Passion Parfums

Depuis que je me passionne pour la parfumerie, et plus particulièrement au cours de ces cinq dernières années, j’ai eu l’extrême privilège d’assister à quelques conférences et de faire de très belles rencontres à la fois artistiques et humaines. Tel a été le cas il y a quelques années lors d’une conférence, en ce qui concerne Michel Roudnitska. Fils d’Edmond Roudnitska, illustre parfumeur indépendant qui a créé de nombreuses fragrances mythique pendant plus d’un demi-siècle pour des maisons telles qu’Elizabeth Arden, Rochas, Lubin et évidemment Christian Dior et de son épouse Thérèse, elle-même ingénieur chimiste et bien souvent inspiratrice et « mannequin » olfactif de son mari, Michel s’est passionné très tôt pour la parfumerie mais pas uniquement puisqu’il a également touché à la composition musicale, à la réalisation audio-visuelle et également, depuis 1995, à la conception de spectacles olfactifs qui sont donnés partout dans le monde. Aujourd’hui un peu éloigné du milieu de la parfumerie, vers lequel il revient ponctuellement, il suit depuis très longtemps, une démarche de développement personnel grâce à plusieurs techniques étudiées au fil de ses rencontres et de ses voyages. Il nous avait d’ailleurs parlé très longuement du chamanisme amérindien auquel il s’est vraiment beaucoup intéressé.

Edmond et Thérèse Roudnitska

Mais revenons à notre sujet. Michel Roudnitska a étudié la parfumerie à Paris puis il s’est formé sur le terrain, à Cabris près de Grasse, dans les laboratoires familiaux auprès de son illustre papa. Lors de sa conférence, il nous a expliqué qu’il avait appris, non pas à construire un parfum car son père considérait que c’était là une démarche complètement personnelle mais surtout à à sentir, à utiliser son odorat dans le but de créer ses propres oeuvres olfactives. Il a donc travaillé avec la société Art et Parfum dont le siège est situé à Cabris et qui a été créée par son père à l’élaboration de parfums qui, je trouve, sont une illustration en effluves de sa sensibilité, de sa démarche personnelle et de son goût. Il a pu avoir carte blanche à chaque fois ou presque et laisser courir son imagination pour composer des jus toujours originaux et pleins de délicatesse. Il a également beaucoup utilisé es matières telles le palo santo ou le piri piri qui sont deux notes boisées rarement voire pas du tout exploitée en parfumerie.

 

 

 

Même si, aujourd’hui, les parfums DelRae créés par Michel Roudnitska ont disparu depuis quelques mois, je pense qu’ils peuvent peut-être se trouver encore, parfois, au détour d’une recherche et j’ai donc décidé de vous parler des deux qui m’ont le plus marqué. Le premier étant « Bois de Paradis » créé en 2002 et qui est, comme son nom l’indique, un boisé à la fois aromatique et fruité que j’ai vraiment beaucoup aimé même si je l’ai connu un peu sur le tard. Dans la veine de « Féminité du Bois » de Serge Lutens, ce parfum est plus « pyramidal ». Il démarre avec une envolée d’agrumes (citron, orange, bergamote, citron vert) pour nous conduire vers un coeur de mûre et de figue confites relevées par des notes épicées et notamment la noix de muscade et une rose centifolia toute en finesse et en légèreté. Le fond est résolument boisé et ambré. Je crois y déceler du bois de santal et aussi, il me semble, une note de styrax. À la fois frais et rond, « Bois de Paradis » avait tout pour séduire une clientèle féminine mais aussi masculine. Moi, il me fait voyager dans un pays un peu rêvé, comme un jardin d’Eden gorgé de fleurs odorantes et de fruits mûrs, presque confits. Je suis content d’avoir connu ce parfum et j’espère qu’un jour une maison le rééditera car il est vraiment incroyable d’inventivité, de tenue et de singularité.

Toujours chez DelRae, mon coup de coeur a été pour un fleuri (quel scoop !) absolument magique dont le nom évocateur est « Amoureuse » construit autour du ginger lily, une fleur aux accents épicés. S’y ajoutent, en note de tête, de l’orange amère et de la cardamome, au coeur, un lys opulent, une tubéreuse et un jasmin de grasse plus discrets et en fond, une mousse de chêne, des épices (peut-être clou de girofle) et une note miellée. C’est un parfum opulent, floral, plein d’une élégance exotique et naturelle. Il fait sans doute partie des parfums que j’aime mais que j’ai un peu de mal à porter sans trop savoir pourquoi. Cela me provoque d’ailleurs une certaine frustration. Je l’ai senti à nouveau il y a quelques mois, alors qu’on pouvait encore le trouver et j’ai renoué avec l’impression du parfum idéal que j’avais éprouvé quand je l’ai découvert. Pour moi, « Amoureuse » était vraiment dans mon top des plus beaux parfums que j’ai eu l’occasion de sentir. Je regrette vraiment qu’il n’ait pas été plus connu en Europe et qu’il n’existe plus aujourd’hui. Les autres parfums de cette collection créés par Michel Roudnitska portent les noms évocateurs de « Début », « Émotionnelle » et « Eau Illuminée »… tout un programme.

Père et fils

Créé pour la marque Parfumeurs du Monde qui met en avant des parfums composées uniquement de matières naturelles dans une haute concentration, « Agua Nativa » est sans doute l’un des parfums les plus atypiques de la collection. Construit autour du palo-santo (qui est déjà utilisé dans « Wood of Life ») et du piri-piri, une essence d’Amérique du Sud, c’est un parfum que je qualifierai, tout comme « Cacao Aztèque » de Perris Monte-Carlo, de création « ethnique ». Le départ est aromatique et floral avec des notes de pamplemousse, d’orange, d’ylang ylang, de basilique et de menthe très présente. Le coeur, très étonnant, à la fois rond et atypique est constitué de petit grain, géranium, clou de girofle, piment et cannelle. Le parfum repose sur des notes de patchouli, de vétiver, de vanille de Madagascar de palo-santo et de piri-piri. Ce sont deux bois dont la senteur est très aromatique et je dois dire que je trouve « Agua Nativa » vraiment très inédit. J’ai eu la chance de l’essayer et il m’a énormément plus bien que je ne porte que très peu de parfums boisés. Le seul bémol est que je trouve, que, malgré une haute concentration, sa tenue est un peu courte. Je pense que cela est lié au fait qu’aucune molécule de synthèse ne vient le renforcer. Ceci dit, c’est un parfum que je porterai volontiers.

Comme je le disais en introduction, j’aime beaucoup le travail de Michel Roudnitska et j’ai abondamment parlé de ses autres créations dans d’autres articles, celui sur le jasmin, sur le magnolia et un autre sur mes essais récents. Artiste atypique, je trouve son univers olfactif vraiment très hors-norme et je suis heureux d’avoir découvert pas mal de ses créations. J’ai également beaucoup aimé rencontrer la personne humaine car c’est quelqu’un qui a su se démarquer d’un héritage un peu écrasant en sachant, autant par ses créations que par ses choix de vie, se démarquer de son illustre papa et se faire un prénom.

En annexe de cet article, j’ai décidé de publier la conférence SFP donnée en 2014 par Michel Roudnitska et Olivier Maure de la société ART & PARFUM qui se compose de deux vidéos vraiment passionnantes. La première revient sur l’histoire de la famille Roudnitska et la seconde se concentre sur les parfumeurs indépendants. Vraiment, ces interventions m’ont passionné. J’espère qu’il en sera de même pour vous.