Jean-Claude Ellena en dix parfums
Il y avait très longtemps que je voulais survoler l’oeuvre (car il s’agit bien d’une oeuvre) de Jean-Claude Ellena mais je trouvais que c’était un vrai travail de titan vu le nombre de créations que j’aime et qu’il a inventé au cours de sa longue et fructueuse carrière et gageons qu’il n’en n’a pas fini ni avec nos narines ni avec nos émotions. En général, lorsque j’écris une revue sur un parfumeur, je sélectionne cinq parfums parmi mes préférés mais vous comprendrez bien qu’avec Jean-Claude Ellena, ce n’est absolument pas possible, j’ai donc doublé la mise et je suis encore vraiment à des centaines de lieues d’avoir listé tout ce que j’aime parmi ses créations. C’est donc tout à fait arbitrairement que j’ai décidé de me pencher à nouveau sur dix parfums qui sont, pour moi, autant de chef d’oeuvres de la parfumerie française. J’ai un peu fait l’impasse sur « First » dont j’ai déjà parlé dans mon top cassis et l’écriture riche et sophistiquée de ses débuts de parfumeurs pour me concentrer sur ce que j’aime particulièrement, c’est à dire des formules épurées, un peu dans la tradition de la parfumerie d’Edmond Roudnitska. Je trouve d’ailleurs (pardon Michel), qu’il y a vraiment une filiation dans l’écriture et j’aime vraiment beaucoup cette manière d’envisager le parfum. La parfumerie « aquarelle » de Jean-Claude Ellena ne ressemble à rien d’autre et vraiment, je trouve qu’il fait mouche systématiquement. Allez, je me lance.
Je trouve que « Eau Parfumée de Thé Vert » sorti en 1992 chez Bvlgari est un exemple parfait de la manière de composer de Jean-Claude Ellena. Tout y est, les agrumes en tête avec une dualité typique entre la mandarine et la bergamote, les épices et notamment la cardamome et le poivre que l’on retrouve très très souvent dans les jus qu’il a créé et qu’il sait utiliser à la fois subtilement et généreusement. Le coeur floral, entre muguet et rose est particulièrement délicat et demeure, pour moi, l’ADN de cette eau merveilleuse. Le fond de muscs blancs, de cèdre et de bois de santal organisé autour d’un thé vert japonais qui pourrait bien être du sencha est vraiment d’une rare élégance. J’aime beaucoup les parfums construits autour des notes de thé et celui-ci ne fait pas exception à la règle. En 1996, Jean-Claude Ellena a revu sa création pour en faire « Eau Parfumée de Thé Vert Extrême », plus épicée et avec des notes de fleur d’oranger. Je l’avais bien aimée mais pas autant que l’originale qui est une vraie réussite à mon goût.
Je vais faire l’impasse sur les gros succès pour Hermès car j’en parle souvent pour me concentrer sur mon Hermessence préférée mais, dans les bests, j’avais quand même envie de parler de « Déclaration » de Cartier sorti en 1998 non pas parce qu’il me correspond mais surtout parce qu’il ne ressemble à rien d’autre. À cette époque, Jean-Claude Ellena créait encore des formule ultra sophistiquées et celle-ci est très déroutante. Présenté à l’époque comme le parfum d’un aventurier ou d’un navigateur, ce boisé au départ très épicé avec des notes de coriandre, de carvi mais aussi d’armoise et de cardamome, équilibré avec la bigarade, le néroli et la mandarine donne déjà le ton. Le coeur est une overdose d’iris sublimé par d’autres épices telles le gingembre, la cannelle, le poivre noir mais aussi le jasmin qui lui confère quelque chose de classique. En fond, on retrouve un accord cuir de Russie avec le bois de bouleau sombre et la mousse de chêne mais la note de thé noir est particulièrement identifiable ainsi que le bois de cèdre et le vétiver. Riche, un peu « tarabiscoté », « Déclaration » de Cartier est un parfum complexe mais extrêmement facile à porter. Je l’ai essayé pour écrire ce top et je me suis dit qu’il aurait fait un tabac dans une marque plus exclusive. S’il n’est pas nécessairement pour moi, je le trouve quand même magnifique.
