L'effet whaou !
Ils ont produit sur moi ce que j’appelle « l’effet whaou » lorsque je les ai découverts et l’une d’entre-vous m’a demandé de revenir sur ces parfums que je trouve vraiment incroyables et qui m’ont complètement fait flasher soit pour les porter soit pour me dire que je n’avais jamais rien senti de plus aboutit. J’en ai recensé sept mais je pense qu’il pourrait y avoir une suite à cet article. En fait, je n’ai absolument pas réfléchi, je suis instinctivement allé vers ceux-là et je vais essayer de vous expliquer ce que j’ai ressenti lorsque je les ai vraiment découverts.
Je l’ai dit souvent mais l’un de ceux qui me viennent naturellement lorsque j’évoque cette sensation de choc est « Tabac Tabou ». Créé par Marc-Antoine Corticchiato pour sa maison Parfum d’Empire en 2016, ce parfum devait être un éphémère en concentration extrait et il a finalement intégré la collection classique permanente de la marque depuis avec une réédition en 2017 puis les années qui ont suivi et ainsi de suite… J’allais dire « tant mieux » ! Pour moi, quand on parle de chef-d’oeuvre de la parfumerie, il est en bonne place dans un top que je pourrais créer. Après une envolée un peu verte et cuirée, des notes de narcisse légèrement miellées, de tabac et d’immortelle viennent lui conférer quelque chose de vraiment unique. Marc-Antoine Corticchiato le décrit ainsi : « Embrasé par l’immortelle, le tabac déroule ses volutes fauves autour d’une fougueuse brassée de narcisses. Miel, herbes folles, peau brûlante, … Un sillage de savane, en hommage à cette essence jadis sacrée pour tous les peuples indiens d’Amérique. Chamanique et pénétrant ». Pour moi, il correspond surtout à un verre de brandy dans un club anglais, assis dans un fauteuil Chesterfield en cuir avec l’odeur du tabac pas encore fumé ou des cigares sortant de leur boite. Sur ma peau, l’immortelle que j’aime particulièrement, ressort très bien et s’entremêle avec le tabac. J’ai mis longtemps à me l’approprier pour une raison toute personnelle mais, depuis l’hiver dernier, j’ai l’occasion de le porter régulièrement et je l’adore. Il me fait toujours le même effet que lorsque je l’ai découvert en 2015 dans une parfumerie lyonnaise où j’ai mes habitudes alors qu’il venait d’être livré et que le testeur sortait à peine du carton. Pour moi, « Tabac Tabou » est plus qu’un parfum, c’est une oeuvre d’art olfactive à part entière. Je trouve qu’il mérite son FIFI Award du meilleur parfum de niche qu’il a obtenu en 2016.
Avec « Nuit de Bakélite » créé par Isabelle Doyen pour Naomi Goodsir en 2017 (et qui a reçu d’ailleurs le même prix en 2018) l’histoire d’amour et d’attirance n’a pas été aussi immédiate car je dois dire que, d’une part je n’avais jamais porté de tubéreuse travaillée en majeur et le côté médicinal de la note me rebutait un peu alors que je l’aime maintenant et, d’autre part, l’envolée est positivement désagréable à mon nez avec ce côté vert et presque plastique. L’un de mes amis qui le portait m’a conseillé de l’essayer vraiment et de vivre avec afin d’affiner mon impression et je dois dire que j’ai changé radicalement d’avis. On sent qu’Isabelle Doyen a eu carte blanche comme lorsqu’elle avait créé le regretté « Eau du Fier » chez Annick Goutal. Le départ très vert et étrange et l’association, angélique, feuille de tomate, feuille de violette et galbanum se mêle heureusement très vite aux notes d’iris, de karo karounde qui est une fleur blanche issue de « L’arbuste des rochers » d’Afrique du Sud et qui aurait une facette florale mais aussi boisée et surtout de tubéreuse qui prend très vite toute la place. Le fond de cuir, de davana, de styrax, de tabac, de labdanum et de bois de gaiac soutient le parfum et, sur ma peau il développe une facette très verte d’une tubéreuse fraîchement coupée comme on peut la sentir au début de la floraison et une autre extrêmement boisée. Isabelle Doyen décrit ainsi sa création : « Fleur captivante, narcotique promesse d'une nuit singulière. Verte et fumée, cette tubéreuse flotte dans l'air d'une nuit blanche addictive. Une fragrance obsédante, toute en séduction » et je crois que tout est dit. Pour moi, « Nuit de Bakélite » a marqué non seulement ma réconciliation avec la tubéreuse qui m’effrayait un peu mais aussi le fait que je ne devrais pas toujours me fier à mes premiers tests aussi longs et fouillés soient-ils. J’aime énormément ce parfum mais je reconnais qu’il n’est pas le plus facile à porter que je connaisse notamment à cause d’une tenue hors-norme et d’un sillage vraiment imposant. Il faut savoir que s’il migre sur les cols de mes manteaux ou blousons, j’ai du mal à m’en débarrasser pour porter autre chose et que le parfum sent dans mon placard flacon fermé. Par contre, j’ai eu des compliments en pagaille et j’ai intrigué avec « Nuit de Bakélite ». On parlait de chef-d’oeuvre, en voilà un autre et il est une des raisons de se pencher vers la parfumerie d’auteurs car tout clivant qu’il soit, c’est une réussite.
