Parfums Intimistes, la naissance d'une toute nouvelle maison
Suivre un projet depuis les premiers prémices est toujours quelque chose à la fois de gratifiant et d’un peu stressant car il y a un engagement personnel qui se met en place qu’on le veuille ou non. Il y a plusieurs années que j’échange avec Emma Clamme qui lance aujourd’hui sa maison de parfums et je dois dire que j’ai suivi pas à pas toutes les étapes de la réalisation de ce projet. Cette fois, ça y est, Parfums Intimistes est née. La marque se compose de trois parfums très différents mais dont le fil conducteur est, pour moi, une certaine poésie et peut-être même la notion de confort même si c’est un mot que je n’aime pas tellement. Après quelques questions, je vais essayer, tant bien que mal, de vous donner mon ressenti après avoir porté ces parfums pendant une journée entière. J’espère que la marque sera distribuée facilement et que vous pourrez découvrir les compositions d’Emma facilement.
Parfums Intimistes en quatre questions :
Bonjour Emma, tout d’abord d’où vous vient cette passion pour l’olfaction et comment vous êtes vous formée à la parfumerie ?
Origine de ma passion pour le parfum : J'ai toujours entretenu un rapport très intime avec le parfum, peut-être parce que je le considère non pas comme un objet mais comme la clef d'une expérience sensorielle et affective profondément humaine. Ma passion (viscérale) pour le parfum en tant qu'expression artistique (et, partant, comme symbolisation de l'intime) est née durant ma petite enfance au Sénégal où j'ai vécu entre l'âge de 3 mois et 7 ans. Là-bas, la sensorialité est culturelle et indissociable de son peuple, que ce soit du point de vue de sa joie de vivre ou de son accueil particulièrement chaleureux et généreux. Lorsque mes parents ont décidé de quitter brutalement ma terre natale, j'ai ressenti une terrible fracture et le parfum a représenté, je pense, une sorte de moyen de continuer à faire vivre cette enfance, ce pays en moi. Peu après notre arrivée, je suppliais ma mère de m'offrir Nahéma de Guerlain. C'est là qu'a démarré ma vie de"collectionneuse" (pathologique ) en quête perpétuelle de beauté et d'émotions olfactives. Ma formation : En 2018, alors que je travaillais comme psychanalyste, j'ai décidé de vivre pleinement cette passion dévorante pour le parfum en devenant parfumeur. Je me suis alors formée auprès de Cinquième Sens et The Perfumery Art School (parfumerie naturelle) avant de poursuivre, durant plusieurs années, ma spécialisation auprès de deux parfumeurs séniors ("Maîtres-Parfumeurs"). J'apprécie particulièrement ce type de transmission "à l'ancienne" auprès de différents mentors. En 2020, j’ai eu la chance de compter parmi les lauréates du concours international de parfumeurs Corpo 35. Cette reconnaissance de mon travail créatif (j'étais la seule à ne pas être issue d'une grande école de parfumeurs) par des professionnels m’a beaucoup encouragée à vivre ma passion pleinement.
Vous avez créé trois parfums abordant des univers très différents, quel en a été l’inspiration ?
Dans un premier temps, je vais vous présenter brièvement le concept de ma marque. Avec Parfums Intimistes, je souhaite avant tout redonner du sens au parfum en rappelant à quel point il est le miroir de nos préoccupations les plus intimes. En témoigne son rôle central (sacré, protecteur, hygiéniste, social etc.) tout au long de l’histoire de notre humanité. « Intimiste » signifie « qui s'attache à exprimer, de manière nuancée, les pensées, les sentiments les plus secrets » (CNTRL, Centre National de Recherches Textuelles et Lexicales). Avec Parfums Intimistes, je me suis donné comme défi de favoriser l’introspection des consommateurs grâce à une sensorialité (choix des matières premières, de leurs textures), une esthétique et un storytelling adéquats. Aujourd’hui, dans notre monde de plus en plus injonctif, agressif et anxiogène, les gens ressentent le besoin urgent de (re)trouver le chemin vers eux-mêmes, le plaisir de penser, de rêver, d’être à l’écoute de leurs affects, de renouer avec ce qui constitue le cœur de leur humanité. C’est dans cette perspective que s’inscrivent mes créations où l’idée de texture olfactive est absolument centrale. Je les ai conçues comme des bulles sensorielles dans lesquelles il fait bon se lover, rêver, s’écouter, se dire. En témoigne, d’ailleurs, ma Baseline* : « Se parfumer, c’est renouer avec l’intimité de ses sens, de ses émotions de ses désirs ».
