Passion Parfums

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Cuir de Russie, un accord mythique

Inspiré de l’odeur du cuir imperméabilisé par du goudron de bouleau des bottes de cosaques, l’accord cuir de Russie, est une note prépondérante dans la parfumerie de la fin du XIXème siècle et également de la première moitié du XXème. Je n’ai pas réussi à trouver à qui nous devons cet accord qui est très important dans la famille olfactive des cuirs même s’il n’est pas le seul à être utilisé. De nombreuses maisons de parfumerie vont, particulièrement dans les années 20, lancer leur cuir de Russie. Certains donneront d’ailleurs ce nom à leurs parfums tels L.T. Piver, Guerlain ou encore Creed et Chanel. D’autres, tels Ernest Daltroff utiliserons cet accord d’essence de bouleau et de mousse de chêne dans un des créations telles que « Tabac Blond » pour Caron. Si cette facette des parfums cuirés est un peu passée de mode, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle est l’une des plus intéressantes de cette famille olfactive. Pour décrire le cuir de Russie je dirai qu’il prend plusieurs formes, qu’il peut être interprété de manières diverses et variées et qu’il y en a pour tous les goûts. J’ai sélectionné quelques parfums qui sont, pour moi, emblématiques de cette sous-famille olfactive et qui sont arrivés jusqu’à nous même s’ils sont ancestraux ou qui, au contraire, ont été créés dans les dernières décennies « à la manière de… ».

 

Mon premier est mythique, mon second est intemporel, mon troisième est un petit plaisir pas très cher et mon tout est, évidemment « Cuir de Russie » de L.T. Piver que je porte depuis presque dix ans, que mon grand-père a porté avant moi et que, je l’espère, les générations suivantes aimeront autant que je l’aime. Lancé en 1939 sous une forme proche de celle qui existe aujourd’hui, ce parfum est, en fait, une réinterprétation d’une cologne que la maison a créé au XIXème siècle. Plutôt estampillé masculin il est construit autour de l’accord mousse de chêne et bois de bouleau mais il n’est pas trop sombre car il a un départ à la fois hespéridé, miellé et épicé qui conduit vers un coeur de patchouli et de cannelle pour évoluer vers un fond musqué contenant des notes de ciste, de résine oliban, de mousse de chêne et de bois de bouleau. L.T. Piver ayant été très précurseur, dès le XIXème siècle dans l’utilisation des molécules de synthèse, je ne sais pas quelle est la part de chimie dans la création de ce parfum mais son effluve a un côté ultra complexe et naturelle à la fois. La concentration eau de toilette est la seule désormais disponible (une eau de cologne et une lotion existaient il y a encore quelques années) mais sa tenue est absolument parfaite. Le sillage est assez important également. « Cuir de Russie » ne ressemble à rien d’autre. Je trouve que c’est une pépite absolu. Si ce parfum a ses adeptes et surtout ses fidèles, il n’est pas forcément facile à trouver et son circuit de distribution est assez étonnant. Il trône sur les étagères de pas mal de parfumeries indépendantes mais aussi dans les parfumeries plus atypiques et dans certaines drogueries. Avec ce classique de la parfumerie, on peut avoir une très très belle création pour mois de 60 euros les 100 ml et, vraiment, je pense qu’il faut le mentionner car il est vraiment exceptionnel.

Cuir de Russie L.T. Piver Cologne - un parfum pour homme 1939

 

