Isabelle Larignon, entre poésie et créativité
En octobre 2022, alors qu’elle lançait son second parfum, « Milky Dragon », j’avais interviewé Isabelle Larignon. Depuis, je suis vraiment de près son travail et je dois dire qu’à chaque nouvelle composition, je suis impressionné par l’originalité et la dimension poétique de son travail. En mai, est sorti « Mandi Rhubi », sa quatrième création, j’ai eu envie de revenir sur ses quatre créations. J’ai la chance d’y avoir accès facilement et je vais tenter de vous donner mes impressions que j’ai pu compiler au cours de ces derniers mois. Je crois vraiment qu’il s’agit-là d’une maison à suivre de près pour sa dimension artistique car elle aborde la parfumerie de manière très personnelle.
C’est grâce à Marion de la chaîne YouTube Des Paons Danse Cent Heures que j’ai pu découvrir un parfum sur lequel j’avais pas mal lu de très bonnes choses et qui était à l'époque encore difficile à trouver. Il s’agit de « Le Flocon de Johann K. » créé par Isabelle Larignon en 2021 inspiré par « L’Étrenne ou la neige sexangulaire » l’ouvrage de l’astronome germanique Johannes Kepler (1571-1630). La parfumeure décrit ainsi sa création : « Les absolues mimosa et narcisse s’ébrouent au milieu de notes fraîches, aqueuses et ozoniques. Un vent froid fait virevolter pompons jaunes et pétales blancs jusqu’à la surface d’un bassin d’eau pris dans la glace. Les flocons d’une neige tardive recouvrent de silence et de blanc un jardin minéral japonais. Cerné de volutes d’encens, un maitre Zen méditant contemple ce ballet floral et aérien. Et comme seule la neige tassée et solidifiée peut brûler, les aldéhydes métallisent et durcissent la douceur de l’accord tout en le réchauffant ». Recréer l’odeur de la neige, entre notes aériennes et minérale tout en gardant le végétal, voilà ce que m’inspire ce parfum qui s’ouvre avec des notes de bergamote, de citron et de cyclamen et dont l’évolution se poursuit avec un coeur de mimosa et d’encens épicé de cardamome et enveloppé de notes ozoniques, aqueuses et mentholée et se termine sur un fond de mousse de chêne, de musc blanc et d’absolu de narcisse. Je dois dire que j’ai été à la fois séduit et dérouté par ce parfum qui « trompe un peu son monde » avec un côté à la fois très aérien, onirique et ancré dans des notes qui me sont confortable comme la cardamome, le mimosa et le narcisse légèrement cuiré. Je ne suis pas certain qu’il m’évoque la glace et la neige mais bien, c’est vrai, une certaine idée de l’hiver et d’une nature un peu endormie qui me rappelle un peu « Tristesse d’Hiver », le très beau texte de Jean-Michel Piton. Pour moi, « Le Flocon de Johann K » a quelque chose de très poétique, d’un peu nostalgique, voire même mélancolique. J’ai une certaine difficulté à décrire mes émotions mais elles sont très contrastées. En tout cas, si je veux porter un jugement purement subjectif, comme d’habitude, je dirai que ce mélange entre fraîcheur des fleurs et des aldéhydes aux accents mentholés, je dirai, sans aucune hésitation que je suis séduit.