Cocoa Patchmina m’a été inspiré par la poudre de cacao Van Houten de mon enfance, à son parfum envoûtant, tissé de baumes, de bois, d’épices grillées et d’animalité douce, à sa texture crémeuse, douce, onctueuse (une fois plongée dans du lait chaud). J’ai souhaité éviter l’écueil du chocolat gourmand dans la mesure où j’aime boire ce Van Houten sans sucre. J’ai accentué l’effet « shot de cacao » dès les notes de tête avant d’orienter le parfum vers un accord ambré piqueté de patchouli (il y en a pas mal), de résines et de notes (discrètement) animales pour offrir un parfum moelleux, chaleureux, enveloppant. Je ne peux dissocier ce parfum de l’idée d’un boudoir décoré de conversations (cf fauteuils du passé) et de rideaux en velours pourpre !
L’iris (et le cuir !) sont mes marottes car ils ont le don de texturer un parfum. Ces MP sont présentes dans chacune de mes créations !
Grain de peau fait référence, comme son nom l’indique, au grain de la peau et à sa texture qui varie selon nos émotions etc. J’ai voulu créer un parfum sensuel (et donc un chypre) qui puisse retranscrire une peau qui frissonne (traduite par un chaud-froid d’épices (cardamome, gingembre, cumin, muscade, safran) avant de s’alanguir (notes sensuelles cf immortelle, miel, prune, styrax). Pour changer de la rose (voir storytelling sur le site), j’ai préféré travailler un accord géranium plus original et mixte.
Quant à Nuit Pétale, il m’a été inspiré par les nuits d’été dans le sud de France (chez mes parents) où planait le parfum voluptueux et narcotique du jasmin Grandiflorum. Comme la texture est mon obsession (!), ce sont ses pétales que j’ai souhaité retranscrire dans ce parfum très peau dans la mesure où il évolue très doucement et avec beaucoup de sensualité à son contact. Il y a ici encore l’idée d’une bulle sensorielle dans laquelle se blottir pour mieux s’endormir....
L’univers visuel est très « romantique » au sens sensible du terme et s’harmonise bien avec le côté à la fois original et facile à porter des trois créations. Comment avez-vous choisi le graphisme et les couleurs ?
Je voulais créer un univers poétique et onirique (passionnée par la Vienne fin de siècle - mon mémoire de recherche de DEA d’allemand portait sur ce sujet - l’Art Nouveau m’a, entre autres, sans doute un peu inspirée) aux formes et aux couleurs douces, arrondies, charnelles. Comme déjà précisé, mon objectif est de créer avec Parfums Intimistes, une expérience sensorielle immersive mue par l’émotion et le partage.
Comment voyez-vous la diffusion de votre marque ? Où à-t-elle plutôt sa place ? Parfumeries ? Concepts Stores ? Grands Magasins ?
Une diffusion intimiste, au sein de parfumeries indépendantes et de concepts stores tout aussi intimistes (boudoirs, cabinets de curiosités) et singuliers dirigés par des personnes vraiment passionnées, humaines et sensibles aux valeurs de la parfumerie d’auteur.
