Édouard Fléchier, le pari de l'audace
C’est une signature que j’aime depuis toujours. Édouard Fléchier est un parfumeur expérimenté qui a inventé nombre de compositions souvent avant-gardistes pour la parfumerie grand public mais aussi pour des marques plus exclusives, plus « niche ». J’ai une certaine prédilection pour sa signature. Pour moi, il a su, au cours de sa carrière, inventer non pas un style mais des styles. Le travail d’Édouard Fléchier, que j’avais aimé chez Dior mais aussi chez Christian Lacroix ou Sonia Rykiel est singulier, opulent mais délicat. Je comprends donc tout à fait que Frédéric Malle lui ait confié la réalisation de deux faux soliflores et je les apprécie à leur juste valeur. Donc, de la parfumerie grand public à des marques plus rares, j’ai décidé d’explorer le travail d’Édouard Fléchier à travers ce que j’ai pu sentir. J’ai choisi quatre créations dont une, vraiment mythique que vous reconnaitrez pour illustrer mon propos. J’espère que vous aurez envie de les découvrir.
Comment parler du travail d’Édouard Fléchier sans évoquer ce que je considère comme son chef-d’oeuvre. Il s’agit bien évidemment de « Poison » qu’il a inventé en 1985, l’une des créations les plus clivantes de la parfumerie grand publique mais que, personnellement, j’aime infiniment depuis toujours. « Poison, elixir sulfureux. Certain parfums naissent mythiques. Provocant et mystérieux dès sa création, Poison est le parfum arme ultime de séduction exacerbée de Dior. L'alchimie exceptionnelle de la fragrance est faite de notes riches, épicées, florales et ambrées, aux accords sensuels de miel et de musc. Un parfum oriental charismatique et inoubliable ». Dès que j’en ai l’occasion, je colle mon nez sur cette création qui n’existe plus aujourd’hui qu’en eau de toilette et en extrait. Je prends dans ma main son flacon qui évoque la pomme de Blanche-Neige et je vaporise sur ma main cette vraie création de parfumerie. Certes, il a été un peu reformulé mais, pour moi, il reste vraiment d’une grande beauté en eau de toilette et je ne parle pas de l’extrait. Qu’est-ce que « Poison » ? Une association entre une tubéreuse, jasminée, fruitée presque fraîche avec les notes épicées de de la coriandre et le velouté de l’opoponax. À la vaporisation, il a presque un côté camphré qui s’atténue pour laisser la place à la dualité entre les fleurs blanches et les côtés poivrés, épicés et et presque fraîche de la coriandre, puis vient quelque chose de presque chypré et cosmétique à la fois. « Poison » est un mystère, il est clivant. Je me souviens des ardoises devant certains pubs à Londres : « No smoking, no Poison », peut-être que tout est dit mais moi je l’aime. Je ne l’ai jamais porté mais je me demande toujours si je ne pourrais pas le faire.
Puis vient « Gomma » créé par Édouard Fléchier pour la maison Italienne Etro en 1989. C’est un cuir absolument magique, dans l’esprit un peu « pétrole » de « Cuir Mauresque » de Serge Lutens, plus sec, moins nuancé. Un parfum qui va droit au but. Je l’aime vraiment beaucoup. « Amer et épicé, sans équivoque. Gomma est tout cela : agrumes, armoise, jasmin méditerranéen absorbés par des notes de cuir et d’ambre. L'idée est celle d' une courbe qui traverse l'instant, un parfum en modifie la trajectoire. Une personnalité stimulante qui se traduit dans un parfum amer et épicé, magnétique et profond ». Pour moi, cette combinaison d’armoise, de jasmin et de notes de cuir et d’ambre est une véritable réussite. J’aime beaucoup ce parfum mais je crois qu’il est, hélas, discontinué. Je le regrette car son élégance italienne créée par un parfumeur français lui donnait la singularité que l’on peut attendre d’un grand parfum. « Gomma » est ainsi. Il m’en reste encore quelques doses d’essai et j’ai pu le porter pour écrire cet article je regrette presque de ne l’avoir jamais acquis tant son évolution sur moi me plait. J’aurais très bien pu me l’approprier et, dans cette quête perpétuelle du cuir idéal, son côté épicé et nuancé aurait pu me séduire encore plus.
