Passion Parfums

Je suis toujours un peu surpris, lorsque je lis des articles sur le parfum, de l’amalgame qui est fait entre parfumerie de niche et collections privées de marques de luxe. La démarche n’est pas la même. En effet, la première catégorie existe depuis le début des années 60 et l’idée a été lancée par Diptyque. Puis, dans les années 70 viendront l’Artisan Parfumeur et Annick Goutal.

Pionnières des marques de niche, Diptyque a aujourd'hui été rachetée par un groupe financier.

Souvent auto-financées au mois pour le lancement, ces marques voulaient proposer une manière différente de se parfumer, en cassant les codes, en explorant des odeurs peu ou pas utilisées jusqu’alors. Le budget de création était avantageux pour le parfumeur et il avait totalement carte blanche. Aujourd’hui, on peu même dissocier deux sortes de maisons : celles qui sont restées indépendantes (et qui gardent toute leur liberté de création) et celles rachetées par de grands groupes financiers et dont la latitude est un peu réduite afin que les jus qui sortent puissent tout de même trouver rester suffisamment consensuels pour rencontrer leur public. Il faut noter que, finalement, ce sont les pionniers qui ont été rachetés et ce n’est pas anodin. Puis il y a les créations de collections privées pour de grandes marques soient de parfum mainstream (Guerlain par exemple) soient pour des maisons de designers déjà connues pour une autre branche de leur activité. Là, et on le comprend, on transforme des parfums qui seraient parfait dans les linéaires de la parfumerie sélective. Le recul des ventes dans le sélectif explique en partie cette nouvelle orientations de ces maisons et la multiplication de ces collections qui ont toutes leur spécificité.

La collection privée Christian Dior

Attention, je ne dis pas que la première catégorie ne recèle que des chefs d’oeuvre et que tout est à jeter dans la seconde. J’attire uniquement votre attention que l’on ne peut pas comparer les deux, voire trois démarches car elles sont très différentes. Dans le cas d’une maison de niche (même si le terme est quelque peu galvaudé aujourd’hui, c’est celui que j’emploierai) une carte blanche est laissée au parfumeur et c’est à lui de créer un univers olfactif pour retranscrire une émotion. Il ne se basera pas sur un brief déterminé à l’avance par un comité de sélection ou une étude marketing. Par définition, un parfum de niche ne plaira pas à tout le monde. J’ai en tête des jus comme « Nuit de Bakélite » de Naomi Goodsir ou encore « Musc Tonkin » de Parfum d’Empire qui ne s’adressent qu’à un nombre d’amateur réduit tant leur singularité peut dérouter. C’est un risque, y compris financier, à la fois important et financier. Nombre de créations, lorsque les maisons ont été rachetées, ont d’ailleurs disparu du catalogue (j’ai en mémoire par exemple « L’Eau du Fier » créé par Isabelle Doyen pour Annick Goutal) ou ont été reformulées pour être accessibles à un plus grand nombre.

 

Parfum d'Empire, une marque qui, à ce jour, est restée indépendante

Cet état de fait m’amène à parler de cette sous-catégories de marques souvent pionnières qui ont intéressé Loréal ou Estée Lauder et dont le rachat a eu des effets à la fois bénéfiques, avec un plus grand nombre de points de vente et une latitude financière plus importante mais aussi un peu négative car on voit bien que certaines reformulations ont un peu détérioré le jus. Je pense, par exemple à des parfums très clivants comme « Musc Ravageur » ou « Iris Poudre » dans les éditions Frédéric Malle dont j’ai pu découvrir la version originale avant et après le rachat de la marque par le groupe Estée Lauder et qui ont, il faut bien l’admettre, pas mal changé. Certains groupes vont aussi supprimer du catalogue tout ce qui ne se vend pas pour tenter de « moderniser » la marque et de sortir des créations plus consensuelles. Je pense évidemment à Annick Goutal qui a vu nombre de ses jus disparaitre pour ne garder que les bests. Si je comprends l’intérêt financier de cette démarche je ne peux que la déplorer car je suis nostalgique de l’époque ou les marques pionnières osaient des choses même pour un petit nombre d’amateurs.

Enfin, il y a les marques qui parviennent à rester indépendantes et qui, malgré des références pas toujours grand public, arrivent à perdurer dans le temps en laissant à ses parfumeurs une totale liberté de création. Certes, il faut avoir les reins solides pour ne pas céder aux sirènes du profit pour, tout simplement, vivre ou survivre. Bien évidemment, je ne peux parler que des maisons qui existent depuis déjà un certain temps comme Beaufort London, Parfum d’Empire  ou encore Naomi Goodsir que je citais précédemment car on a une vraie visibilité et que l’on sait qu’il y a une véritable latitude. Souvent ces marques ont peu de référence mais chaque jus est un peu hors-norme. La démarche artistique de ces maisons me touche plus car elle correspond à une démarche qui est proche de ma sensibilité et, instinctivement, j’irai plus facilement vers elle même si je sais que je peux trouver de très belles choses dans les autres catégories.

Cet article n’a pas pour but de faire un jugement de valeurs car je trouve qu’il y a, à la fois, dans les marques d’auteurs, les marques de riches achetées par des groupes financiers ou encore les collections privées, de très belles choses à découvrir et à porter. Je ne trouve pas que la multiplicité des créations de marques indépendantes soit une bonne chose car l’originalité n’est pas toujours au rendez-vous et certaines n’ont pas beaucoup d’intérêt. Ceci dit, je suis toujours un peu dubitatif lorsque l’on vend un prix fou, un jus, ma foi joli et bien réalisé, un prix surévalué sous couvert de sa sortie par une marque de luxe dans une collection privée. Tout en ayant bien en tête que la démarche de création n’est jamais la même, il faut parfois peut-être se montrer un peu circonspect et ne pas se laisser influencer par le packaging ou le marketing d’une marque de luxe aux moyens très importants et se concentrer sur le jus.

Une fois de plus, j’ai voulu, non pas porter un jugement sur le fond de ce que je lis, mais me concentrer sur la forme qui permet sans doute au lecteur de mieux se recentrer lorsqu’il cherche un nouveau parfum pour trouver la catégorie de marque qui lui convient le mieux. Personnellement, j’aurai plus tendance à me tourner vers de petites maisons, qui ont un catalogue réduit mais dans lesquelles les jus vont me surprendre (c’est mon côté curieux) quitte à ne pas plaire à tout le monde. Certains voudront plutôt un jus plus consensuel mais très qualitatif. L’avantage de la parfumerie diversifiée que nous connaissons aujourd’hui est que nous avons le choix.