Envoûtants tabacs
J’ai beaucoup parlé des cuirs cet hiver parce que j’en ai beaucoup porté mais remettre mon nez dans l’ancienne version de « Tabac Blond » de Caron m’a montré combien la note de tabac, qu’elle soit recréée ou naturelle grâce à l’utilisation de la feuille, peut prendre des formes variées, diverses et facettées. Tabac à pipe, fumée de cigare ou de cigarette, tabac vert pas encore séché, autant de composantes pour des parfums addictifs pour les fumeurs et les autres. Le tabac nous entraîne dans des ambiances diverses et variées. J’avais déjà consacré un article à cette note quand j’ai commencé la rédaction de mon blog mais, étant donné que j’ai découvert depuis de nombreuses autres fragrances dans lesquels le tabac est travaillé en majeur, j’ai trouvé intéressant de proposer à nouveau une sélection qui m’a fait plaisir voire même envie au cours de ces derniers mois. Je ne reviendrais donc pas forcément sur « Tabac Rouge » de Phaedon dont j’ai déjà parlé récemment, ni « Tabac Tabou » de Parfum d’Empire qui reste, c’est vrai, pour moi, la référence en la matière. J’ai choisi cinq univers différents et autant de manière d’envisager le travail de la note de tabac.
Le tout premier parfum dont j’ai eu envie de parler, je l’ai découvert il y a déjà un an ou deux complètement par hasard. Créé en 2017 par Pierre Montale pour Mancera, il m’a un peu attiré comme un aimant lorsque j’ai découvert la marque. C’est une explosion de notes et je dois dire que, de ce que je connais de la marque, c’est sans doute le parfum qui m’attire le plus tant il est dingue ! La marque le décrit avec ces mots : « Le rouge est chaud et hypnotisant. Red Tobacco est un parfum incroyablement puissant et sexy qui mélange le tabac cubain et les épices. Une vraie vague de chaleur ». Dès l’envolée, on sent quelque chose de complexe et de puissant, je trouve que le safran et la cannelle se détachent avec la noix de muscade des notes de pomme verte et de pêche blanche et se parent d’accents de oud du Népal et d’encens. Déjà l’envolée est très complexe voire presque compliquée. Très vite, au bout de quelques minutes, le coeur enrichit encore le parfum avec la dualité qui s’exerce entre les notes de patchouli et le jasmin. Le fond de tabac associé à des notes de bois, d’ambre, de vétiver, de vanille et de musc blanc viennent poser la fragrance. Il en résulte un parfum puissant qui m’évoque assez les longs fume-cigarettes des élégantes des années folles. Je l’imagina parfaitement dans un cadre artistique de Montparnasse dans ces années-là. C’est un parfum très puissant avec un sillage très intense et je pense qu’il faut vraiment l’utiliser avec parcimonie. En tout cas, je le trouve très envoûtant et il me semble si réussi que j’ai un peu tourné autour déjà mais je me demande s’il n’est pas un peu capiteux pour moi.
C’est un bon dans le temps et dans l’espace que j’ai envie de faire avec « Jazz Club » créé par Aliénor Massenet en 2013 pour la collection Réplica de Maison Martin Margiela et qui est, il faut le dire, un beau succès de parfumerie que je trouve parfaitement justifié. Pour moi, il transcrit parfaitement le Saint-Germain-des-Prés, les clubs et les cabarets mais il peut aussi nous emmener dans le « Cotton Club » de Francis Ford Coppola et je vois bien Diane Lane et Richard Gere se le partager. La marque le décrit ainsi : « La tradition a traversé les époques, immortalisant le nom de ce club de jazz de Brooklyn. Une anthologie de musique classique jouée par des cuivres, entre fauteuils moelleux et tabourets de bar, dans une atmosphère tamisée où l’air embaume les parfums des cocktails posés sur un piano ». Tous les thèmes chers à cette créatrice inventive y sont, le départ de citron primofiore se mêle au poivre rose et à l’essence de néroli pour nous interpeler et fait place très vite à un coeur riche de sauge sclarée, de rhum et de vétiver de Java. Le parfum prend tout son corps en se posant sur un fond d’absolu de tabac, de gousse de vanille et de styrax. Un peu cuiré, très tabac, c’est un parfum d’une élégance folle et qui incite à faire un peu la fête ou à se projeter dans l’âge d’or d’un jazz enflammé et fascinant ou d’un ragtime au goût addictif. En tout cas, entre rhum et tabac, je suis tout à fait séduit par « Jazz Club » que j’ai porté avec plaisir. Il est bien probable que j’y reviendrai un jour.
