Le styrax, effluve animal et composante végétale
Quand on s’intéresse à la parfumerie et aux pyramides olfactives, on remarque que le styrax est une matière première naturelle qui est souvent utilisée notamment pour ses facettes chaudes, animale ou encore cuirées. Je dois dire qu’avant cela, je ne savais rien du styrax et j’ai du me faire expliquer ce que c’était par des parfumeurs. Pour écrire cet article, j’ai choisi de reprendre une définition trouvée dans une encyclopédie internet pour ne pas commettre d’erreur : « On appelle styrax (Styrax) un genre d'arbres ou d'arbustes poussant le plus souvent en Extrême-Orient, appartenant à la famille des Styracacées et comportant diverses espèces, quelques-unes très appréciées en parfumerie et en pharmacie pour leur baume. L'arbre est également appelé « aliboufier », en particulier lorsqu'il s'agit de l'espèce Styrax officinalis. Le baume ou résine se nomme « storax » ou « benjoin » selon les espèces, le premier de ces deux termes étant aujourd'hui inusité. Le nom « styrax » sert aussi de façon abusive à désigner la résine du liquidambar. En effet dans l'antiquité, et notamment dans Histoire naturelle de Pline l'Ancien, le terme styrax désignait aussi bien le Liquidambar orientalis (« Styrax de Chypre et de Cilicie ») que l'aliboufier (« Styrax de Syrie »)1. Les espèces les plus connues sont S. benzoin, S. tonkinense et S. officinalis, les deux premiers étant d'origine tropicale (Asie du Sud-Est) alors que S. officinalis se rencontre sur le pourtour de la mer Méditerranée, notamment en Italie et en Provence. S. japonica est une espèce recherchée en ornement. La résine, d'une belle couleur jaune, est obtenue par incision du tronc. En pharmacie, le styrax ou baume styrax, sous forme de fumigations, est efficace contre les affections des voies pulmonaires. On l'utilise aussi pour traiter certaines maladies de peau. Comme toutes les résines odorantes, il peut être brûlé en tant qu'encens. En parfumerie, il joue le rôle de fixateur, le plus souvent dans des parfums féminins. Il a été utilisé dans les années 1920, en particulier dans Shalimar, de Guerlain, puis a été abandonné avant de revenir à la mode grâce aux créations de la maison Yves Saint Laurent (Opium, Nu) ». En revanche, je suis capable de l’identifier. J’ai donc choisi quatre créations dans lesquelles je trouve qu’il est utilisé de manière très détectables et que je connais bien afin d’illustrer mon propos et montrer les impressions qu’il peut provoquer. J’espère que je vous donnerai envie d’aller les sentir.
Créé en 2018 par Daphné Bugey pour Le Labo, « Tonka 25 » a été pour moi un énorme coup de coeur et je trouve que la rondeur de la fève de tonka travaillée en majeur est rendue plus profonde et plus animale par les notes cuirées du styrax et des muscs qui en font un cocon enveloppant. La fleur d’oranger et la vanille ne sont là que pour affiner vraiment le parfum et le rendre moins abrupte et plus facile à porter. La marque le décrit ainsi : « Ce parfum est sombre. Tonka 25 reflète une obscurité bénigne et séduisante - comme si les graines et les résines de sous-bois oppressifs d'été étaient saupoudrées de couches de musc et sucrées avec des gouttes de vanille. Le parfumeur a créé cette eau de parfum en associant des notes et des essences d'absolu de fleur d'oranger, un atlas de cèdre unique, des résines de styrax, de l'absolu de tonka et du musc ». Entre résineux et cuiré, « Tonka 25 » m’a énormément surpris car je pensais tomber sur un parfum plus « tendre » et amandé. Je le porte et, sur ma peau, c’est vraiment le côté complexe du styrax et ses facettes cuir qui ressortent. C’est un parfum qui est, pour moi, complètement addictif. Je ne le trouve pas très facile à porter dans l’idée mais quand je me décide à le vaporiser sur ma peau et mes vêtements, je suis toujours étonné de me rendre compte qu’il est à la fois discret et enveloppant comme un blouson d’aviateur. Je trouve que côté styrax est vraiment ce qui ressort sur moi et ce n’est pas pour me déplaire.
