Cinq parfums "révolutionnaires" du XXème siècle
Je trouve qu’il y a eu, au cours du XXème siècle qui a vu la parfumerie aller au contact d’un public de plus en plus large, quelques créations qui ont été autant de petites révolutions et dont le lancement ont été un grand risque à la fois olfactif et artistique tant ils étaient en ruptures avec ce qui avait été fait avant. J’ai eu l’idée d’en étudier cinq dont je n’ai encore jamais parlé et qui, pour moi, ont été des parti-pris tout à fait originaux et terriblement audacieux. Attention, ce n’est pas du tout exhaustif mais ces parfums-ci m’ont énormément marqué et surpris et je les trouve toujours en avance sur leur temps.
Lancé en 1921 par le parfumeur Molinard, « Habanita » allait complètement à contre-courant des parfums des années suivant la première guerre mondiale. Selon la légende et la communication de la marque, sa formule a été créée pour atténuer l'odeur caractéristique du tabac: vendue sous forme d'extrait, on en imprégnait la cigarette avant de la fumer, comme il était d'usage pour les femmes. Ce n'est qu'en 1924 qu’il fut proposé à la vente en parfumerie sous la forme de flacon ouvragé. À l'époque, sa publicité assurait qu'il était “le parfum le plus tenace du monde”. La Maison Molinard a longtemps gardé le secret sur sa pyramide olfactive si ce n’est qu’elle communiquait sur le fait que la formule contenait 680 essences. Il est, avec « Shalimar » de Guerlain, l’un des premiers parfums orientaux lancés sur le marché. Aujourd’hui, il apparait comme un classique mais, à cette époque cet ambré fleuri aux accents de lilas, d’héliotrope, d’iris et de jasmin reposant sur accord cuir de Russie renforcé par des notes d’ambre et de vanille était une véritable tempête. Parfum emblématique des « garçonnes » des années folles, son succès, dès le milieu des années vingt sera une véritable bénédiction pour Molinard et propulsera le parfumeur sur le devant de la scène. « Habanita » a été, sans nul doute, reformulé au cours des années mais sa « colonne vertébrale » est tellement particulière qu’on l’identifie toujours ce parfum facilement aujourd’hui. Je reconnais qu’il est devenu un classique de fragrances orientales vanillées et qu’il peut même avoir un petit côté un peu désuet mais quel choc lorsqu’il est sorti au milieu des cuirés et des floraux ! Mythique, « Habanita » était sans doute l’un des parfums les plus étonnants de son époque.
Considéré par le père de la parfumerie moderne, Edmond Roudnitska a, durant des décennies, inventé des fragrances extrêmement novatrices à destinations de maisons de coutures telles Christian Dior ou encore de cosmétiques comme Elisabeth Arden. Je trouve qu’il a vraiment su créer une parfumerie différente, à l’écriture plus épurée, bien souvent audacieuse car il a utilisé des matières premières tant synthétiques que naturelles auxquelles les autres parfumeurs n’avaient jamais pensé. La modernité de ses créations a bien souvent été presque déroutante pour ceux qui lui avaient commandé un travail. J’aurais pu choisir n’importe lequel de ses parfums mais j’ai choisi « Femme » de Rochas car j’ai été très impressionné par son histoire et par son inventivité. Lancé en 1944, Femme était l’un des premiers chyprés réellement fruités avec des notes de tête de prune (matière très souvent utilisée par le parfumeur), de pêche, d’abricot, de citron et de bergamote qui emmènent notre nez vers un fond d’iris, de clou de girofle, d’ylang yang et de jasmin et se pose délicatement sur un fond de patchouli et de mousse de chêne très classique. Je me souviens m’être dit que, lors de la conférence de son fils Michel, lorsqu’il l’a présenté, qu’il était vraiment très étonnant et que j’aurais aimé le sentir. Bien sûr, Jacques Guerlain avait déjà créé « Mitsouko » que j’aime beaucoup en 1919, mais c’était comme si « Femme » allait encore plus loin avec son écriture linéaire et son overdose de fruits qui devaient être forcément présents à tous les étages de la pyramide olfactive. J’ai du me contenter de la reformulation faite en 2013 par Olivier Cresp mais je pense qu’elle donne déjà une idée assez précise de ce que devait être la fragrance originale qui étaient, j’en suis certain, très éloignée des sentiers battus.
Si quand on pense à des parfums révolutionnaires, on a en tête souvent les grands féminins mais il est aussi des masculins qui ont été particulièrement surprenants à leur époque. La maison Chanel a toujours été, dans ce domaine, particulièrement avant-gardiste. J’ai déjà évoqué « Égoïste » dans un articles sur mes premières amours et je voudrai parler de « Antaeus » dont je n’ai pas vraiment connu le lancement mais qui lorsque Jacques Polge l’a créé pour Chanel, en 1981, était complètement atypique et surtout à l’opposé des créations que l’on faisait pour les hommes. Pour être tout à fait honnête, j’ai essayé ce parfum pour la première fois il y a quelques mois et, encore aujourd’hui, je le trouve complètement atypique et il ne ressemble à rien d’autre. Chypré, cuiré, boisé, je ne saurais le dire. Je trouve que c’est un parfum d’une très grande singularité. Le départ de bergamote typique des parfums chyprés est associé à des notes aromatiques de sauge sclarée et de thym et résineuses de myrrhe. Son coeur est une rose rehaussée d’une note de basilique et le fond de ciste, de patchouli et de mousse de chêne lui donne des accents indéniablement chypré mais tout cela est bouleversé par un accord qui doit reproduire le castoréum, matière, heureusement, désormais évitée en parfumerie. J’ai été intrigué par ce parfum. Je l’ai senti, essayé sur mon poignet et il m’a surpris, même dérouté. Je reconnais que c’est une très belle création, très différente de ce qui était proposé aux hommes mais, très honnêtement, ce n’es pas du tout un parfum pour moi. J’aime l’originalité mais j’ai eu l’impression, pendant les heures qui ont suivi, de sentir sur mon poignet le parfum de quelqu’un d’autre. Je pense, qu’à sa sortie, il a du en choque olfactivement plus d’un !
