Nicolas de Barry, historien et parfumeur
*Article entièrement réécrit
Passionné d’histoire, Nicolas de Barry a lancé en 2003, sa maison de parfum éponyme. Le postulat en est simple, recréer des fragrances qui auraient pu être celles de personnages historiques célèbres. Il collabore pour cela avec le nez Eddy Blanchet et compte pas moins de 14 créations dont la dernière remonte à 2014. J’avoue humblement que je ne les connais pas toutes et j’ai décidé de me concentrer sur trois parfums que je connais et que je n’ai pas encore évoqué sur ce blog. En effet, je ne vais pas revenir sur « George Sand », d’abord sorti chez Maître Parfumeur et Gantier et qui fut, le premier parfum de la marque en 2003. Il est celui que je porte mais il y a d’autres belles créations dans la marque et il m’est agréable, alors que je les ai senties il y a peu, de revenir dessus.
Le premier parfum qui me vient à l’esprit est « Louis XV » sorti en 2003 et créé, comme toujours par Nicolas de Barry et Eddy Blanchet. C’est un fleuri et l’idée des parfumeurs était d’utiliser les fleurs qui devaient pousser dans les jardins de Versailles à l’époque du « bien aimé ». L’ouverture est une envolée de fleur d’oranger mais, très vite, c’est le coeur floral qui prend le dessus. C’est une explosion ! Tubéreuse, oeillet, narcisse, Jacinthe, gardénia et rose le composent. Nicolas de Barry y a ajouté une note jasminée que je trouve particulièrement envoutante. Le fond est ambré et boisé et permet au parfum de tenir, comme appuyé sur ces notes plus rondes et profondes. J’ai essayé « Louis XV » et j’ai un ami qui le porte. Il peut sembler extravagant dans l’idée pour un homme et pourtant, il est très élégant et, somme toute, relativement facile à porter. Un après-midi, je me trouvais à l’Atelier Parfumé à Lyon qui est, à ma connaissance, l’une des rares parfumeries à distribuer la marque, et il a séduit un tout jeune homme qui était là avec ses parents. Je pense qu’il garde une certaine modernité même si on retrouve l’ambiance très florale du Versailles du XVIIIème siècle. La même année, Nicolas de Barry et Eddy Blanchet ont d’ailleurs créé le « féminin » de « Louis XV » et c’est ainsi qu’est né « Marquise de Pompadour ». La formule est très proche sauf que le départ est un iris ultra poudré et qu'une note de tubéreuse omniprésente se développe. Je l’aime bien aussi. Je le trouve très agréable et élégant.
Dès 2003 Nicolas de Barry et Eddy Blanchet recherchent quel pouvait bien être le parfum ou tout du moins l'univers olfactif de l'impératrice Élisabeth d'Autriche. On le sait, dès son très jeune âge, ce personnage historique plus que populaire, faisait très attention à son physique et entretenait sa luxuriante chevelure à grands coups de baumes réalisés pour elle. "Sissi Impératrice" est vraiment un parfum qui allie la violette et la vanille d'un parfum qu'aurait pu porter l'impératrice avec des notes de brandy et d'iris qui lui confèrent une évolution plus que surprenante. En effet, lorsqu'il vient d'être vaporisé, le parfum a un côté "bonbon à la violette" sucré que je trouve assez désagréable et, petit à petit, il prend corps. Si la violette est toujours présente, le côté sucré s'estompe pour devenir poudré dans un premier temps puis, lorsque les notes de fond commencent à apparaitre, elle devient profonde, opulente, addictive.Je ne porterais peut-être pas "Sissi Impératrice" car il est un peu trop "violette" pour moi mais j'adore le sentir. Les parfums Nicolas de Barry sont assez peu diffusés mais nous avons la chance de les avoir à Lyon et je dois dire que, si j'ai opté il y a bien des années pour "George Sand", il y en a plusieurs que je trouve très réussis. "Sissi Impératrice" en fait partie.
