Modernes les aldéhydes ?
Elles reviennent en force depuis deux ou trois ans alors qu’on les avaient oubliées. « Elles », ce sont les aldéhydes. C’est en discutant avec Marion de la chaîne YouTube Des Paons Danse Cent Heures que j’ai réalisé cela alors que nous évoquions « New Look », créé l’an dernier par Francis Kurkdjian pour la collection privée de Christian Dior. Je me suis donc rendu-compte que la mode est un éternel recommencement également en parfumerie. On les croyait désuètes, ringardes, presque oubliées ces molécules de synthèses nombreuses dont certaines évoquent le champagne, d’autres l’odeur du fer à repasser vaporeux et chaud ou encore des fleurs abstraites, et les voilà modernes et à nouveau utilisées par des parfumeurs inspirés qui les remettent au goût du jour dans des créations particulièrement contemporaines. J’ai choisi quatre parfums très modernes pour illustrer mon propos. Les aldéhydes y sont présentes soit à l’envolée, soit tout au long de l’évolution. Allons donc explorer ces molécules aériennes qui inventent les facettes de compositions modernes, attractives et pas du tout dépassées.
Le premier parfum qui me vient à l’esprit, je l’ai redécouvert il y a quelques semaines. Il a été créé pour L’Orchestre Parfum par Nathalie Feisthauer en 2020 et, il faut le dire, il est réjouissant. La créatrice explique ainsi son inspiration : « Pétillant, zesté, aromatique, c'est un cocktail d'agrumes et de vetiver feel-good qui fait entrer le soleil de Méditerranée dans votre journée » et je crois qu’elle résume très bien l’idée générale et le ressenti que l’on peut avoir en sentant ce parfum. Après une envolée de citron et de bergamote très aldéhydée, vient un coeur de menthe frais, rendu légèrement amer par une note de pamplemousse et pétillante grâce au gingembre puis le parfum se pose sur un fond de vétiver tout en finesse. Je ne suis pas fou des parfums aldéhydés et hespéridés mais force m’est de constater que j’aime bien « Electro Limonade » même si je n’arrive pas bien à établir un parallèle, comme le veut la marque, entre la musique et ses effluves. Pour moi, il s’agit d’une création idéale pour un été baigné de soleil, peut-être même trop chaud car, il faut le dire, il y a quelque chose de tendre, de doux, de joli et pourtant de vif et de tranchant dans cette création originale qui constitue une alternative très intéressantes à des hespéridés plus classiques.
« C'est un hommage à la Parfumerie Classique des années 20. J'aime utiliser les codes du passé pour ré-inventer le futur » tels sont les mots d’Arnaud Poulain pour évoquer « Mémoire du Futur » qu’il a créé avec Amélie Bourgeois pour la collection Superclassique de sa marque Les Eaux Primordiales. Il est vrai que les aldéhydes au sein de compositions modernes est un peu la « spécialité maison ». J’aurais pu évoquer plusieurs créations de la marque mais j’ai choisi « Mémoire du Futur » simplement parce que je l’ai redécouvert il n’y a pas longtemps et qu’il est vrai que c’est un parfum très atypique avec son départ d’aldéhydes et de bergamote très étonnant qui nous conduit sur un coeur de rose, de violette, d’iris poudrés et d’oeillet puis sur un fond de vanille et de labdanum. Je ne pourrais absolument pas porter ce parfum mais je lui reconnais une vraie originalité, entre faux classicisme peut-être mais vraie modernité. Arnaud Poulain et Amélie Bourgeois s’éloignent des codes et ce parfum est un peu plus inclassable que les autres et je me soupçonne d’aimer surtout la performance artistique des parfumeurs. En tout cas, le style aldéhydé est très contemporain et singulier. Je ne sais pas s’il a beaucoup d’adeptes, mais il me semble qu’il y a de quoi sentir, voire même porter.
Créé en 2020 par Cécile Matton et Ralf Schwieger pour État Libre d’Orange, « Exit The King » est, sans conteste le parfum de la sélection que je préfère, d’ailleurs je l’ai énormément porté. Il s’agit, et c’est vraiment original, d’un chypré très aldéhydé, complètement atypique et vraiment ultra-moderne. « Il s'agit de faire un parfum comme un château de la Loire, un parfum qui pourrait s'élever plus haut que le château de Blois, plus haut que la terrasse où les derniers Valois ont regardé le soleil se coucher dans sa gloire. Et puis disparaître, mourir, comme par magie avant la chute. Avec le murmure d'un baiser au moment de sa gloire, puis un humble retour à autre chose. Un parfum de magnificence, d'amour et de bonté pour le nouveau monde, et d'oubli des anciens et des pouvoirs écrasants. Résolument chypré ». Les notes de tête sont absolument addictives pour moi avec des versants poivre de timur, aldéhydes et muscs blanc puis poivre rose. Le coeur, très jasminé, est enveloppé d’une très belle rose poudrée et d’un accord muguet qui rafraichît encore la fragrance. Le fond, très classique, mêle le patchouli et la mousse de chêne avec un santal doux et boisé. Les parfumeurs ont su, grâce aux aldéhydes, réinventer le chypre classique et lui apportant un côté très pétillant et vraiment moderne. J’aime beaucoup ce parfum. Je pourrais bien le porter à nouveau.
« Mécanique du Désir », créé, en 2018, par Pierre Guillaume pour sa collection noire m’et venu à l’esprit. Le parfumeur en décrit ainsi l’inspiration : « À la fois associée à des moments heureux de mon existence, cette “sueur de moteur” aux relents pénétrants de goudron, d’hydrocarbures et d’huile me dérangeait parfois. Des années plus tard, c’est en lisant Jacques Lacarrière, dans son ouvrage “Ce bel et vivace aujourd’hui” que j’ai perçu la poésie cachée de ce “Noir Mucus” et je décidais dans faire un thème de travail. Mon cambouis aurait la chaleur de l’ambre et des muscs animalisés teintés par l’étrange noirceur d’un accord de bois de gaïac et de feuilles de violette. Les notes soufrées du bourgeon de cassis mêlées d’aldéhydes dessineront les contours métalliques, auxquels l’essence de mandarine donnera l’éclat du chrome ». Aux aldéhydes, le parfumeur a adjoint un départ de mandarine, un coeur de feuille de violette et un fond ambré. « Mécanique du Désir » est vraiment, pour moi, un « aldéhydé charnel » à odeur de peau un peu sombre et urbain. C’est une manière innovante et très étonnante de traiter le thème. Je trouve à ce parfum, pas très facile à porter, montre une certaine idée clivante de ce que n’aurait jamais du cesser d’être une création de marque de niche. Je ne le porterai pas mais j’aime bien l’idée.
J’ai voulu éviter d’évoquer d’autres parfums récents comme « Acne Studio », composé par Suzy Le Helley pour Les Éditions de Parfums Frédéric Malle par exemple, car j’en ai déjà beaucoup parlé. Re-sentir ces créations pour écrire mon article m’a intéressé mais je dois dire que, hormis « Exit The King », je ne pourrais pas les porter. Le côté très synthétique, même modernisé, très « fer à repasser » des aldéhydes n’est pas ce que je préfère en parfumerie mais je comprends l’engouement. Alors, si l’on fait l’impasse sur les grands classiques, on peut avoir une nouvelle vision de ces notes et cette remise « au goût du jour » peut rencontrer le succès. Nous verrons bien dans les prochaines années.
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