Tout d’abord, je dois dire que j’attendais beaucoup de « Milky Dragon » lorsque j’en avais lu l’inspiration car je suis un buveur de thé incorrigible et que les différentes variétés de thé Oolong font partie des goûts et des odeurs que je connais et que j’aime depuis de nombreuses années. Je peux même dit que le premier que j’avais bu m’avait été ramené de Slovénie il y a plus de quinze ans et que j’en ai bu beaucoup grâce à des amis qui possédaient un comptoir à Lyon… Que de bons souvenirs. Dans le dossier de presse, Isabelle nous parle du milky oolong naturellement lacté : « Connue également sous les nom de Jin Xuan, Milk Oolong ou Nai Xiang, cette variété de thé a été développée à Taïwan en 1980 par le professeur Wu Zhenduo, considéré comme le père du thé taïwanais. Missionné par l’état pour accroitre la qualité et la quantité de thé produit sur l’île et la rendre autosuffisante dans sa consommation, le professeur créa le célèbre cultivar #12, aux plants plus grands et résistants que ceux d’un théier classique. En outre ses feuilles plus épaisses contiennent plus de flavonoïdes dont les catéchi- nes seraient responsables notamment des notes naturellement sucrées et mœlleuses de ce thé. Très apprécié des cultivateurs pour son rendement et sa facilité de récolte, ce thé a également été implanté en Chine et en Thaïlande. Plonger son nez dans les feuilles sèches de ce thé, c’est comme plonger dans la fourrure d’un chat casanier : il y fait chaud, doux et sec. Le nez est gourmand comme un lait sur le feu, un beurre fondu sur une brioche, réconfortant comme une châtaigne à peine rôtie, une noisette pralinée, l’automne venu. Des notes coumarinées rappelant flouve et foin séchés par l’été qui s’en fut, s’exhalent comme une consolation. Enfin cis-jasmone oblige, se mêle à l’ensemble un bouquet de fleurs blanches. En bouche, la liqueur légère, ample et ronde est florale, sucrée, crémeuse, lactée avec des effets de brioches toastées, de noiset- tes. Au fil des infusions des arômes de fruits cuits, de prunes et de figues confiturées apparaissent... S’en délecter devient difficile tant ce thé subit l’outrage des arti- fices de l’aromatisation. Privilégier les origines taïwanaises plutôt que chinoises ». L’interprétation dans le parfum m’a fasciné car, il faut bien le dire, sur ma peau, l’évolution est très longue et j’ai pu profiter de différentes « époques » du parfum. Tout d’abord, une envolée presque verte, épicée, fraîche et qui m’a tout de suite happé. Puis, mais il faut attendre un certain temps, vient un coeur décrit par le menu, jugé plutôt, beurre, cétones de rose, cis-jasmone, inonones, lactones (des molécules de synthèse aux noms venus d’ailleurs mais redoutables d’efficacité), noisette, note ozonique et absolu de sauge sclarée. Là, sur ma peau, le parfum revêt une effluve ronde, réconfortante, très fruits rouges et pourtant très lactée ce que, d’habitude, je n’aime pas du tout en parfumerie notamment avec le bois de santal et qui, là, m’enveloppe en formant un cocon très réconfortant et confirmé par le fond de cashmeran, de cèdre de Virginie, de fir balsam et de mousse de chêne qui ressort vraiment bien en ce qui me concerne.« Milky Dragon » c’est une multitudes de petites facettes qui s’harmonisent de manière surprenante. Il a presque un côté gourmand par moment mais sans jamais être trop miellé. Il sera, c’est un fait, plus consensuel que le premier parfum d’Isabelle et réussit le tour de force d’être à la fois une vraie création artistique avec vraiment un univers, et un parfum ultra facile à porter et à s’approprier.
« Il colportait les fleurs comme on essuyait les pleurs. De table en table il tendait la main aux amants, parfumant les regards enlacés de pétales éphémères. De tous ses bouquets, le jasmin était son préféré. Il le ramenait à sa terre où il résonnait sous le nom de Yãsaman. Le parfum de ses fleurs jamais n'égalait celui de son enfance et il les parsemait d'essences artificielles en quête d'une impossible reconstitution ». Et si on découvrait un jasmin sans jasmin ? Nous avons eu, à Lyon, la visite d’Isabelle Larignon que j’avais interviewé il y a quelques mois grâce à la collaboration de Marion de la chaine YouTube Des Paons Danse Cent Heures à qui je fais une bise au passage et j’avais beaucoup aimé ses deux premiers parfums « Le Flocon de Johann K » et « Milky Dragon » aussi avais-je très envie de découvrir sa nouvelle création « Bangla Yasaman », un parfum très surprenant construit autour d’un jasmin totalement reconstitué et d’un réalisme déconcertant. Isabelle est venue à Lyon et nous l’a fait découvrir « en direct ». Je dois vous dire que sentir pour la première fois un parfum avec la créatrice est un vrai plaisir que je n’avais pas eu encore l’occasion d’avoir. En plus, Isabelle est une formidable conteuse et nous nous sommes embarqués pour un voyage dans son esprit et son univers. J’ai eu la chance de porter vraiment « Bangla Yasaman » vraiment avant d’écrire mon article et je dois dire que je le trouve à la fois inédit et totalement addictif. C’est un coup de coeur il faut bien le dire. Il fera partie de mon top 20 2023 c’est certain. Il s’ouvre sur une association qui peut paraitre absolument improbable de cardamome, de petit grain et de bucchu qui donne quelque chose de vraiment très naturel et qui accroche immédiatement. Ensuite, les notes de coeur arrivent très vite sur ma peau. L’accord jasmin, je le disais, est une vraie surprise. On a toujours une image de cette fleur quand elle est synthétisée, un peu cheap alors que là, dans cette composition, il est extrêmement facetté car associé avec une fleur d’osmanthus presque fruitée et légèrement cuirée et, également de safran qui est une note que, souvent, je n’aime pas trop en parfumerie et qui, je trouve, s’harmonise parfaitement avec les autres versants du coeur. Le fond de fir balsam, de baume du Pérou, de vanille verte et de tabac lui confère quelque chose de légèrement animal, très baumé évidemment et surtout complètement original. J’ai même du mal à décrire.