Hier j’ai redécouvert « Angéliques sous la Pluie » créé en 2000 pour les éditions de parfum Frédéric Malle dont j’ai déjà pas mal parlé mais qui est, dans la marque, l’une des créations que j’aime particulièrement. L’ouverture très fraiche m’a donné tout de suite envie puis le parfum devient assez linéaire entre le côté à la fois floral et aromatique de l’angélique rehaussé par le poivre rose et la coriandre. Le fond de muscs blancs donne vraiment quelque chose de très agréable et cocon. Il y a quelques mois, lorsque j’ai découvert ce parfum qui est, je trouve la quintessence de l’art de Jean-Claude Ellena, j’en ai eu envie mais, je dois dire que sa tenue sur moi est assez courte et que je trouve que c’est un peu frustrant mais c’est toujours ce que je regrette un peu avec son écriture « aquarelle » même si je sais qu’il faut accepter cet état de fait. Ceci dit, le côté très poivré de « Angéliques sous la Pluie » est vraiment tout ce que j’aime. Je trouve qu’il y a quelque chose d’unique et de vraiment « jubilatoire » dans ce parfum. J’ai gardé la touche et l’ai re-sentie ce matin en me disant que vraiment l’évolution était telle que je m’en souvenais, c’est-à-dire très belle.
Je parlais des Hermessences et, lorsque j’y pense, il y en a surtout deux que j’aimerais porter. « Brin de Réglisse » et surtout « Paprika Brasil » créé en 2006 et qui est, pour moi l’une des plus belles et des plus singulières. Je trouve que l’association très épicée du paprika, du piment et du clou de girofle en tête est juste une merveille. Le coeur d’iris travaillé de manière à la fois ver et poudré est vraiment singulier tout autant que l’est, le fond de bois d’ébène, de bois de Massaranduba du Brésil et de réséda. Je trouve que ce parfum est vraiment incroyable. Quand je l’ai essayé, j’ai trouvé qu’il prenait sur la peau de mon bras de très nombreuses facettes. Vraiment, c’est un coup de coeur. Je mettrai deux bémols cependant, tout d’abord son prix que je trouve vraiment prohibitif même si je suis prêt parfois à dépasser ma limite et aussi, mais je m’y attendais, sa tenue un peu courte même si elle est plus longue sur moi que d’autres créations de la collection (j’ai souvenir de « Poivre de Samarcande » qui s’évaporait vraiment vite) et même de parfums d’autres marques que j’aime.
Jean-Claude Ellena a été, durant 12 ans le parfumeur de la maison Hermès et ses créations sont nombreuses dans toutes les collections. Je ne reviendrai pas sur celles des gammes classiques mais j’avais envie d’évoquer, car je ne l’ai jamais fait, celle des jardins qui est vraiment très belle et dans laquelle on sent qu’il avait carte blanche. Les parfums de cette gamme sont tous intéressant mais mon préféré est « Un Jardin sur le Nil » créé en 2005 car la dualité entre la graine de carotte et le pamplemousse au départ est une véritable merveille surtout associé à la feuille de tomate et à une mangue verte super surprenante. Le coeur construit autour d’une orange profonde et confite avec des notes fleuries de lotus, de jacinthe et de pivoine est vraiment splendide et l’originalité du jonc, très vert et qui, c’est vrai, m’évoque une balade sur le Nil, lui donne quelque chose de très singulier. Le fond d’iris, de ciste, de cannelle et d’encens est particulièrement délicat et vraiment j’ai adoré l’essayer. Je pense que je pourrais y venir le temps d’un été.
Il y a quelque chose chez Houbigant de la belle parfumerie traditionnelle à la française et j’ai trouvé très intéressant que, en 2018, la maison demande à Jean-Claude Ellena de reformuler « Essence Rare » créé par Robert Bienaimé en 1928 pour le sortir dans une concentration proche de l’extrait dans le flacon fleur mythique de la marque. « Essence Rare » a un nouveau contenant, une nouvelle robe, en gros, il va bien et les amateurs vont pouvoir le retrouver avec délice. Après un départ de mandarine et de bois de santal, c’est un bouquet floral délicieusement désuet avec un coeur de jasmin, de rose et de muguet et un fond poudré et ambré renforcé par un iris délicat. « Essence Rare » est très représentatif ce l’élégance vue par Houbigant et je trouve que le fait d’avoir épuré l’écriture de sa formule met encore plus en valeur les belles matières premières qui le composent. Attention, il ne faut pas chercher dans cette belle collection une modernité qui n’est ni la signature de la maison ni l’idée de départ. Ce sont des classiques, merveilleux, un peu surannés et tellement chics. Je trouve que c’est une belle réussite.
