Passion Parfums

* Article modifié

Comme celle du circuit sélectif, la parfumerie de niche, telle qu’elle s’appelait avec raison lors de ses premiers balbutiements, a également, dans ses marques et leurs collections, des parfums emblématiques qui, issus d’un « bricolage » d’artistes et de chimistes, sont devenus, contre toute attente, des classiques, voire des best sellers. Il faut rappeler que Diptyque a été la première marque indépendante et qu’elle a été lancée dès 1968 par trois amis propriétaires d’un « bazar de luxe » qui se trouvait au 34 boulevard Saint-Germain, dans le sixième arrondissement de Paris. En faisant appel à des parfumeurs alors indépendants ou non, Christiane Montadre-Gautrot, Yves Coueslant et Desmond Knox-Leet ont inventé une parfumerie qui leur ressemblait et qui, encore aujourd’hui, occupe une place importante dans l’univers olfactif français. Dix ans plus tard, en 1978, Jean-François Laporte, chimiste et ayant travaillé dans le milieu, crée, suite à un concours de circonstance L’Artisan Parfumeur et devient le premier éditeur de parfum mettant en valeur ses créateurs comme le fera onze ans plus tard Frédéric Malle et le succès, grandissant de sa marque, fait que désormais, elle compte cent-une création lancées (certaines ont été arrêtées) au fil des années. L’univers de la maison est, comme nous l’avons déjà vu, un éclectisme assumé. Parmi les pionniers de la parfumerie indépendante, la troisième était à la base pianiste, un peu antiquaire et portait le doux nom d’Annick Goutal qui, en 1980, après s’être passionnée pour les fragrances et avoir appris le métier avec un parfumeur grassois, lance sa marque à l’univers à contre-courant de ce qui se faisait à l’époque. Sa collaboration avec la très talentueuse Isabelle Doyen lui assurera des créations inoubliables et un succès indéniable. En 1989, c’est au tour de Patricia de Nicolaï, nièce de Jean-Paul Guerlain, de se lancer et de produire ses propres créations, des jus plus classiques et dans la tradition de la belle parfumerie française. Je peux également citer, dans cette introduction qui est un tour d’horizon des premières marques, évidemment Serge Lutens dont le parcours est plus sinueux grâce à sa collaboration avec Shiseido, « Maître Parfumeur et Gantier », créé par Jean Laporte, après qu’il ait vendu l’Artisan Parfumeur, et Nicolas de Barry ou encore, évidemment, les éditions de parfum Frédéric Malle et la très belle marque de Marc-Antoine Corticchiato, Parfum d’Empire. La parfumerie de niche est donc ainsi née. Je me devais ce petit rappel avant d’entrer dans le vif du sujet et vous parler de cinq créations qui sont devenues moins confidentielles et demeurent, longtemps après leur création, des classiques voire des bests sellers.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que lorsque Jean-François Laporte a créé « Mûre et Musc » en 1978 pour sa marque L’Artisan Parfumeur, il a fait un coup de maître, je l’ai souvent évoqué. Il se partage avec sa version extrême, créée en 1993 par Karine Dubreuil la tête des ventes de la maison désormais revendue à un groupe financier. S’il était audacieux car l’association des fruits noirs et rouges et particulièrement de la mûre à l’odeur si particulière avec les muscs blancs, était complètement inédite et, je dois bien le dire, ce parfum est vraiment identifiable immédiatement et je le trouve à la fois impertinent et élégant. C’est sans doute cette dualité qui en a fait un classique dont le succès ne s’est jamais démenti.

 

 

Il est impossible de parler des bests de la parfumerie d’auteur sans revenir, une fois de plus sur « L’Eau d’Hadrien », créé en 1980 par Francis Camail et Annick Goutal pour sa marque. Il est le parfum hespéridé incontournable. Isabelle Doyen dit qu’il est comme Tintin et qu’il s’adresse à tous les humains de sept à soixante-dix-sept ans et je la rejoins tout à fait. Facile à porter malgré son identité très marquée, il est vraiment intemporel et unique. Si j’ai un faible pour l’eau de parfum, je pense que la marque a eu raison d’en créer une version eau de parfum même si l’original a déjà, pour un parfum « agrumes », une excellente tenue. Je l’ai toujours aimé et je pense que ce n’est pas fini.