" Poison"est un parfum, de l'entreprise Parfums Christian Dior, créé en 1985 par le parfumeur Édouard Fléchier. Il s'agit d'un parfum floral-oriental très capiteux, overdosé en tubéreuse et en notes fruitées (fruits rouges). Le flacon en forme de pomme couleur améthyste, créé par Véronique Monod, accentue le côté vénéneux de son nom, référence au poison, et clin d'œil aux mythes d'Eve, mais aussi de Blanche Neige. (…) La publicité accompagnant son lancement était basée sur le thème du film La Belle et la Bête de Jean Cocteau, et a été réalisé par Claude Chabrol, en collaboration avec le directeur artistique de la maison. Son lancement a été un évènement international ; lors des premières semaines de vente, il s'en vendait un flacon toutes les cinquante secondes aux Galeries Lafayette à Paris, et il s'était même organisé à ses portes un véritable petit marché noir. Très vite, Poison eut ses « pro » et ses « anti », et dans certains restaurants new-yorkais on a pu voir fleurir des panneaux « No Smoking, no Poison » (Source internet). C’est vrai que celui-ci aussi est une véritable révolution oflactive. J’avais une dizaine d’années lorsque ce parfum a été lancé et je n’ai jamais mais alors jamais oublié son odeur. Quelques années plus tard, l’une de mes proches le portait et, vraiment, si je trouvais qu’il portait admirablement son nom, je le trouvais à la fois singulier et tout à fait addictif. La tubéreuse prend des accents fruités, baumés, épicés et offre de multiples facettes à ceux qui le sentent. Le fond est à la fois ambré et vanillé et surdose en muscs blancs et en héliotrope poudré. Je pense que ce parfum ne pouvait pas laisser indifférent. Soit on l’adorait (ce qui était mon cas) soit on le détestait voire même il pouvait rebuter ceux qui le sentait. En tout cas, même s’il a été très très allégé, et qu’il est un peu oublié, il reste une création, une vraie, dans la parfumerie sélective. Je me surprends à regretter ses effluves dans la rue ou dans les transports en commun quand il était encore lui-même.
Pour finir cette sélection, il était logique de parler de « Féminité du Bois » créé par Pierre Bourdon et Christopher Sheldrake à l’instigation de Serge Lutens pour la maison Shiseido. C’était un parfum comme les voulait le concepteur c’est à dire linéaire, sans notes de tête, sans une once d’agrumes et complètement singulier. Pour en expliquer la complexité, il faut savoir qu’au départ, il est la réunion de deux autres parfums que Serge Lutens sortira plus tard dans sa collection du Palais Royal, « Bois et Fruits » et « Bois de Violette ». C’est un parfum aux accents de fruits confits que je trouve particulièrement envoutant, de violette poudrée et de bois de cèdre. La marque ne communiquait pas sur la composition et je ne peux me fier qu’à ce que je ressens quant à la réunion des deux autres parfums car je ne l’ai pas connu dans sa formule originale et que toutes les pyramides olfactives que l’on peut trouver sont forcément fausses étant donné que l’on n’a pas vraiment d’information précise de la marque. En 2009, Christopher Sheldrake reformule le parfum afin qu’il puisse également attirer une clientèle masculine, pour le ressortir dans la marque de Serge Lutens et celui-ci je l’ai connu dès le début car l’une de mes amies le portait dès le départ. Je dois dire que si j’ai toujours trouvé que « Féminité du Bois » était réellement une innovation dans le monde de la parfumerie, j’ai toujours préféré « Bois de Violette » et « Bois et Fruits ». Il est vrai aussi que « Féminité du Bois » a influencé la création de nombre d’autres parfums tels « Bois de Paradis » créé en 2002 par Michel Roudnitska qui a voulu, pour la marque américaine Delrae et qui n’existe plus hélas, travailler des matières similaires pour en donner une interprétation plus fraîche et plus tonique ainsi que nombre d’autres créations des années 2000. On peut donc dire que « Féminité du Bois » a été une révolution olfactive de plus.
Ce qui est drôle c’est l’approche que j’ai de ces parfums. D’un point de vue purement artistique, je trouve que l’avant-garde lorsqu’elle conduit à créer des direction de cette manière ou que sa vocation soit à rester unique, est une chose très intéressante. J’apprécie toutes ses créations mais aucune ne me conviendrait. Ils sont exactement l’illustration que l’on peut aimer des parfums sur les autres et non sur soi… Tiens, ça pourrait faire un objet d’article !
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