« Eau du Cardinal » a été lancé en 2014. Eddy Blanchet et Nicolas de Barry ont voulu recréer ce qu’aurait pu porter un chef religieux comme Mazarin par exemple. C’est un hespéridé tout à fait explosif et dense car les parfumeurs ont utilisé des huiles essentielles très concentrées. Bergamote, citron, orange, orange amère et mandarine reposent sur une note de bois précieux et, il me semble, d’encens relativement discret. Ce n’est pas une cologne car, dans ce parfum, il n’y a aucune dimension aromatique. Je pense également que le départ est un néroli très dense, très intense qui ouvre le parfum vers ce cocktail d’agrumes rafraîchissant et énergisant. Il est vrai que « Eau du Cardinal » ne m’évoque pas forcément les velours rouges de Richelieu ou Mazarin. Je leur aurais plutôt vu un encens profond et seulement relevé par des notes citronnées mais c’est l’interprétation tout à fait classique et facile à s’approprier qu’en donnent les parfumeurs. Et pourquoi pas ? Attention tout de même à ne pas juger cette création sur ses notes de tête car, tout comme dans les autres, l’utilisation d’huiles essentielles très concentrées peuvent lui donner quelque chose de piquant et de presque désagréable. Il faut le laisser se développer, vivre avec pour en apprécier toutes les facettes. « Eau du Cardinal », n’est pas vraiment le parfum que j’aimerais porter dans la marque mais je reconnais qu’il est très réussi.
Parmi les premiers parfums créés en 2003 par Eddy Blanchet et Nicolas de Barry, « Mumtaz-i Mahal », dédié à l’épouse de l’empereur moghol Shâh Jahân qui régna sur la Perse au XVème siècle. C’est une variation autour de l’huile essentielle d’une rose de Turquie très profonde, presque « truffée » travaillée d’une manière délicate et orientale avec un fond boisé, ambré et légèrement vanillé. L’envolée de bois de rose au départ est un choc olfactif pour moi et j’ai toujours un peu de mal à l’apprivoisé mais le côté envoutant de ce parfum d’impératrice apparait très vite lorsqu’il se développe. « Mumtaz-i Mahal » est une véritable déclaration aux amateurs de rose… de belle rose capiteuse et envoutante. Il y a presque un côté animal lorsqu’il se mélange à la peau avec la note crémeuse et lactée du bois de santal. C’est un parfum très différents de ceux qui sont dédiés à des souverains ou personnalités européennes qui ont aussi leur place dans la collection. « Mumtaz-i Mahal » est un oriental mais sans bois d’oud et peu vanillé. J’aime beaucoup le sentir même si je ne me verrai absolument pas le porter. Il est très beau, envoûtant et c’est un parfum de séduction à n’en pas douter.
Lancé en 2014, « Casanova »l n’est pas forcément mon préféré. C’est un hespéridé très « esprit Cologne » avec un départ de citron, de bergamote et d’orange, un coeur de jasmin et de fleur d’oranger et un fond plutôt chaud et lacté d’ambre et de santal. Inspiré de ce qu’aurait pu porter le célèbre séducteur et aventurier vénitien, ce parfum laisse une impression à la fois de fraîcheur et de propreté et Nicolas de Barry imagine ce que pourrait porter Casanova s’il vivait au XXIème siècle tout en lui gardant les effluves de son époque. Je dois dire que je ne trouve pas forcément ce parfum très original mais il ravira bien évidemment les amateurs de cette Cologne « à l’italienne », entre notes d’agrumes et coeur floral. Le fond très ambré soutient la fragrance et lui assure une excellente tenue. Elle a tout pour devenir un classique et je trouve qu’elle est assez emblématique de la marque.