Je ne connais pas très bien la marque de Patricia de Nicolaï et il faudra que je prenne le temps, lorsque j’irai à Paris, de découvrir quelques unes de ses créations mais je ne suis pas passé à côté de « New York » qui est un best il faut bien le dire et qui, s’il plait plutôt aux hommes, est tout à fait mixte et identifiable entre mille. C’est un parfum oriental fougère qui tend vers un côté boisé avec une envolée de bergamote, de thym et d’armoise, un coeur de camomille, d’épices et de lavande et un fond de civette, de castoreum, de vanille de styrax et de muscs blancs. L’un de mes proche l’a porté durant des années et je dois bien dire que, s’il s’en est un peu éloigné, je trouvais qu’il était sa signature. Je pense que sa formule, à la fois complexe et classique en a fait un incontournable non seulement de la marque mais aussi de la parfumerie en général. Il m'a rappellé "Habit Rouge" de Guerlain dans une très ancienne version...

C’est en 1996 que la toute jeune Olivia Giacobetti a inventé le best de la marque Diptyque. J’ai nommé évidemment « Philosykos ». L’idée était de retrouver l’odeur du figuier en pleine nature et, vraiment, c’est une parfaite réussite. L’ouverture de feuille de figuier, de figue mûre nous conduit sur un coeur de bois de figuier et de noix de coco pour terminer sur le fond presque acidulé à dominante de cèdre. Je comprends parfaitement son succès. Il est tout l’esprit de la maison en un parfum. Très végétal et un peu fruité, il ne ressemble à rien d’autre et, lorsqu’on le porte, il est vraiment porteur de bien être. C’est un très joli parfum mais j’admets qu’il n’est pas vraiment pour moi car je le trouve un peu trop « figue » et que ce n’est pas nécessairement une effluve qui me séduit mais force m’est de constater que sa construction olfactive est parfaite et qu’il s’en dégage quelque chose de naturel et élégant. C’est un parfum très facile à porter et très subtil comme sait si bien les créer Olivia Giacobetti.

 

 

J’aurais pu évoquer, une fois de plus, « Teint de Neige » de Lorenzo Villoresi ou encore « Féminité du Bois » mais je l’ai déjà tellement fait au fil des pages de ce blog que je pense que j’ai fait le tour alors mon cinquième « best » (et non le moindre) est indubitablement « Cuir Ottoman » créé en 2006 par Marc-Antoine Corticchiato pour sa marque Parfum d’Empire. Je pense qu’il est, non seulement, une belle vente de la maison mais qu’il a également beaucoup inspiré les parfumeurs car, s’il s’inscrit dans la plus belle traditions des cuirs à la française, il s’en dégage une modernité extraordinaire. Poudré et baumé dès le départ d’iris, de jasmin et de ciste, il évolue sur un accord cuir de Russie, de baume de Tolu, de styrax et de benjoin pour se poser délicatement sur un fond d’encens, de benjoin et de vanille. « Cuir Ottoman » est presque une famille olfactive à lui tout seul tant il a été copié (plus ou moins adroitement d’ailleurs) et porté. Pour ma part, il est celui de cette sélection que je connais le mieux car je l’ai porté très longtemps. Je l’aime énormément.

Il y a, bien évidemment d’autres bests plus modernes de la parfumerie de niche. Je pense par exemple à « African Leather » de Memo ou encore « Nuit de Bakélite » de Naomi Goodsir mais j’ai choisi de me concentrer sur les premiers. Ceci dit, si cet article vous a intéressé, rien ne vous empêche de me le dire afin que je commence des recherches pour une suite. En tout cas, me replonger dans ces fragrances que je crois connaître et que je découvre finalement à chaque fois, m’a en partie expliqué leur succès. Ce sont tous des merveilles de créativité et de singularité.