, de mûre et de myrtille pour un côté fruité qui nous entraîne sur un coeur de cassis très « croquant » mais arrondi par des notes de muguet, de lilas et de rose. En fond, le patchouli n’est pas associé à la mousse de chêne mais à des traces de cacao et de bruyère. Ce parfum que j’aime depuis longtemps, j’ai hésité à le porter car il est tellement contemporain, même s’il a déjà une quinzaine d’années, que je ne peux pas vraiment me raccrocher à quelque chose que je connais. En tout cas, je ne regrette pas car il est vraiment sublime… sans jeu de mot !
« Eau Suave » créé par Marc-Antoine Corticchiato pour sa marque, Parfum d’Empire, est sans doute l’un des chyprés modernes que j’ai le plus porté. « Un chypre rosé et fruité pour raconter une collection de roses. Ce chypré moderne révèle les facettes méconnues de la rose, fleur emblématique de la parfumerie. Riche et opulent, Eau Suave développe les notes étonnantes de roses épicées, roses fruitées, roses thé, arrondies par le musc et le patchouli. Eau Suave, cocktail de roses au charme piquant… ». Là encore, le parfumeur a imaginé une autre manière de s’écarter de la construction originelle du parfum chypré en supprimant la bergamote des notes de tête pour la remplacer par des épices, la coriandre et le safran qui s’enrichissent d’un coeur floral et fruité de rose, de fruits rouge et de pêche rehaussé de poivre noir. Le fond est, finalement, très classique puisqu’il reprend l’association de mousse de chêne et de patchouli est enrichie de muscs et de vanille. Pour moi, « Eau Suave » est un peu l’exemple type que l’on peut reproduire l’effet chypre en bousculant un peu mais pas trop la pyramide olfactive. Pour moi, la rose est presque juteuse, jamais poudrée et sa dualité avec la pêche dans cette très belle construction est idéale. C’est un parfum doté d’un sillage et de tenue vraiment parfaits car il n’est jamais trop envahissant tout en restant très présent. Je l’ai porté beaucoup mais il est vrai que je l’ai fait connaitre à une amie proche or il est devenu sa signature olfactive et il lui va comme un gant. J’ai donc un peu arrêté de le porter mais je suis certain que l’envie me reprendra un jour. Ce n’est pas le parfum le plus connu de la marque mais je vous engage vraiment à le découvrir. Il s’agit d’une très belle réussite.
Pour le quatrième parfum, j’ai beaucoup hésité. J’aurais pu revenir sur « La Couleur de La Nuit » d’Isabelle Doyen et Camille Goutal pour Voyages Imaginaires, « Chypre Isli » de Jean-Claude Gigodot pour Maison Incens ou encore « L’Air de Rien » de Lyn Harris pour Miller Harris mais j’en parle tout le temps alors j’ai opté pour un autre parfum qui m’avait été offert très gentiment et que j’aime beaucoup. Il s’agit de « Une Île Pluvieuse » créé par Euan McCall pour Senyokô en 2020 et qui, de part sa construction et sa concentration en eau de parfum, est vraiment qualitatif et innovant. « Inspirée de la nouvelle Le Tumulte des Flots (Shiosai) écrite par Yukio Mishima dans les années 50, Une Île Pluvieuse capture le mystère d’un rendez-vous galant au bout d’une sente détrempée, voilée de brume, parfumée par les embruns et parée de flore sylvestre, sur une lointaine île du Japon ». Au départ, le parfumeur a remplacé la note traditionnelle de bergamote par une association de pamplemousse et de feuille de violette plus amère. Le coeur de pivoine, de lilas et de mimosa est poudré mais pas trop. Le parfum se pose sur l’accord traditionnel mousse de chêne et patchouli mais il prend une dimension boisée avec le cèdre et le calamus complété par des notes d’ambre gris presque aquatiques voire marins. Je trouve que c’est l’équilibre parfait entre une modernité vraiment assumée et une construction plus classique. En tout cas, le résultat est merveilleux, je dois bien l’admettre.
Alors chyprés modernes ou néo-chyprés, quelque soit l’appellation, cette subdivision de famille olfactive me convient très bien. J’aime ce genre de création et je crois qu’elles font partie intégrante de mes goûts. Bien sûr, celui que je porte le plus est « L’Air de Rien » depuis que je l’ai retrouvé, mais il y en a plein qui me plaisent et je me rends compte que j’en porte finalement pas mal.
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