Passion Parfums

Durant très longtemps, la parfumerie était une affaire d’hommes. On entendait des nom comme Ernest Daltroff, François Coty, Jacques Guerlain ou encore Ernest Beaux puis, un peu plus tard, bien évidemment, Edmond Roudnitska. Il faudra attendre les années 40 pour voir apparaître des parfumeuses ou des parfumeures, je ne sais pas vraiment quel est le meilleur terme. La première, Germaine Cellier, est dotée d’un très fort caractère. Elle est un vrai personnage de roman ou de film tant elle s’avère atypique et profondément talentueuse. On lui doit des chefs-d’oeuvre comme « Bandit » ou « Fracas » pour Robert Piguet mais aussi, le très regretté « Vent Vert » de Balmain. D’autres suivront. Je pense à Joséphine Catapano (« Fidji » pour Guy Laroche entre autres) et, plus tard, dans les années 80, Annick Goutal, Isabelle Doyen et Patricia de Nicolaï. Aujourd’hui, elles sont aussi nombreuses que les hommes à nous apporter leur talent, leur personnalité et la nouvelle génération regorge de jeunes femmes inventives, brillantes, qui offrent à la parfumerie leur originalité et leur savoir-faire. C’est à la demande de Diane, l’une des lectrices fidèles de ce blog et de Sylvain qui m’a fait la même demande, que j’ai décidé d’écrire un article dans lequel je réessayerai cinq parfums créés par des femmes de la nouvelle génération. Un éclairage original sur l’art olfactif. Je peux vous dire que je me suis fait plaisir ! J’espère bien vous emmener dans mon sillage (sans jeu de mot) et vous donner envie d’aller sentir, essayer, vivre avec ces compositions toutes plus réussies les unes que les autres.

 

Irène Farmachidi

La première créatrice dont j’avais envie de parler a beaucoup collaboré avec Sylvaine Delacourte pour sa marque éponyme. Elle s’appelle Irène Farmachidi et le mot qui me vient à l’esprit lorsque je pense à ce que je connais de son travail est « délicatesse ». Elle a travaillé pour d’autres marques mais j’ai plutôt accès à celle-ci donc je suis allé redécouvrir tous les parfums qu’elle a composé pour les diverses collections. Celui qui revient, toujours et encore, est « Lilylang » dont j’ai déjà parlé pas mal donc j’en ai choisi un autre. J’ai choisi une composition de la collection fleur d’oranger qui porte le nom d’ « Ozkan ». « Fleur d’oranger aux notes de cuir, elle est à fois lumineuse, présente et douce comme une caresse. Ozkan est un nom d’origine ottomane, celui d’un prince poète épris d’amour pour une jeune femme dont il n’a comme souvenir que le parfum enivrant de la fleur d’oranger. Ozkan parcourt le pays à sa recherche, dans sa sacoche de cuir, il emporte avec lui des pétales blancs et lumineux de fleur d’oranger afin de ne jamais oublier l’instant de cette rencontre ». Je ne trouve pas toujours les parfums de la marque très aboutis mais celui-ci est à la fois original et très facetté. J’étais complètement passé à côté lorsque je l’ai découvert il y a quelques années mais je trouve que, finalement, il gagne à être réessayé car, sur ma peau, le développement s’avère très intéressant. Le départ de mandarine peut sembler un peu ordinaire mais il faut absolument attendre les notes de coeur que je trouve vraiment originales avec ce mariage de la fleur d’oranger avec le côté très dense de l’immortelle qui se renforce au fond avec un socle de cuir, de fève tonka et de patchouli. Je trouve que ce parfum très délicat et nuancé est tout à fait emblématique d’une signature que j’arrive déjà à identifier très facilement. Irène Farmachidi a un soucis : l’élégance. Avec « Ozjkan », elle lui allie la singularité donc c’est carton plein.