Avec le lys, c’est toujours un peu « Je t’aime, moi non plus ». J’ai toujours aimé la note en parfumerie mais je ne l’ai jamais portée lorsqu’elle est dominante. J’ai tourné autour de plusieurs créations proposées avec des budgets très différents tels « Mon Lys » de Fragonard ou encore « Lys 41 » de Le Labo mais je n’ai jamais franchi le pas. Je crois que ce que j’aime par dessus tout c’est lorsque cette fleur est travaillée de manière un peu fraîche voire aquatique. Il était donc tout à fait logique que je me tourne vers « Lys Méditerranée » qu’Édouard Fléchier a créé pour les Éditions de Parfum Frédéric Malle dès 2000. La marque le présente ainsi : « Un soir d’été sur les rives de la Méditerranée, des effluves marines trouvent refuge dans les brumes épicées et solaires des lys. Un alliage de notes salées, adouci par une touche de fleur d’oranger ». L’envolée de fleur d’oranger me dérange un peu à la vaporisation et notamment le côté très vert de la manière dont la note de tête est travaillée mais très vite, le lys prend toute sa place avec des accents d’eau de mer et de gingembre accompagnés de la douceur de la fleur de lotus et du « croquant » de l’angélique. Dans le fond, je crois discerner une vanille très sèche et aromatique et de légers côtés tubéreuse se fondant avec des muscs blancs très frais et réconfortants. Je suppose que lorsqu’il est sorti, « Lys Méditerranée » a du bien déstabiliser les perfumistas car il est très différent de ce que l’on aimait au début des années 2000. Tenace mais doté d’un sillage très modéré, il est particulièrement délicat. J’ai eu l’occasion de le réessayer récemment et je trouve que la dualité entre le côté suave de la fleur (je devrais dire des fleurs) et des notes vertes de l’angélique ainsi que du sel de mer constitue un équilibre parfait. C’est un très beau fleuri, très finement ciselé, comme sculpté. Je suis très emballé et je me demande si, un jour d’été ou même un soir, je ne craquerai pas car il est peut-être le lys que j’ai toujours cherché.
Je l’ai souvent dit, les parfums à dominante de rose sont rarement pour moi mais j’ai tellement entendu parler de « Une Rose » (aujourd'hui rebaptisé "Rose Tonnerre") qu’Édouard Fléchier a créé pour les Éditions de Parfum Frédéric Malle en 2003 que je ne pouvais faire autrement que de remettre mon nez dans la dose d’essai que je possède afin d’écrire mon article. J’ai souvent senti « Rose Tonnerre ». D’aucun me l’ont conseillé en affirmant qu’il était pour moi et pourtant je ne crois pas même si je lui reconnais quelque chose de vraiment envoûtant. La marque en parle ainsi : « Une rose terrienne imprégnée de truffe noire du Périgord, touche sombre et sublime, écho d’un gothique parisien. Une féminité cramoisie associée à la lie de vin, et au secret de la racine de cette rose unique, comme l’Esmeralda de Notre Dame. Jardin ensorceleur ». L’imaginaire de chacun est absolument différent lorsqu’il s’agit du sens olfactif et je ne le ressens pas tellement comme ça. Pour moi, « Rose Tonnerre » est un parfum velours, profond et pas forcément facile à s’approprier. C’est un parfum assez linéaire. Toute la fragrance s’organise autour de cette rose profonde, truffée, veloutée. On y retrouve des notes de géranium bien évidemment mais aussi de miel, de lie de vin, de vétiver qui soutient le tout et d’un bois qui complète admirablement la composition. Je n’aime pas nécessairement genrer les parfums mais force m’est de constater que « Une Rose » est un véritable parangon de féminité. Pour ma part, si je ne peux pas le porter, je lui concède une chose, c’est un véritable bijou précieux et il est à découvrir. Attention, ce n’est pas le parfum de tous ou surtout de toutes, il faut l’assumer. Il est un peu le pendant floral de « Musc Ravageur » créé par Maurice Roucel pour les Éditions de Parfum Frédéric Malle. Il est difficile à porter tant il est opulent et capiteux. Cette rose terreuse, racine, sera la compagne de celles et ceux (finalement pourquoi pas) qui ont l’audace de tenter un soliflore aussi opulent.
Le talent d’Édouard Fléchier et la singularité de sa signature ne sont pas à démontrer mais je voulais absolument remettre mon nez dans ses créations pour lui consacrer un petit portrait parfumé car, il fait partie, pour moi, des grands parfumeurs du XXème et du XXIème siècle. Il y a de la poésie dant tout cela mais surtout de l’audace, celle de créer des parfums qui peuvent se révéler clivants et difficiles quoiqu’absolument réussis. J’espère que je vous aurais donné envie au moins de redécouvrir « Poison ». Si vous avez la possibilité de mettre votre nez sur l’extrait, n’hésitez pas. J’avais aussi envie de redécouvrir les deux parfums qu’il a composé pour Les éditions Frédéric Malle. Cartes blanches s’il en est et réussites formidables.
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