Lorsque Jacques Polge, dans les années 2000 a décidé de rééditer, en eau de toilette et en extrait, « Cuir de Russie » créé en 1924 par Ernest Beaux pour Chanel, j’ai trouvé qu’il avait eu une idée de génie. J’ai souvent évoqué ce parfum comme mon préféré dans la collection des Exclusifs et je persiste. Il y a quelques années, l’eau de toilette a été supprimée au profit d’une eau de parfum mais, hélas, je ne trouve pas forcément que sa tenue soit meilleure. Estampillé comme un féminin, je trouve qu’il a quand même un côté assez « gentleman » et je pourrais le porter sans problème. Moins hespéridé et un peu plus poudré que celui de L.T. Piver, ce cuir est un peu plus sombre aussi. Je trouve que l’accord cuir de Russie associé à la feuille de tabac et à l’héliotrope est à la fois assez duel. Il y a un côté sombre et un autre plus lumineux. Ernest Beaux surfait sur le travail de Jacques Guerlain pour donner son interprétation de cet accord. Aujourd’hui, je trouve que « Cuir de Russie » a vraiment un côté « très Chanel » et j’aime beaucoup le sentir. Il y a quelque chose d’assez unique dans le travail de ce parfum. Je trouve qu’il est la quintessence de l’esprit de la maison. Je ne sais pas s’il remporte encore le même succès mais je dois dire que je suis tout à fait séduit à chaque fois que je le sens. Je ne sais pas si je le porterai car je le trouve vraiment léger mais j’en ai envie régulièrement. Il m’emmène dans l’Orient-Express ou dans le trans-europ-express en compagnie d’élégantes et de dandys. Vraiment c’est une réussite.

 

Cuir de Russie Eau de Parfum Chanel parfum - un parfum pour femme 2016

 

 

Créé en 1919 par Ernest Daltroff, « Tabac Blond » de Caron est un cuir de Russie qui porte un autre nom comme je le disais en introduction. L’histoire de ce parfum l’a rendu mythique. Lancé pour les femmes et inspiré du tabac blond des cigarettes américaines, ce parfum profond, cuiré et très androgyne a été pourtant adopté par les hommes. D’extrait en eau de parfum, il a traversé les décennies malgré quelques reformulations et a toujours des adeptes. Avant la vente de la marque par le groupe Alès, sa version « fontaine » était l’une des meilleures ventes de cette luxueuse collection. Pour moi, il est, sans aucun doute l’une des créations les plus emblématiques de la parfumerie française entre tradition et excentricité. Son départ classique de bergamote nous ouvre sur un coeur plus étonnant de vétiver, d’iris et d’ylang ylang puis un fond cuir de Russie renforcé d’une pointe de vanille et de patchouli. C’est un parfum tabac sans tabac et pourtant il exprime parfaitement les volutes élégantes et surannées des années vingt et trente. Je trouve qu’il est vraiment un exemple du génie d’Ernest Daltroff et de l’identité très forte des parfums Caron de cette époque. Certains experts auto-proclamés de la parfumerie pourraient me dire que les reformulations l’ont beaucoup changé car ils ont senti, à l’osmothèque, une ancienne version proche de l’original mais je rétorquerais que le parfum évolue, qu’il se renforce et qu’il change avec le temps. C’est donc une affirmation bien aléatoire que je ne m’aventurerai pas à confirmer. Ceci dit, je ne possède pas leur « science » et je préfère m’en tenir à mes impressions. Pour moi, la version extrait de « Tabac Blond » que je connais (bien) est une merveille et, avec le rachat de la maison et la nouvelle politique qui, jusque-là me laisse dubitatif, je me demande ce qu’il va advenir de ce parfum mythique. Wait and see.

 

Tabac Blond Parfum Caron parfum - un parfum pour femme 1919

 

 

Outre Creed dans les années 50 les parfumeurs ont abandonné plus ou moins cet accord au profit d’autres facettes du cuir plus brutes ou plus chyprées. Il faudra attendre l’avènement de la parfumerie de Niche et son développement depuis les années 90 pour que certains tels Christopher Sheldrake ou plus tard Marc-Antoine Corticchiato par exemple en donnent leur lecture. Je ne vais pas encore revenir sur « Cuir Mauresque » de Serge Lutens qui est un mix entre l’accord bouleau et mousse de chêne et l’univers de « L’Heure Bleue » de Guerlain ou encore « Cuir Ottoman » qui, sans utiliser l’accord, en recrée l’impression. Je préfère retourner à un autre parfum que j’aime et dont j’ai moins parlé. Il s’agit de « Cuir Fétiche », créé par Jean-Paul Millet-Lage et lancé en 2011 chez Maître Parfumeur et Gantier. Avec l’interdiction de matières naturelles, il faut utiliser d’autres ingrédients synthétiques ou naturels pour recréer cet accord. Là, le parfumeur a apparemment opté pour la chimie et c’est une réussite. « Cuir Fétiche » est, pour moi, une interprétation à mi-chemin entre classicisme et modernité du cuir de Russie. Il s’enrichit de notes de tête de géranium et d’agrumes, d’un coeur d’iris, d’ylang ylang, de vanille de jasmin et de rose et de fond d’ambre et de patchouli. Il a un petit côté oriental mais reste dans la plus pure tradition des cuirs de Russie d’antan tels que je me les imagines. J’ai toujours aimé ce parfum et j’ai la chance de le sentir très régulièrement. C’est une effluve de séduction et d’élégance à la fois. Vraiment, pour moi, « Cuir Fétiche » est l’un des plus beaux parfums sur le marché actuellement.

