Passion Parfums

Depuis que j’ai porté « L’Anarchiste » de Caron qui, hélas, aujourd’hui n’existe plus, je suis assez fan de l’utilisation du clou de girofle en parfumerie. Son côté piquant, épicé voire même poivré suivant les autres matières premières avec lesquelles il est associé, il constitue une très jolie note qui est vraiment en symbiose avec ma peau et c’est assez rare. Je trouve que c’est une épice qui ouvre beaucoup de possibilités. Il peut être intégré à des orientaux bien évidemment, mais aussi à des parfums fleuris ou hespéridée et il leur confère toujours quelque chose de très élégant tout en étant un peu mutin et subversif. Le clou de girofle, se fond avec les autres matières premières ou ressort comme note un peu dominante. Il m’a semblé très intéressant de faire un tour d’horizons de créations dans lesquelles il est présent mais qui demeurent tout de même très différentes les unes des autres.

« L’Heure Bleue » créé en 1912 par Jacques Guerlain serait considéré aujourd’hui comme un floriental. Sa composition est vraiment très complexe et il est vrai que la petite note anisée mêlée à la bergamote et à la coriandre de son envolée est reconnaissable entre mille. Le coeur est floral et amandé avec des accents, d’héliotrope, de violette, d’ylang ylang, de rose de Bulgarie ou de jasmin mais ce qui lui donne sa singularité est l’utilisation du clou de girofle qui vient épicer des compostants qui pourraient paraitre un peu convenus et je trouve que cet petit twist s’harmonise parfaitement avec un fond d’iris, de vanille, de benjoin et de fève tonka poudré par une abondance de muscs blancs. La maison Guerlain le définit ainsi : « "Le soleil s’est couché, la nuit pourtant n’est pas tombée. C’est l’heure suspendue... L'heure où l'homme se retrouve enfin en harmonie avec le monde et la lumière." disait Jacques Guerlain. Il évoquait son moment favori où "la nuit n'a pas encore trouvé son étoile". C'est cette sensation fugace qu'il souhaita exprimer en 1912 à travers le parfum l'Heure Bleue ». Pour beaucoup d’amateurs, ce parfum est « Le Parfum » avec de grandes lettres de noblesses et je pense que l’originalité voulue par Jacques Guerlain lui donne quelque chose de singulier qui est venu jusqu’à nous sans le moindre problème. Indémodable, intemporel, « L’Heure Bleue » est une véritable réussite. Je préfère sa concentration eau de parfum que je trouve plus enveloppante. L’extrait est, pour moi, presque trop délicat et l’eau de toilette me semble bien volatile. En tout cas, si j’ai mis un peu de temps à l’apprivoiser, aujourd’hui, je l’aime énormément.

 

Avec « Des Clous pour une Pelure » créé par Christopher Sheldrake en 2020, Serge Lutens donne le ton dès le nom à la fois explicite et imagée de la fragrance. Des clous de girofle piqués dans une écorce d’orange séchée tel est le postulat de cette très belle Eau de Politesse. Pour moi, elle est la plus réussie de la collection. Sur son site, Serge Lutens explique : « Une tradition du Moyen-âge est à l'origine de ce parfum aux notes piquantes et revigorantes : celle de la pomme d'ambre fichée de clous de girofle. Conçue comme une senteur purificatrice, ce parfum se révèle surtout ici un court-circuit émeraude ! ». Pas tout à fait rafraîchissant, pas tout à fait enveloppant, ce jus bleu turquoise (quelle drôle d’idée) est un hespéridé épicé et très étonnant. Je crois également déceler d’autres épices telles la noix de muscade et peut-être le poivre noir. J’ai tout de suite accroché et je pourrais parfaitement me l’approprier. Il faut dire que Serge Lutens n’avait jamais commandé de parfum réellement hespéridé, leur préférant des fleuris fruités (« Fleur d’Oranger », « Fleur de Citronnier ») et je trouve que pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Sur ma peau, dès les premières notes, la sensation de bien être arrive. Je trouve ce parfum à la fois vraiment cocon et vraiment piquant ce qui pourrait être contradictoire et pourtant pas du tout. Il est, pour moi, l’une des très belles oranges sur le marché.

