Passion Parfums

Je parle toujours de « L’Anarchiste » de Caron (et des nombreux parfums de la marque qui ont été arrêtés ces dernières années), de « Cristobal pour Homme » de Balenciaga, de « Mon Parfum Chéri » d’Annick Goutal ou encore de « Macassar » de Rochas mais il y a plusieurs autres parfums que j’ai porté ou aimé et qui ont disparu corps et biens durant les années pour plein de raisons. Il ne se vendaient pas (plus) bien, la marque a été racheté et les propriétaires (souvent des groupes financiers) ont décidé que les marques devaient conquérir une nouvelle clientèle ou encore la maison qui les distribuait a disparu totalement. Étant donné que je considère la création de parfums comme un art, je suis toujours triste lorsqu’un oeuvre disparaît et qu’il n’est plus possible d’en trouver la moindre goutte. J’ai décidé de me remémorer cinq jus que j’ai beaucoup aimé et qu’il devient quasi impossible de sentir aujourd’hui.

Le premier est « Bois de Paradis » créé par Michel Roudnitska en 2002 pour la marque américaine DelRae et qui, à l’instar de tous les autres parfums, a disparu irrémédiablement car, lorsque sa créatrice, DelRae Roth a décidé d’arrêter, elle n’a pas trouvé de repreneur. Je ne connaissais que les créations de Michel Roudnitska pour la marque mais je sais qu’il y en a eu d’autres dont Yann Vasnier était le parfumeur. Mais revenons à « Bois de Paradis ». J’ai eu l’occasion de le re-sentir il y a quelques années lorsque j’ai assisté à une conférence donnée par son créateur et je me suis dit que je l’aurais porté bien volontiers. Construit autour d’une prune juteuse et après un départ d’agrumes, le parfum se posait sur un coeur de rose, de mûre et de figue relevé par des notes de prune mais aussi d’épices telles que la cardamome, la cannelle et la noix de muscade. Le fond, résolument boisé et ambré était construit autour de plusieurs résines. Dans l’esprit de « Féminité du Bois » de Serge Lutens tout en restant très différent, « Bois de Paradis » était le best de DelRae et, dans les rares points de vente qui le distribuaient en Europe, il remportait un succès tout à fait notable. Enveloppant, très étonnant, il était vraiment la signature de ceux qui le portaient. Il a, hélas disparu, ainsi que les autres parfums de la marque, il y a deux ans maintenant. J’ai la chance d’avoir encore une dose d’essai que je garde précieusement quand je veux remettre mon nez dedans.

Voulu par Annick Goutal avant sa disparition et finalisé par Isabelle Doyen, « L’Eau du Fier », créé en 2000, a été le seul (à ma connaissance), cuiré de la maison. Après un départ de menthe et d’agrumes, il avait un coeur construit autour d’un thé fumé que je pense être du tary souchong, du sel, du clou de girofle et une fleur d’osmanthus travaillée de manière très cuir. Son fond de bois de bouleau, très sombre, « goudronné » lui donnait une originalité absolument étonnante. J’ai adoré « L’Eau du Fier » et je sais qu’il avait ses adeptes même si la marque n’en vendait sans doute pas autant de flacons qu’elle l’aurait souhaité. C’était aussi la politique voulue par Annick Goutal et qui a perduré quelques années après sa disparition : créer des parfums différents, segmentants et qui pouvait plaire ou ne pas plaire. La marque, depuis cette année, a décidé de rééditer sous forme de série limitée, certains parfums qui ont été supprimés mais je sais que, pour l’instant, il n’est pas forcément question de « L’Eau du Fier ». Heureusement, la responsable de notre boutique lyonnaise est une passionnée de la marque et elle a gardé un fond de ce parfum qu’elle m’a fait re-sentir. Quel privilège ! En tout cas, je me suis rendu compte que je l’aimais toujours autant.

 

Les marques anglaises ne font, hélas, pas exception à la règle. J’évoquerai brièvement « Royal Arms » et « Mahon Leather » qui étaient mes deux Floris London préférés mais c’est surtout sur « English Fern » qui existait dans la marque Penhaligon’s depuis 1890 et qui était, pour moi, l’un des piliers de la marque. Cet aromatique fougère, très « barber shop » aurait pu, avec la mode de ces parfums, revenir à la mode très facilement. C’était un classique de la parfumerie masculine avec tout ce qu’il fallait là où il fallait, un départ de lavande et de géranium, un coeur d’absinthe et de clou de girofle et le fond chypré d’une mousse de chêne et du patchouli adouci d’une note de bois de santal. « English Fern » a été mon premier parfum de la marque et, si aujourd’hui je lui préfère peut-être « Blenheim Bouquet », je continue de penser que c’était une véritable réussite intemporelle et très emblématique de l’esprit Penhaligon’s. Je regrette qu’il ait été supprimé du catalogue il y a deux ou trois ans. Heureusement, j’ai encore à peu près 40 ml dans un flacon que j’avais acheté et je peux le porter ponctuellement. Je crois qu’on peut encore en trouver des fins de stock dans des boutiques qui distribuent la marque. La disparition de ce parfum est également une déception pour moi.

 

Depuis que le groupe LVMH a racheté Guerlain, la marque a subi nombre de changements, reformulations des bests dont j’ai déjà abondamment parlé mais aussi suppressions de parfums iconiques de la marque. Les derniers en date sont « Jicky » et « Mouchoir de Monsieur » mais j’avais été particulièrement par la disparition de l’un des parfums que j’ai toujours préféré dans la marque, j’ai nommé « Après L’Ondée », créé en 1906 par Jacques Guerlain et qui demeure, pour moi, l’un des plus beaux iris-violette que j’ai senti et porté dans ma vie. Un départ de bourgeon de cassis, d’anis, de fleur d’oranger sur une overdose de bergamote et de citron, un coeur d’iris et de violette, poudré par des notes de mimosa et de rose, épicé par l’oeilleut, arrondi par le bois de santal, l’ylang ylang et le jasmin soutenu par une pointe de vétiver et un fond d’iris et d’héliotrope amandé et ambré avec une touche de vanille, d’ambre et de muscs blancs. C’était, pour moi, l’un des chefs d’oeuvre de Jacques Guerlain et, même si j’ai toujours déploré son manque de tenue, j’a toujours trouvé que « Après L’Ondée » était une merveille. Le bruit circule qu’il ressortira dans une nouvelle collection, avec le flacon au coeur inversé mais quand et à quel prix, je m’interroge. À ce jour, quelques flacons sont encore disponibles dans la boutique parisienne des Champs Elysées mais pour combien de temps ?

Il est toujours très triste de voir des oeuvres d’art disparaitre et, lorsqu’elles sont impalpables et touchent au quotidien, je trouve que c’est encore plus dommage. Certes, la norme européenne qui évolue tout le temps, est une des raisons de ces arrêts mais je pense qu’il y a aussi, derrière cela, une volonté de rentabilité poussée à l’extrême qui est quand même bien décevante. Heureusement, le marché est inépuisable et il nous restera toujours de belles choses mais je me réserve le droit d’être nostalgique… de temps en temps.