Passion Parfums

Il y a quelques jours, l’une d’entre-vous m’a demandé quel parfum m’avait le plus impressionné dans ma vie. J’ai pas mal réfléchi et je pense qu’il y en a plusieurs mais je retiens « Femme » de Rochas car je le trouve à la fois emblématique d’un style, celui des chypres floraux et fruités, et surtout extrêmement précurseur à la fois du travail d’Edmond Roudnitska son créateur mais aussi d’une vision artistique et anti-conformiste de la parfumerie. Il faut se remettre dans le contexte. Ce parfum a été créé en 1944 et je trouve qu’il est d’une rare modernité pour l’époque. Tout d’abord, il y a ce qu’il provoque chez moi. C’est une émotion intense que je vais retrouver, par la suite dans d’autres créations du parfumeur telles « Diorama », bien évidemment « Le Parfum de Thérèse » mais aussi, plus curieusement « L’Eau d’Hermès » que j’ai beaucoup porté. Le dénominateur commun de ces parfums est la note de cumin qu’Edmond Roudnitska a vraiment mis en avant dans « Femme » et qui lui confère une sensualité absolument incroyable. Avec une envolée devenue typique de bergamote associée au bois de palissandre, à la pêche, à la prune et au cumin, on entre directement dans un parfum affirmé, très singulier et particulièrement inédit. Puis vient un coeur très délicatement facetté de jasmin, de rose, d’ylang-ylang et d’immortelle épicé de clou de girofle et, il me semble, de noix de muscade ainsi que d’iris. Le fond, patchouli et mousse de chêne est rehaussé et baumé par la vanille, l’ambre gris et le benjoin ainsi que par le retour de la note de cumin. Vraiment, c’est l’équilibre parfait. Aujourd’hui, il me semble absolument impossible qu’une marque de couture, et par extension, une maison grand public, lance un tel parfum. Il n’est pas assez consensuel et d’ailleurs, le groupe qui détient la maison Rochas a demandé à Olivier Cresp de le décliner en eau de toilette dont la dernière version, proche dans ses notes de l’original mais dans un équilibre différent, est une vraie réussite. Le « Femme » d’aujourd’hui est sans doute beaucoup plus facile à porter car léger et facetté. La dilution est réussie mais je me plais à penser que ce parfum, en extrait, voire même en eau de parfum, serait une merveilles.

Edmond Roudnitska

Le site Olfastory en livre une description que je trouve d’une belle justesse : « En 1944, la maison Rochas présente « Femme », une fragrance femme remplit de sensualité et d’audace, qui correspond parfaitement à l’esprit libre de la fin de la guerre. « Femme » est également un parfum souhaité par Marcel Rochas, le créateur de la marque, pour sa femme Hélène, qu’il vient alors de rencontrer. Telle une déclaration d’amour, « Femme » regorge d’une féminité absolue. À la fois puissante et florale, la composition est signée Edmond Roudnitska. (…) « Femme » débute par des notes fruitées, celles de la prune et de la pêche, associées à la bergamote et au palissandre du Brésil. Originaire de Chine Méridionale, la pêche était le fruit préféré d’Harpocrate, le Dieu du silence. En France, la pêche est cultivée depuis le Moyen-âge. À Versailles, le jardin du Roi Soleil comportait plus de 30 variétés de pêche. Les pêches possèdent des chairs juteuses, fruitées et offrent un agréable parfum. En parfumerie, la pêche est reproduite en laboratoire grâce à des molécules, principalement grâce à la « gamma-undécalactone ». La pêche dégage des tonalités sucrées, fruitées, abricotées et juteuses. Puis, le cœur de « Femme » est une parfaite harmonie entre fleurs et épices, conférant à l’ensemble de la composition, sa puissance de caractère. Le cœur conjugue la rose, le jasmin, l’œillet, l’iris, rehaussé par le clou de girofle. Ce dernier est en réalité, un bouton floral issu de l’arbre giroflier. Le clou de girofle est introduit en Europe à partir du IVe siècle. Au Moyen-âge, le clou de girofle est utilisé pour lutter contre de grandes épidémies comme la peste. Le clou de girofle tient à l’heure actuelle, une place importante dans la cuisine, autant sucrée que salée et on le retrouve dans des gâteaux, des ragoûts, des sauces ou encore des mélanges d’épices. Utilisé par les dentistes, tout le monde a le goût du clou de girofle en bouche… En parfumerie, on distille les boutons floraux séchés afin d’obtenir l’essence de clou de girofle. Il dégage des tonalités à la fois épicées et florales. Enfin, le fond de « Femme » est ultra sensuel et intense grâce à la présence du benjoin, de la vanille, du patchouli, du cumin et de la mousse de chêne ». Pour ma part, je dirai que « Femme » n’est pas seulement un grand féminin. C’est un grand parfum, hors-norme, hors des modes et du temps. Il a fait la renommée et la fortune d’Edmond Roudnitska et a été, sans doute l’un des premiers parfums considéré même par son créateur comme un objet artistique.

 

 

 

Je dois dire que je n’ai pas beaucoup hésité quand on m’a posé la question de ce qui pouvait être, pour moi, le parfum le plus marquant. Il m’arrive de porter l’eau de toilette actuelle sans aucun problème mais l’original est vraiment une merveille absolue et je comprends pourquoi, après la période de guerre et d’occupation, il ait tant fasciné les femmes avec ses effluves incroyablement modernes et son flacon qui reprenait les courbes de l’actrice Mae West. C’est un parfum exceptionnel, peut-être un peu oublié aujourd’hui mais, d’une rare élégance. Aujourd’hui, « Femme » ne pourrait sortir que dans une maison de parfums confidentielle. Cela me permet de douter de l’audace des groupes financiers qui ont racheté certaines marques de niche et c’est bien dommage car l’inventivité dans la nouveauté ferait du bien, même dans le circuit sélectif.