Amélie Bourgeois

Amélie Bourgeois est aussi un nom qui compte notamment depuis qu’elle travaille avec Anne-Sophie Behaghel pour Studio Flair. À ce jour, elle a créé plus de 150 parfums et je ne peux pas ne pas dire que je suis impressionné tant plusieurs d’entre-eux sont des bijoux. Il y a plus de dix ans qu’elle s’est mise à inventer des parfums je trouve qu’elle excelle dans les notes modernes et inédites. J’ai déjà parlé de nombre de ses créations et je voulais attraper un autre biais en cherchant un parfum que je trouve vraiment emblématique de son travail. Je ne reviendrai donc pas sur les merveilles inventées pour Olibere puisqu’on ne les trouve pratiquement plus hélas. Je me suis concentré sur un emblématique de BDK. Il s’agit, bien évidemment, deRouge Smoking » que j’avais adoré à sa sortie en 2018. Rond, amandé, jamais sucré, c’est une cerise élégante et ce n’est pas facile. C’est comme si Amélie Bourgeois avait travaillé le noyau du fruit. Après donc une envolée de cerise conjuguée avec la bergamote et les baies roses. Le coeur d’héliotrope et de vanille est travaillé tout en douceur et en délicatesse qui se confirme avec un fond très bois de cachemire auquel la créatrice a ajouté des traces de labdanum, de fève tonka, de muscs et d’ambroxan. « À la tombée de la nuit le ciel devient brumeux et laisse entrevoir à travers la fenêtre la lumière rouge du moulin. Les klaxons retentissent et un esprit de fête s’invite dans la ville. Devant sa coiffeuse, elle se prépare et se maquille. C’est le temps de la mise en beauté. Elle rejoint l’autre pièce et entre dans son dressing. Elle retire du cintre ce smoking qui l’inspire et qui souligne son corps. Le chic parisien, elle connait bien. La mode aussi. Son allure bohème et son énergie charnelle marquent son empreinte dans les rues. C’est elle la fille de Pigalle... Si belle et mystérieuse… ». Pour moi, ce parfum est androgyne (je l’ai porté) et particulièrement chic. Il porte bien son nom car il allie un faux classicisme avec une vraie envie subversive mais tout en douceur. C’est le foulard de soie oublié sur un fauteuil ou encore le col d’un manteau ou d’un blouson qu’on retrouve avec délice. Amélie Bourgeois a le moyen de nous faire sentir mais encore plus de nous fair rêver.

 

Camille Chemardin

 

Il est aussi un nom qui revient comme une petite musique à mes oreilles de perfumista depuis quelques temps. Il s’agit de celui de Camille Chemardin qui est vraiment très jeune apparemment mais à déjà 24 parfums à son actif. J’ai hâte de découvrir la nouveauté qu’elle a créée pour Borntostandout mais, c’est la création qu’elle a réalisée pour Frapin en 2021 qui a vraiment recueilli mes suffrages. Il s’agit de « Checkmade». « C’est dans le jardin en face de la demeure, construite en 1702 au-dessus du site de production, qu’Henri Frapin aime se relaxer en ces dimanches de printemps. Il pense à cette région, de bois, de rivières et de pâturages, qui l’a vu naître et qui coule dans ses veines. Il réfléchit à cette manne prodiguée par ce nectar que la famille produit depuis 1889. Son moment favori est celui où son fils se joint à lui vers 11h lorsque les rayons du soleil réchauffent ce promontoire de forêt au-dessus de Segonzac. L’échiquier est déjà prêt. Son fils s’assoit et, sans un mot, reprend le cours de ce combat métaphorique, de cette union avec son père dans le plaisir du jeu. La brise printanière entraîne sur ses ailes l’odeur fraîche des bosquets environnant. Le soleil réchauffe les agrumes qui mûrisse… ». C’est un parfum complexe, très nuancé avec un départ d’essences de bergamote et de citron italiens et de cardamome indienne. Puis vient un accord cuir vert, de fleur d’héliotrope et d’iris. Le fond, basé sur un côté suédine et bois à assez étonnant. J’ai beaucoup aimé ce parfum sur ma peau. Il ne faut pas le sentir sur une touche mais oser directement le poser sur ma peau. C’est un de mes parfums préférés de la marque. Il est de toute beauté.

Marie Schnirer

 

 

 

 

Dans la nouvelle génération, je citerai encore Marie Schnirer dont j’entends beaucoup parler et qui, avec Patrice Revillard, a créé la maison de composition Malestrom. Je n’avais pas été très impressionné par ses premières créations mais j’ai beaucoup aimé ce qu’elle a inventé pour la très jolie marque Les Fleurs de L’Art inspiré de l’oeuvre impressionniste de Claude Monet. Je me suis donc intéressé d’un peu plus près à son travail et j’ai découvert que, outre « Nuit de Sable » qui est mon parfum BDK préféré, elle avait collaboré avec pas mal de marques pour inventer des jus très intéressants et notamment « Avant et Après » sorti en 2022 chez Isabey et qui est un bien beau parfum solaire. « Avant et Après fait partie des derniers lancements d’Isabey dans les années 1930, comme Tendre Nuit et Prends-moi (take-me). Entre romance et sensualité, ce nouveau parfum est la continuation de la rencontre entre deux cœurs amoureux. Qui étaient-ils avant? Et que seront-ils après? Leur façon d’aimer sera parfumée avec les notes sucrées et salées d’Avant et Après. Le nom Avant et Après évoque l’émotion, la transition provoquée par une rencontre unique. La couleur blanche brillante du flacon représente la pureté du moment, la couleur or lumineuse de la plaque et du ruban sont le symbole d’un avenir brillant. Pour sa première collaboration avec Isabey, la parfumeuse Marie Schnirer a créé un parfum contemporain solaire, un bouquet de fleurs blanches féminines et sensuelles sublimées de notes salées ». C’est un peu le parfum de la rupture dans la marque après la recréation de grands floraux. « Avant et Après » est résolument moderne. C’est un floral solaire comme je le disais et il est vrai que je suis toujours très client de ce genre de parfum. Marie Schnirer a sur vraiment vraiment bien renouveler le style avec une cette envolée de sel de mer, de freesia et de fleur de frangipanier que je trouve franchement inédite. Le coeur se fait certes plus classique et exotique à la fois car il est construit autour d’une fleur de tiaré avec des notes d’ylang-ylang, de fleur d’oranger et de jasmin puis le parfum se fait, en fond, très muscs blancs, benjoin, ambroxan et vanille. J’avais eu un réel coup de coeur pour « Avant et Après » à sa sortie puis je l’avais un peu oublié. Je le redécouvre avec grand plaisir. C’est un parfum très régressif pour moi et je me devais de saluer le travail de Marie Schnirer dans cet article.