J’avais déjà parlé, à l’époque, de « Jasmin et Cigarette » créé en 2006 par Antoine Maisondieu pour État Libre d’Orange mais je n’en parle pas souvent donc j’ai décidé de remettre mon nez dedans pour décrire une nouvelle fois mes émotions lorsque je porte ce parfum sur ma peau. « C’est l’époque des studios Harcourt. Greta Garbo et Marlène Dietrich magnétisent les hommes sur fond de noir et blanc, cigarette à la main et volutes hollywoodiennes au fond des yeux. Jasmin et Cigarette, c’est aussi l’odeur d’une peau de femme, légèrement jasminée, qui expose sa fraîcheur à l’opaque séduction de la nuit. Ambiances enfumées. C’est le souvenir d’un désir, d’une trace indélébile laissée par elle au petit jour sur un vêtement et dans la mémoire de l’homme qui l’a aimée. C’est l’élégance à la Gainsbourg, la femme des années 80, fumeuse de gitanes, qui revendique son érotisme comme d’autres enfilent un jean, avec un naturel confondant. La transparence dans la sophistication, une suggestion de jasmin mêlée à l’odeur, jusqu’ici délaissée en parfumerie, de la cigarette. On est dans le clair-obscur, l’interdit, l’addiction. De la femme nicotine à la femme héroïne, cherchez l’icône. Elle habite le souvenir d’un manque ». Comme toujours, Étienne de Swardt donne le ton avec une description romanesque d’une création tout à fait étonnante qui s’ouvre avec le vert d’une essence de galbanum et de sauge sclarée, continue sur un coeur construit autour d’un absolu de jasmin rehaussé de notes de curcuma et se termine sur la fève tonka et le maté. Ce parfum est très étonnant pour moi car il a un côté tabac froid et fleurs blanches ! Drôle d’association me direz-vous et pourtant, je la trouve très heureuse. J’aime beaucoup le côté très féminin d’une facette et très masculin de l’autre. C’est une dualité permanente pour un parfum contemporain, audacieux et très intéressant et agréable. J’aime beaucoup « Jasmin et Cigarette »… Je pourrais tout à fait le porter.
J’ai pas mal évoqué « Cozé 02 » créé en 2002 par Pierre Guillaume pour la Collection Numéraire de sa maison mais je ne m’étais jamais penché sur « Cozé Verde 2.1 » lancé en 2012, soit dix ans après, dans la même collection. J’ai eu l’occasion de l’essayer récemment et je l’ai trouvé moins à mon goût peut-être mais tout aussi intéressant que l’original. « La feuille de Tabac de l’accord central retrouve sa verdeur initiale à travers une fraîcheur végétale d’essence de limette et de sève de figuier. La réglisse apporte une nouvelle dimension boisée et épicée tandis que poivre et piment se font plus discrets. En coeur patchouli et chanvre indien s’unissent toujours au café et au cacao sur un mode plus léger. Le fond se révèle dépouillé et minérale, les gousses de vanilles ayant laissé place aux salicylates et au bois secs. La fragrance délaisse les cuirs patinés et les bois précieux d’un club de gentlemen britanniques pour nous inviter au farniente sur une plage du Panama… ». Beaucoup plus aromatique et « tendre » que l’original, c’est un travail autour d’une feuille de tabac humide et verte et d’une feuille de figuier. Floral, chypré, fruité, c’est un parfum vert sans galbanum mais avec des notes de réglisse et de patchouli. Je j’ai trouvé difficile à sentir au départ puis, je l’ai essayé sur la peau et c’est vrai que j’ai été bluffé par une évolution hallucinante. C’est un tabac de jungle, de liane, d’aventure plus qu’un tabac chic. Je le trouve très difficile à la vaporisation mais, sur ma peau, quand je l’ai re-senti au bout de vingt minutes, il s’était bien exprimé et il avait pris toute ses facettes. Pour moi, cette réinterprétation de l’originale est une réussite !
