Jasmin et tubéreuse, fleurs animales
Lorsque l’on pense aux notes animales, on a, bien évidemment en tête le cuir sous toutes ses formes ou encore la reproduction synthétique (et non moins réaliste) du catstoréum, de la civette ou du musc tonkin prélevé originellement sur un chevretin tibétain largement décimé et aujourd’hui protégé. On a un peu moins en tête que certaines fleurs peuvent avoir des facettes qui donnent ces notes sensuelles pour les uns mais un peu dérangeantes pour les autres. C’est suite à une discussion avec l’une d’entre-vous sur Messenger que j’ai décidé de m’y pencher à mon tour et je dois dire que j’ai trouvé plusieurs parfums très floraux qui présentent un versant franchement animal. J’ai le projet d’écrire cet article depuis fort longtemps mais il me fallait remettre mon nez dans les fragrances que j’avais en tête et ça s’est révélé un peu long. C’est la toute dernière vidéo de Marion sur sa chaîne YouTube Des Paons Danse Cent Heures qui m’a donné envie de reprendre mes recherches et de passer à la rédaction des notes que j’avais pu prendre ces derniers mois. Je remercie également Katharine dont le curiosité est également à l’origine de cet article. J’ai retenu quatre parfums dans lesquels je trouve que jasmin ou tubéreuse développent vraiment leur facette animale et je dois dire que je les trouve vraiment très beaux. Je dois être sensible à ce travail et je ne m’en doutais pas.
« Un parfum nocturne envahit l'air tiède. Nuit blanche... La fleur de jasmin, cette somnambule escalade les murs de sa voie lactée, ouvrant ses calices, se donnant l'air de rejoindre les étoiles. Adulée de tout temps, son parfum incomparable, somptueux, est la mémoire de la nuit ». C’est bien évidemment à Serge Lutens et son parfumeur attitré Christopher Sheldrake que j’ai toujours pensé et j’ai remis mon nez dans le fond d’un parfum très jasminé qui n’existe, aujourd’hui, plus qu’en flacon de table mais qui faisait partie, en 2000, dans la collection classique à sa sortie. « À La Nuit » m’a toujours séduit. C’est un parfum ou animalité côtoie bouquet de fleurs blanches. Bien évidemment, comme à son habitude, la marque ne communique pas sur les notes. Le parfum est très linéaire mais le départ est vraiment très floral avec ce qui pourrait ressembler à une gerbe de lilas blanc parsemée de muguet, de chèvrefeuille et très vite, le jasmin, profond, charnel prend de la place comme une odeur de peau humaine ou même de robe d’un cheval quand il a été douché après l’avoir fait travailler. C’est une effluve que je connais bien en tant qu’ancien cavalier et j’en sens quelques notes comme mêlées aux fleurs du mois de mai. J’ai porté « À La Nuit » et je pense que je l’ai beaucoup aimé puis, comme c’est le cas souvent, je suis passé à autre chose mais lorsque je le sens aujourd’hui, je retrouve le plaisir que j’ai eu à le découvrir il y a une dizaine d’année.
« Don’t Tell Jasmine » a été, lorsque je suis allé à la boutique Vilhelm de la rue Pierre Charron, une vraie découverte. Lancé en 2017 et créé, je pense par Jérôme Épinette, ce parfum m’a vraiment interpellé. La maison le décrit ainsi : « Elle change tout ce qu’elle touche. Pour certains, elle est la tempête qui électrise l’air autour d’elle. Pour les autres, elle est un éveil, une séduction douce qui enflamme une connexion profonde et jusqu’alors impossible. Un parfum inspiré par Elle, la seule femme qui inspire ce sentiment de force et de vulnérabilité, avec un parfum citron-kir, qui dévoile un absolu de jasmin égyptien et camélia qui laisse un musc de pétale sur peau chaude ». Après une envolée hespéridée, le jasmin égyptien très dense, très animal presque avec une odeur de peau musquée et le camélia floral prennent toute leur place. Je trouve que c’est une création d’une rare sensualité qui donne au jasmin une facette que je savais existante mais que je n’avais jamais senti autant. J’ai presque l’impression de sentir la peau d’un de mes chiens ou des chats que j’ai pu avoir lorsque leur fourrure s’est chargée des parfums de la maison ou de ceux qui ont pu migrer de ma peau sur eux. J’ai aussi l’impression du col d’un blouson en cuir adouci par les accents floraux.