« Wu Zetian, fut la seule impératrice régnante de toute l’histoire de Chine. Elle fonda sa propre dynastie, la dynastie Zhou, dont elle fut la seule monarque, sous le nom d’« empereur saint et suprême » de 655 à 705 » et elle a inspiré Nicolas de Barry qui a voulu recréer un parfum raffiné et sophistiqué en hommage à ce personnage en utilisant de très belles matières naturelles telles une variété de oud du Vietnam, une rose chinoise du Yunnan, un jasmin et un osmanthus de Guilin, de musc de l’Himalaya et d’ambre gris, le tout associé à la tubéreuse, travaillée en majeur et à une poudre de racine d’iris qui était utilisée par l’impératrice pour blanchir son visage et son corps. J’ai beaucoup aimé la dualité entre le côté très floral et même un peu animal de la tubéreuse et la facette vraiment poudrée de l’iris. C’est un parfum d’une élégance un peu exotique voire vénéneuse, complexe et terriblement tendre. Pour moi, c’est un grand féminin qui pourrait tout à fait être porté par des hommes. Il fait partie de mes coups de coeur dans la collection.

" Née en 1804, George Sand a marqué le XIXe siècle et le romantisme européen de façon exceptionnelle : écrivain à succès, elle fut l’amie des intellectuels de son temps et la compagne de Musset et Chopin. Son château de Nohant était devenu un point de rencontre où tout le monde romantique européen se retrouvait. Elle recevait avec délicatesse à Nohant : cultivait son jardin et notamment un jardin parfumé qui servait à produire des pots-pourris et des savonnettes pour les invités. Sa passion pour les fleurs et les parfums ressort de son abondante correspondance. A Musset rentré à Paris en la laissant à Venise, elle écrit de façon pressante pour qu’il lui envoie le patchouli du parfumeur Leblanc. Elle donne de nombreuses indications à ses parfumeurs: au XIXe siècle, Paris compte 500 parfumeurs-créateurs qui tiennent boutique, et corrigent sans cesse leurs créations. George Sand restera toujours fascinée par le patchouli, par les notes orientales animales (ambre et musc) et par la fraîcheur de la bergamote et du citron, odeurs de l’Italie du sud qui est si caractéristique du romantisme". En partant de ces informations, Nicolas de Barry a pu sentir deux flacons du parfum de George Sand : les produits étaient évidemment oxydés mais suffisamment présents pour pouvoir identifier les principaux composants : patchouli, ambre, rose…". Il existe, à ma connaissance, quatre parfums inspirés de l’univers à la fois androgyne et un peu sulfureux de cette écrivaine hors norme. Le premier, celui que je porte depuis déjà pas mal d’année a été créé par Nicolas de Barry et Jean-François Laporte pour Maître Parfumeur et Gantier en 1988. Chypré, intense avec une ouverture fraîche de bergamote et de citron, il nous entraîne sur un coeur d’ambre et de rose puis se pose sur un fond musqué construit autour d’un patchouli précieux. En 2003, Nicolas de Barry récupèrera sa formule et la modifiera légèrement avec le concours d’Eddy Blanchet pour le ressortir dans sa propre marque. C’est cette version que je porte et que j’aime particulièrement. Je trouve que « George Sand » est l’un des plus beaux chypres du marché. Intense, envoûtant, il m’entraîne plutôt dans l’appartement d’Aurore Dupin, baronne Dudevant au coeur du Quartier Latin alors qu’elle écrivait des nuits entières avec Alfred de Musset en fumant des cigares où lorsqu’elle sortait, habillée en homme au bras de l’actrice Marie Dorval. Je trouve que « George Sand » est beau, sulfureux, à la fois moderne et tout à fait ancré dans le XIXème siècle tel que l’a voulu Nicolas de Barry. C’est une transposition de l’atmosphère du Paris de cette époque et il me l’évoque à chaque fois que je le porte. J’adore ce parfum. Il est unique et je trouve que c’est une vraie réussite. Il est mon préféré de ce que je connais de la collection des parfums historiques de Nicolas de Barry. Je pense que je le porterai aussi longtemps que je le pourrais.

Je ne suis pas très fan des Cologne à l’ancienne mais je dois bien dire que « L’Eau du Vizir » lancé en 2014 fait un peu exception à la règle. Le parfumeur la décrit ainsi : « Le XIXème siècle voit se répandre la mode des Eaux de Cologne, grâce à la clientèle assidue de Napoléon. Les officiers britanniques de l’Empire des Indes cherchent un peu de fraicheur et adoptent le Vétiver, une petite racine odorante prisée par les Maharajas qui l’utilisent pour rafraichir leurs palais. La mode des “Vétiver frais” commence ici avant d’envahir l’Europe…Sensible à l’univers olfactif des Vizirs, Nicolas de Barry a créé un parfum chaud aux notes vertes en dualité avec la fraîcheur du Citron, de la Bergamote et de l’Orange en notes de têtes. Le Santal et le Musc donnent de la puissance et de l’exotisme à cette Eau distinguée… ». Déroutante, originale entre notes vertes de galbanum et amères conférées par l’écorce d’orange, il ma complètement surpris. Sur la peau, il évolue sans arrêt pour se poser sur un fond musqué presque animal et un peu rond. Complètement atypique, « L’Eau du Vizir » est vraiment une réussite tant du point de vue de son originalité que de celui de sa réalisation. Nicolas de Barry propose une Cologne comme une invitation au voyage, étrange et très facile à porter à la fois. Vraiment, ce parfum m’a énormément plu.

La mythique « Eau de la Reine de Hongrie » se devait d’avoir son interprétation chez Nicolas de Barry et je dois dire que, là encore, j’ai été complètement dérouté par son évolution qui tend à recréer l’odeur de la fleur de lavande. « À l’origine, il s’agit d'un alcoolat de fleurs de romarin créé en 1370 pour l’épouse du roi Charles Robert de Hongrie, Élisabeth de Pologne. La reine de Hongrie en fit un usage intensif, interne et externe, tout au long de sa vie. La légende raconte que cette eau merveilleuse (reçue des mains d’un ange) lui permit de conserver sa beauté et que c’est grâce à elle qu’elle fut demandée en mariage par le prince de Pologne, alors qu’elle était âgée de 72 ans. Aucune confirmation historique ne vient appuyer cette belle histoire. Mais elle a contribué à en faire un produit mythique jusqu' au XVIIIème siècle... L’Eau restitue l'arôme si particulier de la fleur de romarin, sur une structure d'herbes médicinales (romarin, sauge, lavande, thym etc.) dans un objectif d'Eau de Santé, préfigurant déjà les futures Eaux de Cologne ». Pleine de charme, cette réalisation a un départ très aromatique qui tendrait à lui donner presque un côté fougère puis, contre toute attente, les fleurs blanches prennent toute leur place et rendent cette eau sophistiquée, profonde et terriblement addictive. Je l’ai essayée en dernier et j’ai bien fait car elle a pris le pas sur les autres créations. Oscillant sans arrêt entre herbes aromatiques et coeur floral, cette « Eau de la Reine de Hongrie » est un atout charme évident. C’est une interprétation intemporelle d’un parfum mythique et il est vrai que Nicolas de Barry excelle dans ce genre de création.