« Bois Farine » créé en 2003 pour l’Artisan Parfumeur par un Jean-Claude Ellena revenu d’un séjour studieux à l’île de la Réunion est l’une des créations à la fois du parfumeur mais aussi de tout le marché les plus originales. Il ne ressemble absolument à rien d’autre et c’est vrai qu’il a vraiment une facette « farine ». Alors là, Jean-Claude Ellena y est allé à fond dans le côté poudré et c’est comme un talc étonnant qui nous enveloppe lorsqu’on le porte. L’ouverture est l’iris associé aux muscs blancs, le coeur est composé de bois de santal, de jasmin et de benjoin et le fond, qui est le plus étonnant est un bois précieux venu tout bois de la Réunion dont le nom m’échappe associé au bois de gaïac et au cèdre renforcé par une molécule qui fait ressortir les notes poudrées. Alors, entre « farine à biscuits », poudre de riz et d’iris, ce parfum si singulier est vraiment une merveille et fait partie, à mon sens, des chefs d’oeuvre de son auteur. Je l’ai essayé plusieurs fois et j’ai adoré même si je n’ai pas encore franchi le pas. Je pense que j’y viendrai car vraiment je l’aime beaucoup.
En attendant de découvrir « Mimosa Tanneron » et « Lavande Romaine », je vais quand même revenir sur « Jasmin de Pays » créé par Jean-Claude Ellena pour Perris Monte Carlo en 2019 parce que je le porte beaucoup et parce que je l’aime énormément. Construit autour du jasmin de grasse, c’est un parfum à la fois floral et vert comme l’est la note de cette variété. Le jasmin est présent tout au long de l’évolution et c’est vrai qu’il a un côté soliflore mais je retrouve tout à fait d’autres composants comme le clou de girofle et les muscs blancs. Tantôt vert, tantôt amandé, ce parfum est une véritable petite merveille. J’adore le porter en cette saison qui devient chaude car il est une explosion de bien être. Je trouve que, comme toujours chez Perris Monte Carlo, les plus belles matières premières sont recherchées et utilisées afin de les mettre en valeur dans un parfum. Avec « Jasmin de Pays » c’est carton plein ! J’adore ce parfum et il fait partie de ceux que je porte le plus en ce moment.
Lorsque, en 2000, Jean-Claude Ellena a lancé The Different Company, il a voulu créer des parfums différents, épurés mais singuliers. Dès que je l’ai découvert, j’ai adoré, je l’ai dit souvent, « Bois d’Iris » que j’ai énormément désiré et que j’ai porté avec délice. Il est, pour moi, l’un des chefs d’oeuvre de son créateur et je l’aime toujours autant. Nul doute que j’y reviendrai un jour. J’aime énormément la manière encore une fois « aquarelle » avec laquelle Jean-Claude Ellena travaille cette matière. « Bois d’Iris », c’est la dualité entre le cèdre et l’iris. À la fois vraiment boisé, il a des accents poudrés et aussi floraux avec cette note d’ylang ylang inimitable. Le fond se fait cuiré, élégant et doux à la fois. Sur la peau, le développement est absolument unique. Il ne tombe dans aucun écueil et n’est absolument inédit pour ceux qui ne le connaissent pas car il ne ressemble à rien d’autre. C’est un parfum extraordinaire et, j’insiste, il est peut-être, pour moi, parmi les plus belles réussites de son créateur même si je pense souvent cela lorsque je sens l’un de ses parfums.
Toujours en 2000, Jean-Claude Ellena a créé pour The Different Company « Rose Poivrée » qu’un de mes amis a énormément porté. Je l’ai déjà évoqué mais je ne pouvais pas ne pas y revenir tellement je le trouve réussi. Je trouve que l’opposition entre la douceur poudrée de la rose et les différents poivres utilisés associés au fond de vétiver et d’un accord civette, relevé par la coriandre est d’un équilibre parfait. Je suis fan de ce parfum qui est à la fois délicat et profondément androgyne. Je pense qu’il peut être à la fois hyper élégant sur un homme affirmé voir même avec un jean et un tee shirt blanc que sur une femme en robe du soir. Pour moi, « Rose Poivrée » est suffisamment excentrique pour plaire aux plus « fashion » d’entre-nous comme à ceux qui sont classiques et veulent une petite pointe d’originalité. Ce jus date déjà un peu mais il faut le redécouvrir sans cesse car il est vraiment magique.
Parfums aquarelle, parfums caméléon, parfums épurés, parfums sophistiqués, l’oeuvre de Jean-Claude Ellena est immense et vous trouverez, j’en suis sûr, un ou plusieurs jus qui vous plairont beaucoup. De plus, il est aussi un auteur et a écrit plusieurs ouvrages passionnant. Je vous joins sa bibliographie car un de ses livres peut-être un super cadeau pour les amateurs parfums. De plus, je trouve qu’il parle du parfum comme personne. Vous trouverez en annexe la vidéo d’une des nombreuses interviewes qu’il a donné ces dernières années et qui sera, j’en suis sûr, tout à a fait passionnante.
BIBLIOGRAPHIE
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