En 2016, lorsqu’elle a créé « Adjatay » pour The Different Company, Alexandra Monet a accentué la côté très animal de la tubéreuse en l’associant, en tête à la mandarine jaune et à l’opulence de l’ylang ylang, au coeur à la facette amandée de l’héliotrope et bien évidemment au jasmin et, en fond au santal, à la fève tonka, à différents muscs, au styrax et à un accord cuir ainsi qu’à un accord castoreum. Le résultat est décrit par la marque de la manière suivante : « Une sensualité au versant sombre et charnel, une gourmandise interdite qui luit d'une saveur nacrée dans l'ombre d'un puissant Djinn, Adjatay, Prince des frissons parfumés. Cueillie à Grasse en été, j'ai oublié cette fleur de Tubéreuse blanche innocente dans une simple sacoche en cuir. Las, elle refusa de mourir et pendant des jours, sa chaleur entêtante s'acharna à réveiller les notes endormies de cuir aux accents de musc animal. Alexandra s'est emparée de l'idée pour la transformer, l'apprivoiser et lui donner une forme de sillage, sauvage mais élégant, tendre mais bruyant, indomptable, hypnotique. Un rituel dangereux enturbanné par les méandres des effluves narcotiques. » Je n’avais jamais rien essayé de tel. Complexe, franchement sensuel et assumé comme tel, « Adjatay » développe mon goût pour la dualité entre notes florales et animales tout en gardant, en majeur, une tubéreuse ultra présente, profonde, intense et particulièrement facettée. Elle n’est jamais médicinale ni verte mais garde le côté cuir avec lequel elle se conjugue avec une harmonie rarement égalée. J’adore « Adjatay » et je pourrais le porter sans aucun problème même si, narcotique et animal, il a un petit côté un peu subversif.
« La fusion des forces opposées est à la naissance de toute chose. On se contemple, on se surprend, on s'attire, on se rejette, on se retrouve encore et là, peut être que la fusion se révèle sacrée ». Créé en 2012 par le génial et très prolixe Bertrand Duchaufour pour Majda Bekali, « Fusion Sacrée Clair » a été, pour moi, une vraie découverte et je remercie Jessica, fidèle lectrice de ce blog depuis le début, de me l’avoir fait découvrir. C’est un parfum qui allie le gourmand et l’animal et qui esst construit autour d’une sublime qualité de tubéreuse. Ultra complexe, il s’ouvre sur des notes de café grillé et sensuel, de coriandre, de clémentine, de rhubarbe, de bergamote et de cassis et évolue vers un coeur de tubéreuse épicée de clou de girofle, allégée si j’ose dire par la fleur d’oranger et renforcée par le jasmin et le gardénia avec des accents de lait et de figue. Le parfum se pose sur un fond de benjoin et de différents baumes avec des traces amandées d’héliotrope mais également de patchouli, de musc tonkun, de musc, de cèdre et même de vanille. Ce parfum est dingue. Il n’est pas très facile à porter mais sa facette animale le rend profondément sensuel. Il m’évoque plutôt l’odeur d’une plume ou d’un pelage que d’un cuir. Il a un côté très attractif tout en pouvant être, selon l’humeur, légèrement entêtant. Je le trouve absolument superbe mais je ne sais pas si j’arriverais à l’assumer au stade de ma vie où j’en suis. Plus tard peut-être…
Je n’ai choisi que des parfums qui sont encore à la vente au moment où j’écris mais j’ai bien évidemment pensé à « Jasmin de Nuit » de The Different Company ou encore à « Tubéreuse N°3 » de Histoires de Parfums mais le premier est devenu très difficile à trouver et le second est supprimé du catalogue. Ceci dit, ils sont parfaitement dans le thème. Sujet qui, je l’espère, vous aura intéressé. En tout cas, moi j’ai adoré faire mes recherches et l’écrire. C’est une facette des floraux, des cuirs et des indéfinissable qui me plait beaucoup.
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