J’ai toujours bien aimé « Piper Nigrum » créé en 1999 par Lorenzo Villoresi pour sa marque éponyme. J’ai évoqué ce jus à plusieurs reprises et je ne me voyais pas parler de la note de clou de girofle sans y revenir. La marque le décrit ainsi : « Le vent du désert soufflait sur les caravanes chargées de poivre et d'épices. Piper Nigrum, c'est une overdose de poivre et d'épices africaines sublimées par des notes de menthe fraîches et d’agrumes ». Boisé, épicé pour les uns « bouquet garni » ou « Vicks Vaporub » pour les autres, il s’ouvre sur une envolée d’anis, de fenouil, de menthe poivrée, de poivre noir et d’agrumes et d’emblée il dégage quelque chose de frais comme une balade dans un jardin aromatique de Toscane. Le coeur, construit autour du clou de girofle et de la noix de muscade est renforcé par une autre note de poivre, du romarin et de l’encens. Le fond de benjoin et de cèdre est rehaussé de myrrhe et de styrax. Pour moi, « Piper Nigrum » est vraiment l’une des très belles réussites de Lorenzo Villoresi. Il ne ressemble à rien d’autre. Je l’ai essayé à de nombreuses reprises et je n’ai pas réussi à me l’approprier même si j’adore le sentir et le re-sentir.

 

 

Créé par Jean-Pierre Bethouart en 1991, reformulé en 2010 puis en 2013, « Parfum Sacré » est un fleuron de la collection des féminins de la maison Caron. C’est un encens épicé avec une envolée de poivre, de cannelle, de cardamome qui conduit sur un coeur de rose et de clou de girofle adouci par des notes de jasmin sambac. Le fond oscille entre accents de myrrhe et de vanille avec un accord musc très discret. La marque le décrit ainsi : « Inspiré par les liens très forts qui unissent le parfum aux divinités et à la séduction féminine, cet oriental mystérieux orchestre autour du poivre cher à Caron une profusion d’épices. Il dévoile ensuite la richesse d’un sillage oriental poudré où la myrrhe épouse la vanille et le musc. Un sillage à la sensualité brûlante, où s’exprime majestueusement le style de Caron ». J’ai toujours trouvé que ce parfum était un véritable beau Caron moderne et il est, indéniablement, mon préféré de la collection des féminins si élégants avec leur beau flacon en demi-lune. J’ai senti les trois versions et, si elles sont proches, je trouve qu’elles ont vraiment un fil d’Ariane commun. Pour moi, elles sont toutes belles et dignes d’intérêt aussi n’ai-je pas de mal à m’attacher à la dernière en date. Ce n’est pas un parfum très connu mais il mérite d’être découvert et essayé. Je trouve que le coeur très épicé est vraiment une réussite.

 

« Pomegranate Noir » a été créé en 2005 par la parfumeuse britannique Beverley Bayne et il est un des fleurons de la maison Jo Malone London qui le décrit ainsi : « La sensualité et l’audace d’une robe rouge.Les jus couleur rubis de la grenade, de la framboise et de la prune sont corsés par le poivre rose et enlacés de Lys de Casablanca et de bois épicés. Sombre et énigmatique ». L’envolée très fruitée avec des notes de grenade, de rhubarbe, de prune, de framboise et même de pastèque nous emmène sur un coeur boisé et épicé qui fait la part belle au clou de girofle piquant et au poivre rose soutenus par le bois de gaïac et d’une très belle variété de lys de Casablanca pour se terminer sur un fond ambré et patchouli soutenu par le cèdre de Virginie. J’ai eu un peu de mal à me rapprocher de ce parfum complexe qui est assez éloigné de l’esprit de la marque et je dois dire qu’il m’a fallu un peu de temps pour m’y accoutumer. Aujourd’hui, je le sens avec un grand plaisir. Je suis très heureux de l’avoir essayé. Je trouve que l’équilibre entre les notes fruitées et épicées est vraiment très réussi. Je ne l’ai pas vraiment porté mais je n’exclue pas de le faire dans un avenir proche.

Vous l’aurez compris, j’ai vraiment un attachement pour la note de clou de girofle et, si je l’apprécie dans « Noir Épices » créé par Michel Roudnitska pour les Éditions de Parfum Frédéric Malle, je suis toujours très attiré par les parfums qui l’emploient en majeur. Je dois dire que c’est une épice clivante, on aime ou pas mais je trouve qu’elle est souvent très bien travaillée.