Il avait tout pour ne pas me plaire sur le papier mais je devrais toujours me méfier du talent de Daphné Bugey et de la faculté qu’elle a à créer des jus qui me vont comme un gant ! « Roaring Radcliff » a été lancé en 2017 pour la collection des portraits de Penhaligon’s et il est indéniablement gourmand et même un peu miellé avec un côté un peu pain d’épice mélangé au brandy et au tabac. C’est un parfum de dandy par excellence ce que je ne suis absolument pas et pourtant… Lorsque je l’ai senti je n’en n’attendais rien et pourtant je l’ai tout de suite adoré. J’ai eu l’impression de me prendre une claque dans la tête qui aurait balayé toutes mes idées préconçues. Daphné Bugey le décrit avec ces mots : « Un mélange fumé de rhum, pain d'épice et tabac. Totalement charismatique, irrésistiblement chaleureux ». Pour moi, le choc olfactif a été immédiat mais je n’ai pas tout de suite réalisé que je pourrais porter ce parfum. Je le trouvais tellement éloigné de ma zone de confort, même si je sentait le bijou qu’il était, que je n’ai pas envisagé de prime abord de le porter. Puis nous avons vécu cette pandémie et un premier confinement que j’ai, vous le savez, mal supporté même s’il m’a permis de commencer la rédaction de ce blog. Or, j’avais plusieurs doses d’essai de cette création et je l’ai senti, re-senti, porté, re-porté souvent ce qui a développé mon envie. J’avais fait pas mal d’économies durant l’enfermement fatalement et, lorsque nous avons étés libérés, j’ai cédé à une obsession olfactive que j’avais depuis des semaines et j’ai cassé ma tirelire pour acheter un flacon qui est bien au-delà de la limite de prix que je me suis fixé. Autant vous dire que je suis sérieux et que ça n’arrive pas souvent. Je ne l’ai jamais regretté car j’adore ce parfum et, lorsqu’il sera terminé, je le reprendrai. « L’effet whaou » se poursuit à chaque fois que je le porte. C’est mon bracelet en diamants gourmands personnel !
