
Il m’est impossible d’écrire un article retraçant la carrière de Jean-Claude Ellena tant elle est riche. De « First » de Van Cleef & Arpels à « Rose et Cuir » pour les éditions Frédéric Malle en passant par « Bois d’Iris » pour The Different Company ou « Bois Farine » pour l’Artisan Parfumeur et bien d’autres chef d’oeuvres de la parfumerie, il a inventé des fragrances formidables, souvent « aquarelles » et je crois que ce qui me touche le plus dans le talent et le savoir-faire de ce parfumeur, c’est l’ouverture d’esprit et la liberté de création qui est la sienne même lorsqu’il compose pour une grande marque de luxe. Enfin, il me faudrait plusieurs articles pour faire le tour de son oeuvre, car il faut bien parler d’une oeuvre. J’ai donc décidé de me concentrer sur la très belle collection privée de la maison Hermès. En général, je suis plutôt dubitatif en ce qui concerne cette démarche des marques mainstream mais je trouve que les Hermessences se démarquent vraiment de ce qu’ont fait les autres pour deux raisons. La première est la totale liberté de création du parfumeur qui est complètement évidente et la seconde le choix d’avoir créé des parfums en transparence et en légèreté. On peut sans doute regretter le manque de tenue parfois de certaines créations et le prix qui reste très élevé mais, vraiment, je trouve que les Hermessences méritent que l’on s’y arrête. J’ai évoqué déjà « Muguet de Porcelaine » et, donc, j’en ai sélectionné quatre autres qui me plaisent particulièrement.
Le premier est poudré et très épicé et a été lancé en 2006. Il s’agit de « Paprika Brasil ». Je dois dire que son originalité a été un véritable coup de coeur pour moi. L’envolée de piment, de paprika et de clou de girofle est vraiment magnifique et nous conduit vers un coeur d’iris, poudré, délicat et vraiment chic. Le parfum est soutenu par un fond de réséda et de bois précieux tel le Massaranduba et l’ébène. C’est une création qui m’a énormément séduit. Je trouve que Jean-Claude Ellena y est allé à fond dans le paradoxe en inventant une fragrance complètement inédite, entre piquant et douceur. Je lui trouve également une certaine fraîcheur. J’avais un peu peur qu’il m’emmène vers un versant « épices de cuisine » et pas du tout. Il est chic, élégant, intriguant. Je suis vraiment conquis par « Paprika Brasil ».
J’ai toujours eu un faible pour cette note. Si je vous dit « Lolita Lempicka au Masculin » la première version créée par Annick Ménardo ou encore « Bois de Réglisse », la trop éphémère eau de toilette de Caron… Vous avez trouvé, la note c’est la réglisse, boisée, inimitable intense. Je la porte aujourd’hui dans « Peau de Pierre » créé par Daphné Bugey pour Starck Parfums dont j’ai déjà pas mal parlé. Il était donc logique, en découvrant les Hermessences, que je m’arrête sur « Brin de Réglisse » lancé en 2007. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce parfum a une écriture épurée. Je reconnais seulement deux notes, la lavande et le bois de réglisse. Il me ramène complètement dans ma zone de confort et sa subtilité, sa transparence et sa délicatesse ne pouvaient que me séduire. Mois « hors-norme » que certaines autres Hermessences peut-être mais frais, presque « zen », il est un petit bijou et, s’il n’a pas la notoriété d’autres créations de la collection, il est, pour moi, une belle réussite tant artistique qu’olfactive et je l’aime vraiment beaucoup.
Vert, épicé, pimenté même, « Poivre Samarcande », créé en 2004 par Jean-Claude Ellena n’est pas un parfum pour moi, je le sais pour l’avoir essayé mais j’en aime la réalisation artistique et la construction ultra moderne autour du poivre. C’est un boisé, résolument, franchement mais pas un boisé comme les autres. Le départ est composé de graine de carvi, de mousse de chêne et de piment, le coeur est un poivre noir prenant et aromatique et le fond de cèdre de Virginie le rend encore plus cohérent et élégant. J’ai tout de suite aimé la création. Je l’ai essayé et, franchement, son développement sur moi n’est pas ce que j’attendais. Je le trouve un peu plat lorsqu’il est sur ma peau. Si je devais le porter, je le vaporiserais sur mes vêtements pour limiter l’évolution. Ceci dit, je pense que je n’ai pas vraiment la personnalité pour le porter ce qui n’empêche pas que je le trouve magnifiquement réussi.
Légèrement extravagant avec son départ de tabac blond et de bois de santal, « Vétiver Tonka » lancé en 2004 est, pour moi, l’essence même de l’art de Jean-Claude Ellena. C’est un boisé profond avec une fève tonka pas du tout gourmande et des notes pralinées. Il pourrait être gourmand et il ne l’est pas. C’est réellement d’un vétiver qu’il s’agit mais travaillé de manière complètement inédite, impertinente, ravissante même. Sur le papier, « Vétiver Tonka » a tout pour ne pas me plaire et pourtant, lorsque je l’ai essayé, j’ai eu un vrai choc olfactif dans le bon sens du terme. Heureusement qu’il porte la signature « aquarelle » du parfumeur car sinon, je pourrais le trouver trop « costaud ». Là, travaillé de cette manière, il est parfait. En tout cas je l’aime beaucoup.
Si j’aime les Hermessences, je ne pense pas que j’investirais dans un grand flacon. Je préfèrerai un coffret découverte afin de pouvoir en porter plusieurs. Le prix est élevé et, je l’admets, ça m’arrête un peu pour l’instant mais j’y reviens souvent et les essais ont été très concluants en tout cas à ce qui me concerne. J’espère, très vite, pouvoir remettre mon nez dedans.