Comme tous les passionnés de parfums, j’ai été, de tous temps, impressionné par la talent et l’inventivité de Jean-Paul Guerlain, né en 1937 à Paris. Si j’ai déjà évoqué l’origine de la maison et le travail de son grand-père et prédécesseur Jacques dans l’article sur « Pourquoi j’Aimais Rosine », je ne m’étais pas penché sur un travail qui a, c’est indéniable marqué ma vie d’amateur de parfums. J’ai été, depuis très jeune un vrai « guerlinophile » et si, aujourd’hui, je me suis éloigné de cette maison, je crois qu’il est nécessaire de revenir sur le talent du dernier Guerlain a avoir été parfumeur. Il a créé de nombreuses fragrances au cours des années et, afin de survoler sa carrière, j’en ai choisi six (trois féminins et trois masculins) qui m’ont particulièrement plu ou mieux particulièrement impressionné.
Notes biographiques :
« Adolescent, Jean-Paul Guerlain voulait devenir professeur de lettres. Il fait ses études au lycée Condorcet de Paris, mais affecté par des problèmes de vue, il se tourne très vite vers la parfumerie. Formé au métier de « nez » auprès de son grand-père Jacques Guerlain, alors âgé de plus de 75 ans. Il ne tarde pas à devenir un expert de la « guerlinade » et rejoint en 1955 l'entreprise familiale où il est stagiaire-apprenti durant quelques années. Alors que logiquement son frère aîné Patrick aurait dû reprendre la direction, Jacques Guerlain, à la suite d'un défi lancé à son jeune petit-fils quant à la réalisation d'un parfum de substitution à Jonquille, annonce que Jean-Paul lui succédera à la tête de l’entreprise(…). Capable de reconnaître trois mille nuances olfactives, il fut durant un demi-siècle le créateur de parfums célèbres. Pendant plus de 45 ans, il crée quarante-trois parfums de renommée internationale dont Vetiver (sa première création en 1959), Chant d'arôme (1962), Habit Rouge (1965), Chamade (1969), Guerlinade, Parure (1973), Eau de Guerlain (1974), Nahéma (1979), Jardin de Bagatelle (1983), Derby (1985) et Samsara. C'est notamment lui qui introduira les essences de civette dans les parfums avec Parure pour première réalisation. Jean-Paul Guerlain a toujours été un défenseur du travail d'apprentissage des « nez » qui devaient « faire leurs gammes » et se plaisait peu à l'introduction de techniques scientifiques telles que l'usage de la chromatographie en phase gazeuse pour la détermination et purification individuelle des composants moléculaires d'une essence et leur utilisation après synthèse chimique. Ses parfums ont ainsi été composés à près de 80 % par des produits et essences naturels, récoltés lors de voyages dans différentes parties du monde. En 1992, il prend la direction de l'entreprise qui est acquise par le groupe LVMH en 1994, mais dont il reste à la tête jusqu'en 2002. Il a vendu en 1996 ses actions de Guerlain, dont il n'est plus salarié depuis 2002. Il a été le président fondateur, actuellement président d'honneur, de la Cosmetic valley. » - Source internet.
Trois féminins :
Lorsque je cherchais un nouveau parfum, il y a bien des années, je me baladais sur les Champs Élysées et je suis rentré dans la boutique historique de la marque. Je commençais à ne plus vouloir porter « Habit Rouge » et je souhaitais aller vers quelque chose de très différent. Curieusement, c’est vers un féminin que le vendeur m’a dirigé, un floral, et ce fut « Chat d’Arômes », créé par Jean-Paul Guerlain et lancé en 1962. J’avoue qu’il m’a séduit. Je l’ai essayé mais, à cette époque, je n’étais pas encore prêt pour ce genre d’odeur mais j’ai aimé son côté jasminé et arrondi par des notes d’ylang ylang, de gardénia et de chèvrefeuille. J’ai aussi aimé la note incongrue de prune et le fond de vétiver et de vanille poudré par la fleur d’héliotrope. « Chant d’Arômes » porte très bien son nom et je le trouve très intéressant. Il n’est pas du tout daté et je pense que, s’ils sortait aujourd’hui, il remporterait un vif
succès.
« Chamade » est sorti en 1969 et je le trouve tout à fait emblématique de l’époque Jean-Paul Guerlain car il est la parfaite transition entre les « traditionnels » et les « modernes » de la maison. C’est un floral aldéhydé dans la plus pure tradition de la parfumerie du début du XXème siècle. Très complexe, il a aussi un côté presque « salé » en fond qui contrebalance les notes de jacinthe que je trouve très présentes. J’aime beaucoup « Chamade », il est très élégant et en même temps, un peu impertinent. Pour moi, il est, sans vraiment l’exprimer, le dire, à la fois très différents de l’esprit maison et complètement dans l’imagerie que véhiculait la marque dans cette fin des années soixante où le monde changeait énormément. Malgré un côté « bouquet de fleurs » et une facette aldéhydée, je le trouve, au final, très contemporain. Je ne connais que l’actuelle version et je pense qu’il a été plusieurs fois reformulé mais je le trouve très facile à porter et en même temps très inventif.