Quand je pense au styrax, un parfum me vient vraiment à l’esprit c’est bien évidemment « Fumerie Turque » créé en 2003 par Christopher Sherldrake pour Serge Lutens et que je connais, je pense, depuis sa sortie. J’ai toujours pensé que cette magnifique création n’était pas pour moi mais, en y remettant mon nez il y a quelques semaines pour écrire cet article, je me dis que j’ai évolué et que je pourrais bien, maintenant, franchir le pas s’il ne faisait pas désormais partie de la collection des Gratte-Ciel que je trouve bien trop onéreuse. Je ne vais pas développer une fois encore mais je trouve que la marque exagère de l’avoir rendu difficile d’accès en sélectionnant par le prix plutôt que par les points de vente. Mais revenons au parfum en tant que tel. Serge Lutens le décrit ainsi : « Au sein des sourdes cloisons du harem de Topkapi, favorites et courtisanes de Murad IV s’adonnent, au travers d’étonnants narguilés, à des concours de patience : former les volutes les plus parlantes pour y lire les évocations de leur destin. Entre tabacs doux et délices opiacés, une invitation à pénétrer le sérail du Grand Seigneur d’Istanbul ». Je trouve que, même si la marque ne communique pas vraiment sur la pyramide olfactive, la note animale, fumée et épicée du styrax est évidente. « Fumerie Turque », à l’instar de la plupart des parfums de la marque, est construit de manière linéaire et sans notes de tête. Je pense que c’est une volonté à la fois du parfumeur et de Serge Lutens. J’aime beaucoup « Fumerie Turque » et c’est vrai que le côté à la fois résineux et tabac blond matche particulièrement bien avec ma peau. Nos envies changent, nos goûts aussi. À l’époque de sa sortie, je trouvais « Fumerie Turque » trop opulent, trop singulier pour le très jeune homme que j’étais et qui découvrait la parfumerie d’auteurs. Aujourd’hui, je pense que je pourrais plus facilement l’appréhender et le porter.
« La tradition a traversé les époques, immortalisant le nom de ce club de jazz de Brooklyn. Une anthologie de musique classique jouée par des cuivres, entre fauteuils moelleux et tabourets de bar, dans une atmosphère tamisée où l’air embaume les parfums des cocktails posés sur un piano ». Je trouve que « Jazz Club », créé par Aliénor Massenet pour la collection Réplica de Maison Martin Margiela est également un bon exemple pour illustrer l’impression cuirée et facettée que donne le styrax car la résine est particulièrement identifiable. Le parfum s’ouvre sur une effluve très étonnante de citron primofiore, de poivre rose et d’essence de néroli pour nous conduire sur un coeur de sauge sclarée, d’absolu de rhum, de vétiver de java et un fond de styrax travaillé de manière très résineuse, d’absolu de feuille de tabac arrondi d’une gousse de vanille très aromatique. J’ai tout de suite accroché sur ce parfum alors que je ne suis pas très amateur de la collection. Celui-ci est une effluve d’écharpes que j’aime bien porter en hiver. Je le trouve vraiment réussi et plein de nuances. C’est certes un cuiré mais il a une douceur toute facettée et enveloppante qui le rend vraiment singulier. Je trouve que l’ambiance des clubs de jazz telle que je me l’imagine est particulièrement bien rendue. J’ai porté « Jazz Club » et je l’aime bien. Je pense que, là encore, c’est une belle découverte et que la note si particulière de styrax n’est pas pour rien dans le fait que j’ai retenu ce parfum.
« Jardins D’Écrivains incarne «la Pléiade» avec un triptyque composé de poésies dont l’adaptation olfactive exprime l’intensité du cuir, du cèdre et du patchouli. Le langage de l’excellence inspire un sillage précieux.. Alcools de Guillaume Apollinaire. Élixir de macération cuirée. L’ivresse des sens révèle l’art du choc. » C’est un cuir de Russie sans mousse de chêne et dont la pyramide est particulièrement bouleversée puisqu’on y retrouve l’essence goudronnée du bouleau associée à l’armoise un peu verte en tête. Le coeur de lilas et de fève tonka est tout à fait inédit et le fond baumé de styrax et de benjoin font de « Alcools », créé par Anaïs Biguine pour la collection la Pléiade de Jardins d’Écrivains en 2018 a été, pour moi, un énorme coup de coeur à sa sortie et je l’ai déjà beaucoup porté au plus froid de l’hiver. C’est la facette « Baume du Tigre » du styrax associé au benjoin qui ressort en find et je trouve ce parfum particulièrement enveloppant, atypique et en même temps discret. Ils est idéal pour les journées froides en ce qui me concerne. Je l’ai d’ailleurs beaucoup porté car j’attaque mon second flacon. Je trouve que la dualité entre le lilas et le côté baumé du benjoin et du styrax est un équilibre parfait. Je ne connais aucun parfum qui lui ressemble de près ou de loin et, dès que les températures le permettront, je le ressortirai avec vraiment beaucoup de plaisir. C’est un vrai parfum charnel et envoûtant pour moi. Je le re-sens en écrivant et je me dis que je l’aime toujours autant. Je l’avais un peu laissé de côté et je vais le ressortir et le porter très régulièrement.
J’aurais pu choisir d’autres parfums comme « Yvresse » d’Yves Saint-Laurent que j’adore par exemple mais j’ai préféré me laisser guider par mon nez et ne parler que des créations auxquelles j’ai facilement accès. Je suis vraiment très attiré par la note de styrax et je crois que ça va s’intensifier d’autant que je suis de plus en plus audacieux dans mes choix. C’est une matière première très étonnante car elle met en valeur les autres ou elle ressort, c’est très différent suivant les créations. Je pense que ça vaut le coup de s’y pencher.
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