Naomi Goodsir Parfums, six fragrances singulières
* Article enrichi
Styliste et designer australienne, Naomi Goodsir est installée en France depuis déjà quelques années. Passionnée de parfumerie, elle a créé sa marque en s’entourant de nez plein de talent. Une petite collection de cinq parfums pour lequel créativité est le maître mot. Si nous sommes sans cesse envahi par de nouvelles marques chaque jour, il en est quelques unes qui retiennent tout de même notre attention par l’originalité de leurs créations, la passion que leurs créateurs ont déployé pour faire un beau travail et, il faut bien le dire, la volonté d’aller à l’essentiel, préférant la qualité de la création à la communication. C’est à Paris, il y a déjà un certain temps que j’ai senti pour la première fois les parfums inventés (c’est le mot) pour la marque de Naomi Goodsir et s’il y en a qui me touchent plus que d’autres je vous concède bien volontiers que sur cinq créations ce sont cinq réussite. Une fois n’est pas coutume, je vais essayer de vous détailler un peu chaque parfum sans ordre de préférence mais simplement en essayant de vous décrire ce que j’ai ressenti lorsque je les ai découverts.
Le premier qui m’a séduit est « Cuir Velours » créé en 2012 par Julien Rasquinet. Enveloppant, un rien gourmand, c’est un cuir moderne, doux et terriblement addictif. Le départ est d’emblée très intense et j’ai cru déceler une note d’immortelle qui est, comme vous le savez, une matière première que j’affectionne particulièrement. Le coeur est un assemblage de bois précieux et de tabac et le fond est presque légèrement gourmand. S’il est une vraie création originale, « Cuir Velours » m’a un peu fait penser, dans l’esprit, à « Cuir » de Mona di Orio. Je pense que, si la composition est différente, ces deux parfums doivent partager une ou deux notes. Il est tout à fait le style de cuirés que j’aime et j’ai été enchanté de l’essayer. Qui sait, peut-être un jour…
Créé également par Julien Rasquinet et lancé en 2015, « Iris Cendré » est une très belle construction autour de la feuille de violette et du rhizome d’iris. Après un départ de mandarine et de notes de fleurs blanches relativement fugace, on entre dans le vif du sujet avec un parfum « iris » très intense (ce qui est plutôt rare) avec des notes également de tabac. S’il pourrait paraître classique du genre, voire même un peu terreux, il faut attendre « Iris Cendré » sur la peau car son développement est particulièrement original, son sillage très dense et sa tenue remarquable. Lorsque je l’ai essayé, je l’ai gardé sur mes vêtements même après le lavage. J’ai vraiment un coup de coeur pour « Iris Cendré » même si je reconnais qu’il n’est pas le plus facile à porter car il est vraiment singulier mais je suis tout à fait impressionné par ce travail si différent autour de ces deux matières premières qui ont déjà été employées pour créer de nombreuses merveilles en parfumerie.
« Or du Sérail » est le parfum oriental, vanillé et ambré de la marque. Créé par Bertrand Duchaufour et lancé en 2014, je ne vous cacherai pas qu’il m’a énormément fait sortir de ma zone de confort car il est assez éloigné de mes familles olfactives de prédilections. C’est une création d’une incroyable complexité et il m’est très difficile de savoir quelles sont les matières premières utiliser pour s’associer à la vanille, aux muscs, à l’ambre et au miel. Je pense que certaines doivent être fleuries (je pense à la rose à l’ylang ylang qui pourraient accentuer le côté opulent) et épicées. « Or du Sérail » est un jus riche, comprenant de nombreuses facettes. Lorsque je le sens, je ressens plein d’impressions différentes, et il m’emmène vraiment à l’époque révolues où les femmes voulaient un parfum suffisamment puissant et doté d’une forte identité pour envelopper l’odeur de tabac blond froid. C’est une réussite totale et je pense qu’il ravira les amateurs de ce genre de création qui cherchent quelque chose de différent et d’original.
