Passion Parfums

Nathalie Feisthauer

J’avais évoqué le travail de Nathalie Feisthauer lors de ma revue sur la très belle maison Sous le Manteau il y a quelques mois mais force m’est de constater qu’elle a créé nombre de belles choses pour d’autres marques. En regardant son parcours, je me suis dit qu’un petit portrait olfactif de ses créations serait une bonne idée. Je suis donc allé mettre et remettre mon nez dans quatre jus qui m’ont particulièrement interpellé. Je ne vais pas revenir sur les déclinaisons de « Must » et de « Pasha » pour Cartier car ce serait un peu redondant mais je vais essayer de vous emmener sur les traces de parfums un peu moins consensuels et plus inventifs. Je fais le malin mais j’ai surtout exploré les créations que je connais où celles dont je possède une dose d’essai.

Outre deux créations qui, je pense, n’existent plus (ou tout du moins je ne les connais pas), j’ai nommé « Delicious Closet Queen » (2007) et « Nombril Immense » (2006), Nathalie Feisthauer a créé pour État Libre d’Orange, le très iconique « Putain des Palaces » en 2006. La marque le décrit ainsi : « En tête, la note poudrée d’une femme qui se pare des attraits de la séduction — trace feutrée d’un rouge à lèvres, crissement d’une dentelle. Rituel intime de la femme fatale qui a percé depuis longtemps le blindage fragile des hommes. Sa sophistication intrigue, à l’image de son commerce invisible. Sous une touche d’amande amère, comme un secret dévoilé, l’esquisse d’un cuir souple, fluide et malléable, annonce ce qui suit : le boudoir, les mains qui s’agrippent à la moleskine, et la présence sourde, animale du plaisir à même le canapé. Quelle femme n’a pas une « Putain des Palaces » qui sommeille — ou pas — en elle ? Celle qui rêve de convoquer ses désirs au bar d’un grand hôtel, d’introduire ses fantasmes dans la clandestinité d’un ascenseur et d’emballer son plaisir dans des draps de soie ». Je dois dire que je suis un peu resté sur ma faim avec ce parfum car, si j’adore le départ très poudré et cosmétique avec un mariage de notes de mandarines, de gingembre et de framboise et le coeur poudre de riz, rose et iris, je suis un peu déçu, lorsque le parfum se pose sur son fond de fève tonka, de santal et de musc. En effet, après une envolée et un coeur vraiment prometteur, les dernières notes sont plus communes en tout cas sur ma peau et je ne suis pas très fan. Je lui préfère l’essai « layering obligé » créé par la marque avec « True Lust » mais je vous en ai déjà abondamment parlé. Je le trouve beaucoup plus riche lorsque ce parfum fusionne avec « Dangerous Complicity » sous l’égide de Violaine Collas. Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Reste que « Putain des Palaces » remporte un beau succès et qu’il conviendra certains d’entre-vous.

Je trouve que les créations de Nathalie Feisthauer pour MDCI sont absolument transcendantes. J’ai eu l’occasion d’en découvrir deux que j’ai trouvées absolument magiques. Je commencerai par « Cuir Cavalier » que je suis en train de redécouvrir en écrivant et qui a été lancé en 2019. « Cuir Cavalier , exprime une toute autre ambiance, celle d’un champ de bataille où se déchaînent les combats, dans des odeurs de poudre à canon, de chevaux chargeant, de cuirs, d’acier, de peur et d’audace au milieu des fracas si bien rendus par T. Géricault. Le registre n’est plus le même, il est ici franchement viril, voire animal, aux facettes appuyées par le safran, le cèdre, le oudh, tempérés avec justesse et bonheur par la vanille, la fève Tonka et de beaux muscs ». Dense, absolument profond, je trouve que dès l’envolée d’orange sanguine et de safran, le parfum donne le ton. Le coeur mêle accents miellés et huile de cypriol avec des notes poudrées de rose et d’iris et le fond, construit autour d’un accord cuir de Russie, est délicatement musqué et vanillé avec la rondeur de la fève tonka. Il est relevé d’une note de oud discrète et délicate. Je dois dire que, sur ma peau, ce parfum est une splendeur il faut bien l’admettre. C’est un cuir assez masculin sans doute mais je pense qu’une femme peut parfaitement se l’approprier tant il dégage une élégance intemporelle. Il fait partie des créations que je préfère dans cette très belle marque dont j’ai découvert quelques parfums chez Sens Unique à Paris. « Cuir Cavalier » est l’un de ceux que j’ai préféré et je suis content de pouvoir m’y replonger grâce à une dose d’essai. C’est un petit bijou.