Mon ressenti après avoir essayé les trois parfums :
Le premier que j’ai voulu porter, et ça ne surprendra personne, est « Grain de Peau ». En effet, j’ai une prédilection pour la famille chyprée et celui-ci rentre tout à fait dans mes goûts habituels. Emma en décrit ainsi l’inspiration : « Un jeu de textures évoquant la complexité d'un grain de peau grâce à un géranium encanaillé et une immortelle majestueuse vêtue de miel, d'épices et de douceur minérale. Une ode à la peau qui est au parfum ce que la lettre est au mot ». Le parfum s’articule autour de la prune, des épices froides mais aussi chaudes et revêt un côté rose et géranium aussi, miel comme crémeux. Le fond, sur ma peau, est très musqué, légèrement cuiré avec la présence de l’immortelle que j’aime toujours beaucoup. Ce parfum, est très facile à porter pour moi car, en dépit d’une construction plus moderne que celle des chypres classiques, il correspond à mes goûts. Il est à la fois épicé, ce qui ressort beaucoup sur ma peau, mais aussi floral et un peu « sous-bois ». En bref, il se fond parfaitement avec ce que j’aime même s’il sera, je pense, plus adapté à une saison plus froide. C’est un chypre résolument moderne, très addictif et qui s’inscrit vraiment dans les rares parfums de cette famille olfactive qui sont sortis ces dernières années. Il est audacieux et doté d’une forte personnalité. Pour moi, il sera le plus clivant de la marque pour l’instant. Je pourrais tout à fait le porter car il est vraiment proche de ce que j’aime et coche toutes les cases.
« Dans la torpeur moite des nuits d'été, le Jasmin Grandiflorum exhale son haleine narcotique et épicée. Bercée par la caresse de ses pétales veloutés-cuirés, je glisse dans le sommeil, prête à enfanter le rêve, ce voyageur clandestin qui n'est autre que moi-même ». « Nuit Pétale » est le second parfum que j’ai porté et et je dois dire qu’il m’a encore plus séduit que lorsque je sentais les essais qui ont conduit à la formule définitive. Un cuir qui s’associe à un jasmin grandiflorum et qui pourrait devenir un classique, il fallait y penser. On y retrouve, autour d’un cuir suède, très soyeux, des notes de vétiver qui lui assurent une tenue très longue, mais aussi des versants épicés, floraux, musqués et même fruités. Pour moi, il peut avoir des facettes un peu vintage mais, il faut le dire, il est l’un des cuirs les plus tendres et atypiques que je connaisse. La dualité de cet accord et de la force animale et pourtant un peu verte du jasmin est totalement harmonieuse. Vous l’aurez compris, « Nuit Pétale » est un coup de coeur. Vraiment, alors que je ne l’attendais pas forcément, j’ai adoré le porter et je vais le faire encore. Il est intemporel, peut se porter tout au long de l’année car il n’est jamais trop lourd. Vraiment, pour moi, « Nuit Pétale » est une réussite !
Je ne suis pas très client des parfums autour de la note de cacao et j’étais un peu rétif à essayer « Cocoa Patchmina » qui s’articule autour d’une version poudrée et très irisée de la cosse telle qu’on l’imagine, des notes animales et patchouli, avec quand même la douceur charnelle des muscles et d’un accord ambre. Au départ, je sens presque le cacao brut, ethnique, avec un côté ciste qui n’est pourtant présent dans la formule, puis le parfum s’arrondit et devient plus « tendre ». « Un cacao irisé , soyeux et enveloppant comme une étole en pashmina. Une bulle sensorielle tricotée d'ambre, de patchouli et de résines charnelles dans laquelle se blottir, loin du tumulte du monde. Une invitation à prendre soin de soi ». Sur ma peau, le parfum devient très rond, presque gourmand, avec un côté profond. Il est vrai que je suis loin de mes goûts et, même si je trouve « Cocoa Patchmina » super bien réalisé et bien vu, je ne pourrais sans doute pas le porter mais il complète l’offre parfaitement. C’est un parfum original, très singulier même dans son évolution. Je pense qu’il va trouver très facilement son public car il sort des sentiers battus mais il est également facile à porter.
Voilà, j’espère vous avoir donné envie de découvrir Parfums Intimistes et le travaille d’Emma. Pour ma part, j’ai essayé de garder un peu d’esprit critique mais le ressenti face à la parfumerie est toujours très subjectif et je l’assume bien volontiers. Je pourrais porter deux des trois premiers parfums de cette maison, ce qui n’est vraiment pas mal. En tout cas, je lui souhaite succès et longévité et, je l’avoue, j’ai hâte de la voir sur les rayonnages des parfumeries, peut-être confidentielles des grandes villes ou même des plus petites. En tout cas, assister à la naissance de cette maison est très passionnant pour moi et je voulais vous en faire profiter.
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