Quand Isabelle Larignon m’a parlé d’un parfum vert, avec des notes fruitées, des accents de rhubarbe, j’ai tout de suite eu envie de découvrir « Mandi Rhubi ». J’ai du attendre un peu et je dois dire que j’étais vraiment dans les starting-blocks. Comme je le disais dans la présentation des nouveautés de mai, il s’agit vraiment d’un coup de coeur évident. « Parfum frais, vert et pétillant pour Messieurs Dames en mal d’été et d’herbes folles ! Parfum joyeux, Mandi Rhubi est une eau de vie qui infuse tel un Gin Tonic ! C’est le génie de la fête, la sensualité des nuits d’été. C’est ce moment magique, intense parce qu’éphémère d’une danse verticale qui exprime un désir horizontal… C’est une nuit au Théâtre Magique dans Le Loup des Steppes d’Hermann Hesse. C’est une sieste à l’ombre alors que le soleil est au zénith. C’est batifoler dans l’herbe haute et folle, Marcher pieds nus dans la rosée au petit matin. C’est étancher sa soif avec une eau fraîche et pétillante zestée de citron ». Pour moi, ce parfum est une véritable explosion de fraicheurs au pluriel avec des notes foisonnantes, équilibrées mais pas consensuelles. L’envolée, résolument agrumes est composée, entre-autres de notes de bergamote, de citron vert, de mandarine également verte et d’orange douce mais, très vite, le coeur de rhubarbe et de galbanum, rehaussé de cassis, de baies de genièvre, de poivre noir et aussi d’élémi vient réjouir mon nez. C’est un peu comme si les notes se répondaient et jouaient à partir, revenir, se mêler et se séparer. Le fond, de cède de Virginie, de cyprès et de vétiver accentue le côté vraiment vert du parfum que j’ai trouvé totalement adapté aux journées ensoleillées qui me donnaient envie de le porter. C’est un coup de coeur attendu autant qu’inattendu car j’ai quand même été dérouté. J’ai aimé les trois premiers mais alors celui-ci, honnêtement, je ne me vois plus trop m’en passer. Il m’a fait penser aux Fiancailles pour rire, le recueil de poèmes de Louise de Vilmorin, entre joie et mélancolie d’un début ou d’une fin d’été. Avec « Mandi Rhubi », Isabelle Larignon offre quelque chose de très pétillant mais de faussement léger. Je l’ai senti toute la journée sur moi et j’ai pourtant eu envie d’y revenir. C’est carton plein !
Je crois que j’ai été l’un des premiers lyonnais à craquer pour « Mandi Rhubi » qui ne fait que confirmer que j’aime beaucoup le travail d’Isabelle Larignon. J’attendais sa sortie pour revenir sur cette maison toute récente, qui va au rythme de sa créatrice qui allie poésie et inventivité. Je trouve que, même si les parfums ne sont pas très faciles à trouver. Nous avons la chance de les avoir et je ne vais pas me priver de remettre régulièrement mon nez dessus car, vraiment, j’aime beaucoup ce travail qui me rassure sur le fait que l’on lance pas forcément sa marque pour l’ajouter aux autres mais pour proposer un travail différent et passionnant.
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