De si belles immortelles
Je porte "Sables" créé par Annick Goutal et Isabelle Doyen depuis très longtemps. Il a d’ailleurs été durant des années, mon seul oriental. il se caractérise par la très forte présence de l’immortelle au cœur et au fond. Cette utilisation en a fait pendant longtemps un parfum vraiment unique mais depuis une vingtaine d’années notamment grâce aux créations de Marc-Antoine Corticchiato, la note d’immortelle est beaucoup plus utilisée en parfumerie. Je la trouve particulièrement addictive même si elle peut être, dans certains cas, répulsive. Je lui avais d’ailleurs consacrée un article au début de ce blog et j’ai décidé, comme je l’ai fait pour le vétiver, de lister de très beaux parfums dans lesquels elle est travaillé en majeur en essayant à chaque fois de vous donner un avis totalement subjectif. Bien sûr cette fois il n’y aura pas deux parties car cette matière première atypique est quand même moins utilisé en parfumerie même aujourd’hui. Je vous emmène donc en Corse ou tout au moins autour de la Méditerranée pour découvrir cet ingrédient riche qui ne ressemble à rien d’autre et qui offre diverses facettes puisqu’on peut travailler le côté épicé, un peu curry, animal, liquoreux, voire même floral.
Il faut rendre à César ce qu’on lui doit et comme l’immortelle est l’ingrédient phare des parfums de Marc-Antoine Corticchiato, j’ai décidé de commencer par l’une de ses créations. Bien évidemment j’aurais pu parler de « Fougère Bengale », « Eau de Gloire » ou encore « Tabac Tabou » mais il m’a paru plus judicieux d’évoquer « Immortelle Corse » lancé en 2019, un extrait de parfum qui rend un hommage particulièrement étonnant vibrant et épuré à cette note qui est si chère au parfumeur et son île de coeur. Cette composition est pratiquement construite comme un solinote. Elle avait tout à fait sa place dans la collection Héritage Corse. Je l’avais déjà évoqué brièvement plusieurs fois mais j’ai décidé de la porter pour pouvoir en parler un peu davantage. Dès l’envolée, l’immortelle explose avec plusieurs de ses facettes et une certaine rondeur. Sa colonne vertébrale on est pourtant simple. Après une ouverture citronnée, un cœur de safran, le fond où l’immortelle, associée à la mousse de chêne, prend toute sa place avec un côté boisé et presque liquoreux. D’ailleurs, c’est un peu, pour moi, une eau de vie qui n’existe pas. Il s'agit d'un parfum épicé et rond que je trouve particulièrement réussi même si je ne pourrai sans doute pas le porter malgré mon attachement pour la note principal. En effet, dans son désir de mettre en avant la très belle matière première qu’il a utilisé, Marc-Antoine Corticchiato y est allé à fond. Sur ma peau le parfum manque un peu de relief et même si j’en apprécie toute la beauté, il arrive à me lasser un peu. Attention je ne remet absolument pas en question sa qualité ni la beauté de la création mais peut-être que je le trouve un peu brut. De ce fait, il n’est peut-être pas mon idéal car je l’aurais souhaité un peu plus nuancé. Je comprends en revanche parfaitement le parti pris du parfumeur et je salue le fait que le but est atteint.
J’avais envie de passer de Charybde en Sylla. Je veux évoquer la fraîcheur et la construction toute en opposition d’un parfum plus que rare mais que j’ai la chance de porter ponctuellement depuis plusieurs années. Il a été créé en 2015 par Stéphanie Poulage, pour sa marque éponyme et c’est sa concentration au de toilette qui lui donne toutes ses facettes. Il porte le nom intriguant de « Ubiquité » et il s’agit sans doute de la création la plus étonnante de ma sélection dans le sens où la note d’immortelle est travaillée tout en légèreté dès l’envolée. Elle est associée à des une très belle qualité de maté, d’agrumes mais aussi à debois soutenu par un accord ambre. C’est un parfum qui est un peu à la croisée des chemins d’une Cologne, d’une fougère et d’un chypre. Je me plais à penser que si la diffusion de la marque était plus large, « Ubiquité », comme un parfum à la fois présent et absent mais qui revient toujours, rencontrerait un succès indéniable auprès du grand public. La qualité de ses matières premières et son prix sont des arguments qui pourraient accentuer cet état de fait. De plus, stéphanie Poulage a réussi le tour de force de créer un esprit Cologne en concentration eau de toilette avec une excellente tenue, à la fois original et très facile à porter. je porte deux création de la marque et celle-ci a été la première. Je suis donc très attaché à ce parfum. Je sais que ce n’est pas facile mais si vous croisez sa route il faut le poser sur la peau et je pense que vous pourriez en apprécier toute la subtilité.