Je ne vais pas revenir une fois encore sur « Poudre Impériale » que Nathalie Feisthauer a créé pour Sous Le Manteau en 2016 car j’en ai pas mal parlé et qu’il correspond très bien à mes goûts. J’ai re-senti, pour écrire cet article, « Vapeurs Diablotines » et, si je ne le pense pas vraiment pour moi, je le trouve très original et très réussi. La marque communique sur le fait que la parfumeuse a repris et modernisé la formule d’un « philtre d’amour » du XIXème siècle empruntée à un traité d’officine de l’époque. Je ne sais pas ce qu’il en est vraiment mais je trouve que la pyramide olfactive est bien mystérieuse. Je reconnais un départ de mandarine et de coriandre. Sans doute un coeur de clou de girofle, de rose et de géranium et un fond patchouli et vétiver avec des résines. J’ai trouvé le styrax dans les descriptions mais je pense aussi au benjoin. Le parfum a également une facette très animale. Vraiment il ne ressemble à rien d’autre. Je l’ai essayé pour la première fois autour de moi pour écrire cet article et je dois dire qu’il ne cesse de me surprendre. Il est très facetté, très puissant et je retrouve même des volutes d’encens ou de myrrhe. C’est un parfum envoûtant, spirituel et très hors norme. Il se veut un peu vintage mais je le trouve finalement très contemporain. Entre cuir et épices, ce parfum est un peu oriental mais je le trouve surtout très déroutant. Sur ma peau, il ne cesse d’évoluer encore et toujours. Je dois dire qu’il me déstabilise un peu. Je le trouve beau mais je ne suis pas certain d’arriver à l’assumer.

Pour MDCI, Nathalie Feisthauer a également inventé le très boisé « L’Homme Aux Gants » en 2019 inspiré du tableau du Titien. La marque le décrit ainsi : « Une eau de parfum empreinte de sérénité et d’une virilité apaisée, qui sonne juste avec la mélancolie qui émane du modèle saisi dans un moment d’interrogation songeuse, rendu d’une manière étonnamment moderne pour un patricien vénitien saisi ici en 1523. Une eau de parfum qui par la noix muscade, la vanille et le patchouli est une invitation au voyage au départ de la Sérénissime, mais aussi une invitation à la réflexion, au sacré, par le benjoin, les muscs et les notes boisées qui traduisent la nostalgie du temps qui passe ». Son envolée de noix de muscade m’a immédiatement séduit et le coeur très étonnant de cypriol et d’hédione ma un peu dérouté. Le fond boisé avec une très belle qualité de cèdre et de gaïac, un patchouli terreux, un benjoin spirituel, des muscs et de la vanille relevés d’une note de oud est du plus bel effet sur ma peau. Je l’ai testé hier et il m’en reste quelque chose de vraiment agréable et assez facile à porter. Il me séduit sans doute un peu moins que « Cuir Cavalier » mais je l’aime bien également. Il me fait un peu sortir de ma zone de confort et, s’il a des moments abruptes dans son évolution, il est très élégant et fini arrondi par la vanille et la fève tonka. C’est une très belle création qui nous emmène sur les traces des marchands d’épices du XVIème siècle. Je l’ai finalement bien aimé.

Nathalie Feisthauer sait tout faire, tout créer, elle se glisse dans l’univers de maisons tout à fait passionnantes pour en faire sortir la quintessence de son talent de créatrice. Je me suis rendu-compte, en écrivant cet article, que j’adhérais assez à son univers même si je pense que ce qu’elle créée n’est pas nécessairement pour moi. Je sais, en revanche, apprécier son inventivité et la qualité de son travail. C’est une personne qui a croisé ma route et j’en suis vraiment très content. Je retiendrai « Cuir Cavalier » et « Poudre Impériale » qui sont mes créations préférées parmi celles que je connais.