Il est extrêmement rare que je sois séduit immédiatement par un parfum et, si j’ai aimé toute la collection Beaufort London, clivante et vraiment originale lorsque je l’ai découverte dans une parfumerie parisienne dont nous avons souvent parlé ici, j’ai eu un véritable choc olfactif en découvrant « Fathom V » créé par Julie Marlowe et Julie Dunkley en 2016. La marque le décrit ainsi : « Largement s'inspirant de ‘La Tempête“ (dans lequel Shakespeare évoque des images de temps violent, de naufrages et d'îles magiques), le thème principal de «Fathom V» est une phrase glanée dans «Chant d`Ariel» dans la pièce. «Forme Marine» ou “Sea-Change”, que maintenant nous comprenons comme «une transformation» ou une «métamorphose» est apparue pour la première fois dans la pièce et maintenant est utilisée couramment. Le changement perpétuel de l'état de la mer - dans un flux constant entre calme et nature - est point de départ pour la marque, exploré à travers l'utilisation de matières premières apparemment contradictoires dans des concentrations “surdosées”: le sel rencontre la terre, les herbes pétillantes se mélangent avec des mousses foncées, les notes claires de fleurs rencontrent des épices noires intenses. En contrastant le dessus et le dessous, la lumière et l'ombre, nous imaginons l'état changeant de la mer: son intensité - l'attrait de ses profondeurs sombres. Un parfum pour les intrépides qui remettent en question les idées préconçues sur ce que signifie vraiment «aquatique»… ». Je ne vais pas radoter cent sept ans car je trouve que vraiment cela résume bien le parfum. L’envolée très fraîche et très surprenante de notes de feuilles vertes et de terre associées à la facette épicée de la baie de genièvre, au cassis et à la tangerine est une bonne entrée en matière pour aller sur ce coeur épicé par le cumin, le thym, le gingembre et le poivre noir, fleuri avec des notes d’ylang-ylang et de jasmin qui donnent presque un effet lilas et poudré par le mimosa. Le fond est très étonnant avec des notes de patchouli et de mousse de chêne très chyprées associées au côté racine de vétiver, à l’ambre et au sel. Marin ? Aquatique ? Je ne saurais le dire, sombre et frais à la fois, floral et salin certainement. C’est un parfum qui m’a provoqué immédiatement "l’effet whaou" et je l’aime toujours autant. C’est un bijou subversif et envoûtant.
Finalement sorti en 2000 aux Éditions de Parfums Frédéric Malle après avoir été refusé à son créateur, Edmond Roudnitska, durant toute sa vie par les maisons de couture pour cause d’un trop grand avant-gardisme et signature personnel de sa femme et partenaire émérite de son travail, « Le Parfum de Thérèse » est considéré comme son chef-d’oeuvre et je suis bien d’accord. Le père de la parfumerie moderne a inventé tant de merveilles que l’on aurait pu en choisir un autre mais à moi, la découverte de celui-là a provoqué l’un de mes plus beaux chocs olfactifs et je dois dire qu’il a été comme une révélation : celle que ce que l’on pourrait considérer comme la quintessence de la féminité en parfumerie peut très bien être porté par un homme très basique, ni spécialement élégant ni spécialement audacieux dans ses tenues vestimentaires. J’ai mis longtemps à comprendre que je pouvais me l’approprier et qu’il allait m’aller très bien même si je l’aimais énormément du départ et s’il était pour moi tellement addictif mais je l’ai fait au bout du compte et je suis heureux car apparemment, il me va très bien si j’en crois mon entourage. « Une déclaration. Un parfum secret, la déclaration d’amour d’Edmond Roudnitska à sa femme Thérèse. Un monument de la parfumerie du XXème siècle porté par une seule femme durant près d’un demi-siècle. Un accord de prune teinté de melon et de concombre d’une modernité prophétique. Une touche de classicisme apportée par la rose et le jasmin. Alors qu’une base de cuir clair vient parfaire ce trésor. ». Edmond Roudnitska aimait énormément ce parfum trop en avance sur son temps et était malheureux qu’il ne trouve pas preneur alors que dans le monde de la parfumerie celui qu’on appelait « la prune » était connu de tous et particulièrement de Frédéric Malle qui l’a voulu comme première création quand il a lancé sa marque. Moderne, étrange et pourtant facile à porter, c’est un vrai chef-d’oeuvre intemporel et il m’a fait cet « effet whaou » dont je parle depuis le début de l’article tout de suite. Si je vous donne la pyramide olfactive, en tête des notes de poivre, de melon et de concombre, en coeur une prune enveloppée de rose, de jasmin et de violette et un fond presque cuiré doux de vétiver et de patchouli, vous allez penser que c’est un objet olfactif non identifié… Et pourquoi pas ? En tout cas, c’est un parfum unique et vraiment, sur ma peau, c’est une merveille.