 

Meabh McCurtin

 

 

 

 

Je viens de publier un portrait parfumé de Meabh McCurtin et j’ai hésité à ajouter son nom à la liste mais j’aime tellement ce que je connais de son travail que je n’ai pas pu résister ! Elle travaille pour IFF et je trouve qu’elle est parmi les plus inventives de la nouvelle génération. Il me semble qu’elle a collaboré avec Anne Flipo qu’on ne présente plus et, pour moi, elle est l’une de celles dont on va reparler dans les prochaines années. J’ai beaucoup hésité sur le parfum que j’allais choisir pour illustrer son travail. J’aurais pu revenir sur « Bonne Chauffe » qu’elle a créé pour Frapin car je l’aime énormément ou encore « Pain en Châtaignier » pour Scents of Wood mais j’ai plutôt eu envie de coller à la thématique et à y aller à fond dans l’originalité. En effet, même s’il n’est pas ma création préférée dans ce qu’elle a inventé jusqu’alors, je dois bien dire que j’ai été très impressionné par « 14 Juillet », la nouveauté 2024 de Bastille même si je ne pourrais absolument pas le porter. Vous noterez qu’il s’ouvre sur un accord feu d’artifice absolument inédit pour moi et associé à des notes de cassis et de tangerine puis vient un coeur complètement décalé de labdanum, de feuille de violette et de cannelle puis un fond de vanille, de benjoin et de fève tonka. « L'esprit du 14 Juillet dans un flacon, comme un feu d’artifice, la joie d’un moment partagé, lumineux et universel. Une explosion de fraîcheur qui révèle un accord "feu d'artifice" pour mieux se confondre dans le réconfort addictif de la Vanille de Madagascar. 14 Juillet, c'est bien plus qu'une date. C'est l'écho d'un art de vivre à la française, une ode intemporelle à la joie de vivre, à l'union et à la liberté. Ce parfum ne se limite pas à un moment ou à un lieu, il incarne l'esprit de célébration française, cette "French Touch" qui résonne des rues de Paris jusqu'aux villages des campagnes, un hommage parfumé à l'élégance, à la convivialité et à la spontanéité qui caractérisent la France. 14 Juillet est une invitation à embrasser la liberté et la joie, à tout moment et en toute saison, capturant l'essence d'être ensemble et de célébrer la vie à la française, chaque jour de l'année. 14 Juillet, chaque jour est une fête ». Vraiment, je suis impressionné par l’originalité de ce parfum même si je ne suis pas certain de le supporter sur moi. Je pense qu’il faut vraiment suivre le travail de Meabh McCurtin. Elle possède une inventivité absolument incroyable. Pour moi, elle a toutes les qualités pour entrer vraiment dans le top de mes parfumeurs préférés.

Il y a nombre de jeunes créatrices que j’aurais voulu citer dans cet article mais il ferait des pages et des pages. J’ai seulement choisi, instinctivement, celles auxquelles j’ai pensé instinctivement quand je me suis mis à écrire. J’ai donc fouillé dans mes doses d’essai pour remettre mon nez dans leurs créations et j’ai pu vraiment trouvé le fil de mon article. Chacune de ces jeunes créatrices, à l’exception d’Amélie Bourgeois, qui a commencé à il y a un peu plus de dix ans, ont une carrière toute récente et j’ai hâte de sentir leurs futures compositions. Je ne manquerai pas de vous en parler mais surtout n’hésitez pas à aller sentir le travail qu’elles ont déjà effectué car, vraiment, il y a de très très beaux parfums.