« Michel de Nostredame, dit Nostradamus était un apothicaire de formation. On dit qu' il aurait également été médecin. Pratiquant l'astrologie comme tous ses confrères à l'époque de la Renaissance, il est surtout connu pour ses prédictions sur la marche du monde. Moins connue est son activité de parfumeur: il produisait des baumes dans son atelier et il a même écrit un "Traité des Fardements" (1555) d'où nous avons tiré une recette assez précise de parfum: cette Eau avait comme originalité pour l'époque de comporter du zeste d'orange, un produit nouveau et très cher. Il donne de la légèreté à une composition autour d'un cœur fruité-épicé , de la rose et des incontournables ambre et musc, avec une touche intéressante de calamus ». C’est autour d’une rose ambrée, épicée, fruitée que tourne « L’Eau de Nostradamus » créée par Nicolas de Barry. Elle oscille sans arrêt entre la profondeur de la rose avec des accents ambrés et musqués et la légèrerté des épices. Je dois dire que je n’arrive pas vraiment à identifier l’huile essentielle de calamus mais je pense que c’est ce qui donne le relief de cette réalisation très belle et complètement différente des roses travaillées précédemment par le parfumeur. Je ne pourrais pas forcément porter « L’Eau de Nostradamus » mais je reconnais qu’elle est particulièrement intéressante.

Avec « L’Eau du Prince Igor », Nicolas de Barry ne pouvait pas plus me toucher car, il faut le dire, j’ai un faible pour l’accord cuir de Russie (bois de bouleau et mousse de chêne) et je trouve que celui-ci est complètement différent de ce que je connaissais déjà. C’est un parfum très goudronné mais qui évite d’être trop fumé. « Dans la tradition des "Cuirs de Russie", Nicolas de Barry a recomposé un très classique parfum des années 1920, qui avait fait fureur à Paris et en Europe à cette période: reprenant les odeurs très caractéristiques des selleries, avec une note entêtante de bois de bouleau brûlé (qui évoque le "Banya" russe...), ce parfum très "club" faisait écho à une mode russe à Paris. Sur le plan culturel, les Ballets de Serge Diaghilev sont alors l'attraction principale. Et la star: le danseur Nijinski qui s'illustre dans les danses polovtsiennes du Prince Igor… Cette eau princière propose un Cuir de Russie revisité: certes le bouleau et sa note fumée, les bois, les cuirs sont là, mais dans une ambiance rafraîchie par des notes de Bergamote d'hiver de Calabre… ». Le parfumeur a donné subitement un coup de jeune à cet accord emblématique du début du XXème siècle et « L’Eau du Prince Igor » se situe élégamment entre « Cuir de Russie » de L.T. Piver et la regrettée « Eau du Fier » d’Annick Goutal qui sont deux parfums que j’ai énormément porté. C’est un énorme coup de coeur je dois bien le dire. J’en attendais beaucoup et je n’ai pas été déçu. Vraiment « L’Eau du Prince Igor » correspond parfaitement à mes goûts et, là où j’aurais peut-être eu un peu de mal à porter « Corpus Equus » de Naomi Goodsir que je trouve vraiment très beau mais très fumé et très dense, je pourrais me plonger dans ce parfum, peut-être plus consensuel mais qui garde sa singularité et son originalité. Pour moi, c’est carton plein !

Comme vous avez pu vous en douter en lisant cet article, je me suis vraiment fait plaisir en découvrant ces fragrances que je ne connaissais pas dans la collection historique de Nicolas de Barry. C’est un vrai plaisir de remettre mon nez dans les créations d’une véritable maison de niche artisanale comme je les aime. Il y a quelque chose de jubilatoire à marcher dans les pas du parfumeur et à s’approprier son talent pour en faire sa signature d’un moment ou du quotidien. Je sais, les parfums Nicolas de Barry ne sont pas facile à trouver mais vraiment ils valent le coup d’être découverts et surtout d’être portés.
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