Mon troisième choix est un succès indéniable. Il s’agit bien évidemment de « Ganymède » créé par Quentin Bisch en 2023 pour Marc-Antoine Barrois. j’ai choisi de parler de la concentration extrait de parfum car elle est beaucoup plus overdosée en immortel que l’eau de parfum. Le thème est toujours le cuir mais associé à des notes marines et au côtés très curry de l’immortelle. La tenue et le sillage sont absolument atomiques. Dès sa sortie, et même s’il peut être concurrencé par l’eau de parfum, cet extrait a rencontré un grand succès. L’immortelle rend légèrement floral ce parfum cuir, encens et marin. Je trouve que la création revêt des accents plutôt étonnants à la fois épicés et franchement froids. Je le trouve tout autant animal que minéral. J’ai eu l’occasion de le porter et je le trouve absolument incroyable. Tout d’abord la présence de bois d'akigala, si cher à Quentin Bisch, lui confère une vraie originalité. C’est surtout sa tenue et son sillage qui m’ont impressionné. Je sentais encore la note d’immortelle après la douche. Elle prend énormément de place dans le parfum ce qui révèle la qualité de la matière première utilisée par Quentin Bisch. En revanche, les molécules synthétiques lui donnent un côté graphique et très « couture » qui n’est pas forcément dans mes goûts. il n’en demeure pas moins que la version extrait de parfum est absolument une réussite. Voilà un succès qui n’est pas du tout usurpé. Pour moi, « Ganymède » est un parfum de couturier au plus beau sens du terme.
« Bois Lumière », composé en 2014 pour sa marque éponyme par Anatole Lebreton s’avère être mon quatrième choix. Ce parfum est probablement le plus segmentant de toute ma sélection car l’immortelle y est travaillée d’une manière encore différente. Personnellement c’est une création que je ne pourrai pas porter mais que je trouve tout à fait singulière. Le départ de sauge, de mandarine et de genévrier me surprend beaucoup et peut-être que je trouve l’ensemble un peu dérangeant. Le cœur de sapin baumier, de miel, de rose et d'oeillet me laisses un petit peu dubitatif. Le parfum se fait bizarrement presque sec et pourtant baumé, ce qui s’accentue pas mal sur la peau avec les notes fond. C’est là qu’intervient l’immortelle et elle est associée à la cire d’abeille, au cèdre et au benjoin. L’ensemble prend une certaine cohérence et il en résulte une création qui s’inspire de la garrigue et qui garde le côté un peu brûlé au soleil si je peux m’exprimer ainsi. Je comprends tout à fait l’inspiration du parfum et je fais le lien avec le résultat final. « Bois Lumière » reste pourtant à mon goût plutôt sombre et presque froid et collant. Il ne sera pas le parfum de tout le monde. Pour ma part il n’entre pas tout à fait dans mes goûts. Je préfère la note d’immortelle travaillée de manière plus épicée ou même poudrée. Il n’en reste pas moins que cette création consacre Anatole Lebreton comme un parfumeur dont la signature est vraiment identifiable et particulière. Que je l’aime ou pas, « Bois Lumière » peut vraiment être considéré comme un parfum de niche dans son sens premier. Je vais être honnête, je ne pourrai pas le porter. Je peux aimer certains parfums très clivants mais celui-ci il l’est peut-être finalement un peu trop pour moi.
