Passion Parfums

 

 

« Jersey Guernesey, pourquoi vous êtes-vous un jour séparées » avait écrit la romancière Françoise Mallet-Joris comme texte de chanson pour sa compagne Marie-Paule Belle. J’ai eu la chance de visiter, il y a bien longtemps ces îles, patries de l’inspecteur Bergerac, incarné à l’écran par John Nettles avant qu’il ne devienne le Barnaby de Caroline Graham. C’est donc dans un univers à la fois britannique et insulaire que je vous emmène. Paysage un peu sauvages, vents forts, littoraux romanesques et pubs « à l’anglaise », c’est ainsi que je me souviens de Jersey et Guernesey. Nous avons pris le bateau. Le temps était clément. Le soleil apparaissait et nous réchauffait parfois. Il y avait un verre de rhum le soir au milieu des odeurs de menthe et d’herbes aromatiques qui se mêlaient aux embruns. Le parfum qui m’est venu pour évoquer ces deux îles soeurs est sans aucun doute celui, très surprenant qu’a créé, en 2012, Marc-Antoine Corticchiato pour Frapin. « Speak easy, « parlez doucement », c’étaient les mots chuchotés aux clients des bars clandestins en Amérique. Et puisqu’aujourd’hui le plaisir interdit n’est plus l’alcool, mais le tabac, c’est à cette famille olfactive rare qu’appartient cette création de Marc-Antoine Corticchiato. Rafraîchi par un accord mojito (rhum, menthe et limette), ce tabac blond d’une grande suavité s’enrichit d’accents liquoreux (immortelle) et des facettes foin et amande du liatris odorant et de la fève tonka. Un cuir oriental onctueux, richement ambré, intensifie cette palette fauve ».

 

Les matières premières, en grande partie naturelles, sont luxueuse puisqu’on retrouve, à l’envolée, un extrait de rhum de la Martinique, une très belle essence de davana d’Inde qui donne un côté un peu aquatique, de l’orange douce d’Italie et du citron vert brésilien. Le tout exhale une certaine fraîcheur qui se confirme avec un coeur de menthe fraîche de Russie et de géranium d’Égypte. En revanche, les notes de fond s’avèrent liquoreuses et cuirées comme dans un pub de Jersey où l’on pourrait écouter du rock. On y retrouve des notes de ciste labdanum mais aussi de styrax, de tabac, d’immortelle et de fève tonka travaillée à la manière des parfums dans lesquels elle est là pour intensifier le côté plus cuir que poudré. C’est une composition qui commence dans la fraîcheur et se pose avec un côté chaud, enveloppant et très liquoreux. Il m’évoque tout à fait une soirée de début de l’âge adulte, avec des amis que j’aimais beaucoup, un peu d’amour et beaucoup d’exaltation de me trouver sur l’une de ces îles mythiques. En tout cas, je l’ai redécouvert pour écrire mon article et, franchement, je suis complètement convaincu de mon choix. Je pourrais tout à fait porter « Speakeasy ». Il est vraiment trop beau.