Pour moi, « Jardins de Bagatelle » créé en 1983 est le chef d’oeuvre féminin de Jean-Paul Guerlain. Une personne que je côtoie très régulièrement l’a beaucoup porté et j’en ai énormément profité pendant très longtemps. Je l’ai toujours adoré. Ce travail autour de l’ylang ylang, de la violette et du narcisse est une véritable explosion ! Je ne sais pas combien de variétés de fleurs ont été utilisées pour créer ce parfum mais je le trouve particulièrement incroyable. C’est un chypre sans mousse de chêne qui renoue, je trouve, avec les grands Guerlain comme « Mitsouko », « Shalimar » ou « l’Heure Bleue » créés par le grand-père de Jean-Paul. Bien qu’il n’ait été créé que dans la seconde partie du XXème siècle, je dirai qu’il est d’hors et déjà mythique et que c’est un must absolu. Il a marqué son époque et pourtant il est parfaitement intemporel et ne fait pas du tout années 80 comme la plupart des fragrances sorties dans ces années-là. « Jardins de Bagatelle » est vraiment à redécouvrir.
Trois masculins :
Créé en 1959 et très largement inspiré de celui de LT Piver, « Vétiver » de Guerlain est une complète réussite sur le plan de la création. C’est un parfum trompeur, boisé, aromatique, qui peut paraitre simple lorsqu’on le vaporise mais qui prend toute sa singularité sur sa première évolution. Avec cette création, Jean-Paul Guerlain renoue avec le classicisme, mieux, il le remet au goût du jour à une période où ce n’est pas du tout dans l’air du temps. « Vétiver » est devenu, depuis, un incontournable des parfums Guerlain et je le comprends. Je l’ai l’ai porté complètement par hasard, suite à une erreur de cadeau, il y a quelques années et je me suis fait très plaisir. Je l’ai vraiment beaucoup aimé même s’il me fallait m’en doucher car la tenue est ce qu’elle est, c’est à dire relativement courte. Je n’aime pas tellement la version intense lancée quelques années plus tard. Il y a quelques temps, j’ai re-senti « Vétiver » et je l’ai trouvé un peu changé. L’équilibre entre les notes d’agrumes et les notes de bois terreux de la matière première me semblait moins respecté mais peut-être faudrait-il le réessayer.
J’ai déjà évoqué « Habit Rouge » que j’ai énormément porté et « Derby » qui est, pour moi, une véritable réussite, aussi ai-je choisi de plutôt choisir « Héritage », créé en 1992 et sorti dès le départ en deux concentrations, eau de toilette et eau de parfum (c’est cette version que j’ai porté) et qui a remporté immédiatement un vif succès. Très novateur, il était, à l’époque, un des rares parfums à s’ouvrir avec des notes aromatiques, hespéridées et aldéhdydées à la fois. C’est un boisé épicé et ambré d’une grande complexité et construit autour d’une rose et de notes poivrées sur un fond de mousse de chêne et de cèdre soutenu par des notes ambrées et lactées du bois de santal. J’avais adoré ce parfum lorsque je l’ai découvert, plus de dix ans après sa sortie et je l’ai acheté sans vraiment me poser de question. Je trouvais que, non seulement il ne ressemblait à rien d’autre, mais qu’en plus, il s’en dégageait une originalité et une élégance tout à fait séduisantes. Si aujourd’hui, il peut paraitre un peu désuet, je pense qu’il était, à l’époque de sa sortie, très moderne, très contemporain et j’ai adoré le porter. Le seul soucis a été la fin du flacon. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour que ça arrive mais le jus a tourné et il a fini par sentir l’ammoniaque. J’ai eu du mal à re-sentir « Héritage » pendant longtemps suite à cela mais je l’ai senti sur quelqu’un il y a quelques semaines et j’ai à nouveau bien aimé.
Lancé en 2010 dans la collection des Parisiens, « Arsène Lupin Voyou », est l’un des derniers parfums masculins créés par Jean-Paul Guerlain. C’est un chypré sans mousse de chêne avec un fond de patchouli construit autour d’une note de ciste et de benjoin qui vient adoucir des notes d’épices un peu trop « piquantes » pour mon goût à un moment de son évolution. Si je reconnais que c’est une très belle création, je me dis que ce n’est absolument pas un parfum pour moi. Je l’ai essayé lors d’une autre pérégrination dans grands magasins parisiens il y a quelques années et je lui ai préféré, de loin, « Arsène Lupin Dandy », également créé par Jean-Paul Guerlain mais qui a, aujourd’hui hélas, été retiré de la collection et qui avait des accents de violette tout à fait chic.
J’ai eu envie aujourd’hui de revenir par petites touches d’un pinceau pointilliste, sur l’immense carrière de Jean-Paul Guerlain qui, malgré des déclarations à Elise Lucet à la télévision il y a quelques années qui m’avaient énormément choquées, reste sans doute l’un des parfumeurs majeurs de le seconde moitié du XXème siècle et des premières années du XXIème. Je me rends compte que j’ai essayé et même porté plusieurs de ses créations avec un délice non dissimulé et que son travail a sans doute très largement contribué à forger ma passion pour le parfum. J’admets que je ne m’étais jamais fait cette réflexion avant d’écrire cet article et même si, chez Guerlain, je suis plus attaché aux créations de Jacques car « Après l’Ondée » reste ma préférée et que j’ai grandi en sentant les effluves de « Shalimar » que portait ma mère, je suis très impressionné par le travail colossal accompli par son petit-fils.