Dans chaque marque il faut un boisé et le plus difficile est de ne pas tomber dans l’écueil de la répétition d’un parfum « à la Lutens » par exemple. Les alternatives ne sont pas très nombreuses. O, pourrait se tourner vers une fragrance très ethnique comme par exemple « Wood of Life » chez Anima Vinci ou un esprit très original comme « Peau de Pierre » sorti dans la marque Starck Parfum. Avec « Bois d’Ascèse » créé en 2012, Julien Rasquinet a complètement bifurqué en inventant réellement une odeur. Il est à mi-chemin entre un chypré ultra moderne et un boisé sophistiqué, emportant toutes les idées reçues sur son passage. Pour être honnête, je n’avais jamais rien senti de pareil et, si je ne suis jamais blasé, je dois bien admettre que j’ai découvert pas mal de créations originales ces dernières années. Comme tous les parfums de la collection, « Bois d’Ascèse » est vraiment singulier et il s’adresse vraiment aux amateurs de boisés hors norme. Il ne plaira pas à tout le monde. Il peut même en rebuter certains, trop déroutés par la composition imaginée par Julien Rasquinet. Si je sais reconnaitre que c’est une très très belle création qui sort vraiment des sentiers battus, je dois dire que ce n’est pas forcément un parfum pour moi mais j’aimerai le sentir sur quelqu’un à qui il va bien car il a vraiment une identité et ça fait plaisir.
Créé par Isabelle Doyen à qui nous devons nombre de merveilles pour Annick Goutal et lancé en 2017. Il répond au nom tout à fait original de « Nuit de Bakélite » et est un travail tout à fait surprenant autour de la tubéreuse. Dans l’idée, cette fragrance a tout pour me déplaire car je ne suis pas très fan de cette fleur et, il faut bien le dire, les notes de tête ne sont vraiment pas très agréables. Lorsque je l’ai vaporisé je me suis dit que je comprenais le côté « bakélite » car la fleur prend presque une envolée de caoutchouc ! De plus, le côté vert est assez brutal. Seulement il ne faut pas s’en arrêter là. L’évolution sur la peau est tout à fait surprenant et petit à petit, le parfum prend sa place, des notes boisées viennent remplacer celles presque artificielles du départ pour finalement ne faire qu’un avec celui qui le porte. Isabelle Doyen est sortie complètement de ce que l’on attend d’un parfum pour créer, en quelque sorte, un objet parfumé non identifié et je dois dire que, au bout du compte, j’ai beaucoup aimé « Nuit de Bakélite ». Je ne suis pas le seul car, en 2018, la Fragrance Foundation France lui a décerné le prix du meilleur parfum d’une marque de niche indépendante. Pour la petite histoire, je me suis laissé dire que « Nuit de Bakélite » a un tel sillage qu’on arrive à le sentir dans un placard flacon fermé.
Je l’ai attendu pendant longtemps et c’est en 2021 qu’il a fini par voir le jour. Nous le devons à Bertrand Duchaufour et il a été choisi par Naomi Goodsir. Je veux parler, bien évidemment de « Corpus Equus » que j’ai pas mal porté ces jours-ci en usant tous les échantillons que j’avais en ma possession. C’est un cuir (encore un), un cuir de Russie dans la grande tradition de la parfumerie à la française mais sans « édulcorant ». L’essence de bouleau, sombre, goudronnée, intense, prend beaucoup de place entre les notes chaudes et froide de rose, d’ambre, de cèdre, d’encens et de musc tonkin pour finir sur un accord cuir et un patchouli profond. La marque le rapproche du caractère impétueux d’un étalon arabe. J’ai grandi entouré de chevaux et c’est un univers que je connais bien. Il est vrai qu’il y a quelque chose d’animal dans ce parfum mais, sur ma peau, il passe par plusieurs étapes. Tout d’abord une rose très boisée, fumée et profonde puis un fond très cuiré, très goudronné et très sombre avec des accents musqués qui sont, c’est vrai, assez fugaces (en tout cas sur ma peau) et font place vraiment à une fragrance profonde, un peu déstabilisante, élégamment sauvage. « Corpus Equus » a été pour moi un choc olfactif et j’ai mis longtemps à oser le porter sur plusieurs heures. J’avais peur qu’il me dérange et pire, de casser les pieds à mon entourage. J’ai utilisé les doses d’essai avec beaucoup de parcimonie car il a un sillage et une tenue absolument effarantes. Je dois dire que je l’aime. Il est sans doute trop audacieux pour moi mais je me vois bien l’acquérir et le porter le temps d’une soirée importante pour me sentir un peu rebelle peut-être. Au niveau artistique, je le trouve particulièrement intéressant et pour moi, il est la quintessence de ce qu’est la parfumerie d’auteur, une oeuvre artistique qui emballera les uns et rebutera les autres.
Voilà, j’espère que cette revue exhaustive sur Naomi Goodsir Parfums vous aura intéressé. Il me fallait la compléter. J’avais envie, à mon petit niveau de passionné, de parler de ces créations surprenantes, parfois clivantes mais toujours singulières et dont la forte identité m’a interpellé. Je sais qu’elles sont sûrement difficiles à découvrir mais je pense que ça vaut le coup.
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