Je l’ai évoqué en introduction, « Sables », créé par Annick Goutal et Isabelle Doyen en 1985 est devenu iconique au fil du temps. Je ne sais pas s’il l’est pour tout le monde mais il le demeure pour moi. Je le porte depuis plusieurs années et je ne pouvais pas parler de la note d’immortelle sans y faire une fois encore référence même si j’en ai énormément parlé sur ce blog. Après une ouverture de mandarine et de bergamote vient un cœur absolument incroyable, épicé avec du poivre noir et sans doute du clou de girofle qui rehaussent des notes de jasmin et de mousse de chêne. Puis le parfum évolue vers un fond d’immortelle sauvage tout à fait inimitable et qui se pare d’un bois de santal très sec et d’un accord ambré. « Sable » c’est l’équilibre dans le déséquilibre. J’ai souvenir d’une interview d’Isabelle Doyen qui avait été très dubitative lorsqu'Annick Goutal lui avait demandé de faire un parfum avec la surdose d’immortelle prévue au départ en référence à des vacances passées en Corse avec son compagnon. Elle racontait que personne ne croyait en ce parfum et qu’il avait fallu à Madame Goutal beaucoup de courage et de persévérance pour qu’il ne soit pas supprimé une fois que la marque a été rachetée. Elle avait raison car depuis « Sables » est devenu l’un des parfums les plus iconique de la maison. Terriblement épicé, solaire et sec à la fois, c’est un parfum signature et il l'est pour moi depuis très longtemps. C’est grâce à cette composition improbable et fascinante que j’ai commencé à aimer la note d’immortelle. Certaines des reformulation imposé par la norme Ifra m’avait un peu conduit à l’abandonner mais sa reformulation en eau de parfum (c’était une eau de toilette autrefois), la beauté de la création et la qualité des matières premières utilisées m’ont convaincu de me remettre et franchement je ne regrette pas car je l’aime toujours autant. Je ne vais pas m’étendre beaucoup plus sur le sable, si je peux oser ce jeu de mots, Car j’en ai déjà parlé tant et plus, mais, si vous le sentez un jour, dites-vous que je ne serai pas bien loin.
L’avant-dernier parfum que je voulais évoquer, je ne l’avais pas beaucoup aimé lorsque je l’ai découvert et pourtant j’ai un goût certain pour le travail de Marie Salamagne. Le départ de « Musc Immortel » qu’elle a créé en 2017 pour Atelier des Ors ne m’a plu qu’à moitié. Je trouve les notes de sauge et de pamplemousse plutôt incongrues associées à l’iris et le cœur de vétiver, de patchouli et de cypriol n’est pas ce que je préfère non plus. Ce n’est que lorsque le parfum se pose sur un fond d’immortelle, d’ambrette et de muscs blanc qu’il prend la totalité de son ampleur et commence, malgré tout, à me séduire. Dans ma sélection il est indéniablement le plus solaire et celui que l’on peut facilement porté lorsque les températures sont vraiment clémentes. Lorsque je le sens sur ma peau, je le trouve, finalement assez doux et suave mais vraiment lumineux. Je l’ai trouvé élégant mais peut-être un peu monolithique sur moi alors que je sais que, sur certaines peaux, il se développe vraiment beaucoup mieux. Objectivement c’est un très joli parfum mais il me laisse un peu sur ma faim peut-être que je trouve que ce n’est pas mon interprétation de l’immortelle que je préfère plus facettée et sinueuse. Je pourrais parfaitement le porter, en revanche, car il est efficace et c’est une valeur sûre.
J’étais vraiment très content lorsque j’ai vu que « L’Eau des Immortels » allait sortir, en 2023, dans la marque Voyages Imaginaires. Je l’avais découvert très en avant-première et je n’attendais qu’une chose : pouvoir me l’offrir. Un parfum en forme d’hommage de la part de Camille Goutal à sa mère, imaginé avec Isabelle Doyen et composé uniquement avec des matières naturelles, tel était le postulat et quelle réussite ! C’était un challenge et elles se sont vraiment attelées. C’est une création très en douceur ou la note d’immortelle, chaude et naturaliste, se fait vanillée et poudrée, ce qui la contrebalance complètement. Le départ de bergamote et de badiane est absolument magnifique et pourtant cette dernière note ne fait pas partie de ce que je préfère. Au cœur le jasmin viens adoucir les notes d’amyris et d’immortelle puis lorsque les parfums se pose, les notes baumées viennent au contact de la vanille et de la fève tonka. "L'eau des Immortelles" se fait doux et poudré. L’évolution est vraiment surprenante. Lorsque j’ai découvert ce parfum je me suis dit qu’il faudrait que je fasse un choix entre cette nouvelle création et « Sables ». Il n’en n’a rien été car j’aime beaucoup les deux. Me voici donc balancé entre l'un et l’autre à me dire que ce sont les deux immortelles que j’aime sur le marché. Je pense que je ne me déciderai jamais entre les deux tant ils sont diamétralement opposés. Il est en lice pour être élu meilleur parfum de niche d’une marque indépendante pour les prochains FIFI Awards. Je croise les doigts pour qu’il soit choisi.
Voilà j’ai fait le tour je crois car je ne veux pas être trop exhaustif. Le sujet est vaste mais je voulais vraiment me concentrer sur des parfums dans lesquels l'immortelle est travaillée en majeur mais de manière vraiment différente. Je dois dire qu'avec cette note, c'est un peu "je t'aime, moi non plus". Je ne sais pas si vous avez senti les parfums dont je parle est ce que vous en pensez mais je veux bien avoir vos retours.
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