Créé en 2000 par Lyn Harris pour sa maison Miller Harris, « Feuilles de Tabac » est sans doute l’un des parfums où le tabac est travaillé en majeur autour duquel je n’ai cessé de tourner depuis que je l’ai senti pour la première fois à Paris. « Feuilles tabac nous emmène dans les brasseries animées de Saint-Germain des Près; lieux chargés de souvenirs romantiques, boisés et fumés. Feuilles de Tabac peut sembler profondément masculin, mais son charme séducteur exprime autant la sensualité de l’homme que celle de la femme ». Pour moi, mais je suis influencé par la nationalité de la créatrice, « Feuilles de Tabac » c’est les pubs londoniens un peu enfumés des années 60. On boit une Guinness ou une Stout en mangeant un curry préparé la veille et on fume une cigarette de tabac blond américaine. Le départ de bergamote et de sauge est très doux et se rehausse d’un coeur d’aiguilles de pin, d’épices, notamment de noix de muscade que j’aime particulièrement en parfumerie et de piment puis, le coeur de patchouli et de fève tonka entourent un tabac blond à la fois frais et miellé. Vraiment j’adore ce parfum. Je l’ai toujours aimé et, même quand je l’ai découvert, je lui avais préféré « L’Air de Rien » qui n’avait rien à voir, dans la marque, il m’a toujours fait envie.
Dès sa sortie dans la collection privée Christian Dior en 2021, « Tobacolor » a été un coup de coeur. Je ne suis pas un fan des autres parfums à part « Spice Blend » que j’aime bien et je n’en n’attendais rien pourtant, cette fois, François Demachy a réussi à me séduire pleinement avec un oriental, excusez du peu, absolument magnifique et addictif. La maison Dior le décrit par ces mots : « Tabac blond, tabac gris, tabac noir… Déjà riche de couleurs et d’arômes puissants, le tabac a inspiré à Maison Christian Dior de nouvelles teintes joyeuses pour Tobacolor. Ce parfum s’ouvre comme un arc-en-ciel chromatique et sensoriel où les nuances brunes du tabac et les couleurs chatoyantes de prunes et de pêches se mêlent aux nuances dorées des notes miellées ». Fruité dès l’ouverture avec cette note de prune que j’aime particulièrement et qui m’a rappelé « Diorama », la bergamote bien évidemment, puis le coeur un peu miellé prend le relai jusqu’à arriver sur une délicate feuille de tabac ou même plusieurs car différentes variétés ont été utilisées pour être associées à la coumarine. Profond, capiteux, élégant, résolument moderne, « Tobacolor » est une merveille il faut bien le dire et le redire. Il évolue tout le temps et aucun ennui ne vient lorsqu’on le porte ou le respire. C’est un parfum à la fois singulier et dans l’air du temps. Pour moi, c’est une complète réussite.
La note de tabac passionne les parfumeurs, ils l’ont interprétée sous plein de formes différentes. J’ai adoré remettre mon nez dans ces parfums-là car, exception faite du dernier hélas, ils sont tous facile à approcher et à essayer pour moi. En tout cas, je me dis que le tabac en parfumerie a encore bien de beaux jours devant lui tant il est riche et facetté, tant on peut lui donner différentes atmosphères.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 209 autres membres