J’aurais pu choisir n’importe lequel des parfums de Mona di Orio car c’est la totalité de ses deux collections qui m’a impressionné mais il fallait en choisir un. Je me suis dit que l’un de ceux que l’on peut encore trouver dans la collection des nombres d’or, et même s’il a un peu changé, était une bonne idée. J’ai donc opté pour celui qui m’avait le plus impressionné et que j’ai le plus porté. Il s’agit de « Musc » dont je n’ai pas la date de création mais que je n’ai découvert malheureusement qu’après la disparition bien prématurée de sa géniale créatrice. Il ne ressemble à rien d’autre même s’il a été copié c’est un fait. L’ouverture de néroli est extrêmement fugace et très vite le coeur amandé et poudré d’héliotrope et de rose prend toute la place avant que l’opulence du fond de muscs divers et de fève tonka. Les mots de la créatrice me semblent aussi inspirés que le parfum : « Le meilleur des Muscs est saupoudré de rosée de Néroli. Gentil, innocent et délicat. Essayez sur votre peau pour découvrir la beauté des ingrédients de qualité ». Loin d’être sage, opulent, unique et délicat, c’est un parfum étonnant et absolument addictif. Je dois dire que je le porte avec toujours une envie renouvelée. Je sens la qualité extrême des matières premières, qu’elles soient naturelles comme la fleur d’héliotrope ou synthétiques comme les muscs dès la pulvérisation. Mona di Orio, au travers de ses deux collections, a construit une oeuvre olfactive et artistique. C’est un cocon d’hiver, réconfortant et profond. Je mettrai un petit bémol. Après la disparition de la parfumeuse, plusieurs parfums ont étés légèrement modifiés et je trouve que ça se sent malheureusement. Je pense notamment à « Vanille » et « Musc » que j’aime moins dans les actuelles versions moins facettées. C’est dommage mais il me faut l’accepter. Ceci dit, d’autres créations comme « Cuir » ou « Violette Fumée » sont absolument incroyables. « L’effet whaou » est toujours là pour moi.
« « Je suis au bord de la mer, je fais une sieste. Il y a de l’immortelle sauvage dans le sable. Le soleil est de plomb, ça sent le chaud, l’iode, la résine de pin ». Par ces mots, Annick Goutal capture un instant de bonheur passé en Corse avec son mari. De cette émotion, naîtra Sables. En fond la vanille, l’ambre et le santal évoquent le sable brûlant des dunes qui longent l’océan. Un parfum épicé, chaleureux et torride. ». En 1985, Annick Goutal créait son premier oriental et son premier masculin. J’en parle très souvent mais je ne peux pas vraiment faire autrement tellement il me fait de l’effet depuis que je l’ai découvert à l’âge de 20 ans. Je l’ai porté longtemps en alternance avec des parfums plus conventionnels puis, je ne sais pas pourquoi, je l’avais un peu laissé tomber jusqu’à sa sortie en eau de parfum (c’était précédemment une eau de toilette) il y a quelques années. Je l’ai retrouvé avec la même impression, le même « effet whaou ». Pour moi, il est sans doute plus qu’un beau parfum, c’est un grand parfum et, après avoir été, même dans la marque, très confidentiel durant des années, il est devenue l’une des meilleures vente. Je peux vous dire que ça me fait plaisir lorsqu’un parfum aussi atypique, qui m’a provoqué et continue de le faire, un choc olfactif, prend son essor et devient un succès. Construit autour d’une concentration extrême en immortelle avec des notes de cannelle, d’ambre, de santal et de vanille il nous entraîne vraiment au milieu des dunes d’un sable fin, incandescent et particulièrement prenant. C’est l’un des parfums de ma vie et en tout cas, c’est celui que j’ai encore et que je porte depuis le plus longtemps. Je ne m’en suis jamais lassé et le choc olfactif qu’il avait produit sur moi au départ ne fait que se confirmer année après année.
J’aurais pu citer d’autres parfums mais il m’a semblé, lorsque j’ai voulu écrire cet article, qu’il ne fallait pas trop y réfléchir et me fier à mon nez et à mes impressions directement. Ces sept créations ont choqué mon nez au bon sens du terme et je les connais toutes très bien ce qui me permet d’en parler sans notes prises préalablement, simplement en me fiant à mon ressenti et à mon imaginaire. Et vous, avez vous eu « l’effet whaou » pour certains parfums ?
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 214 autres membres