Cuir Fetiche Maitre Parfumeur et Gantier parfum - un parfum pour femme 2011

 

 

Plutôt influencé par les cuirs de Russie à l’anglaise enrichies d’une note dominante de feuille de Violette, « Aleksandr » lancé en 2012 par la marque espagnole Arquiste est aussi une interprétation de cet accord mousse de chêne et essence de bouleau. L’ouverture un peu néroli et vodka est assez surprenante mais très vite le cuir et l’association iris et feuille de violette viennent lui donner son identité. Je trouve qu’il a une parenté avec « Mahon Leather » de Floris London que j’ai tant aimé. Le cuir de Russie à l’anglaise a un côté plus poudré et il est, presque toujours associé à la feuille de violette. Je pense que c’est la maison Creed qui a initié ce concept dans les années cinquante et je trouve que c’était une très bonne idée. Avec « Aleksandr », Arquiste réinvente cette association classique. Le parfum est frais, aérien et il est très agréable de suivre son élégant sillage de « cuir de violette ». Il me fait assez envie depuis que je l’ai découvert et je pense que, lorsque je ne pourrais vraiment plus porter « Mahon Leather » que j’adore, il pourrait être une option sérieuse. Il a un côté très daté, je dirais même faussement suranné mais je dois dire que j’aime énormément ce parfum.

 

Aleksandr Arquiste Cologne - un parfum pour homme 2012

 

 

 

Dans le même esprit mais en plus épicé, j’ai aussi beaucoup aimé « Cuir de Russie » créé au XXème siècle par le parfumeur Yuri Gutsatz et relancé par son fils Michel dans sa marque Le Jardin Retrouvé. Je l’avais essayé il y a quelques années et j’ai eu l’occasion, lorsque nous avons été très bien reçus à leur boutique-atelier à Paris, de le redécouvrir. C’est un parfum peut-être un peu trop léger pour moi mais je sais en apprécier la finesse de la création. Outre l’accord bois de bouleau et mousse de chêne, on y retrouve la douceur de l’ylang ylang, la profondeur du patchouli et du styrax et les notes poudrées de la violette. Un cuir de Russie également « à l’anglaise », très chic, très finement travaillé, tout en légèreté et en transparence. Dans les découvertes de la marque que j’ai eu la chance de faire, il est l’un de mes préférés. Je pense que son élégance un peu désuète m’a séduit immédiatement. Hélas, j’ai trouvé que la tenue sur moi était assez limitée. Ceci dit, il est vraiment très beau et réussi et je l’aime beaucoup.

 

Cuir de Russie Le Jardin Retrouve perfume - a fragrance for women and men  1977

 

 

Si la législation sur les matières premières est un problème, si les goûts ont porté les amateurs de cette famille olfactive ont évolué au cours des décennies, si les marques du sélectif ont abandonné pour la plupart les cuirs de Russie, je trouve que cet accord conserve ses adeptes et il me semble qu’il peut prendre tellement de facettes qu’il y en a pour tous les goûts. Pour ma part, celui de L.T. Piver me convient très bien et je porte aussi « Mahon Leather » de Floris London jusqu’à épuisement des stocks. Cette liste n’est pas, vous l’aurez compris, vraiment exhaustive mais je voulais explorer les différents esprits du cuir de Russie et ses interprétations par des parfumeurs aux univers parfois opposés, parfois proche. S’il n’enlève rien à la qualité des autres cuirs présents sur le marché, cet accord fait partie de ma bibliothèque olfactive comme un livre de chevet.

 

 

 



01/07/2020
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