Passion Parfums

Depuis une dizaine d’années, il suffit de se connecter sur internet pour se rendre compte de ce qu’est devenu la parfumerie de niche. Le terme, il faut bien le dire, est galvaudé. À l’instar du parfumeur Michel Roudnitska, je préfère le terme de parfumerie d’auteurs mais c’est un vaste débat que je ne vais pas ouvrir ici. J’avais seulement envie de revenir aux fondamentaux. Qu’est-ce que la parfumerie de niche ? Comment est-elle née en tout cas en France ? Quelles sont les marques et les parfums historiques et emblématiques qui en font une une manière alternative de se parfumer ? J’ai donc décidé de faire quelques recherches pour savoir comment les choses se sont déroulées pour parvenir à une profusion de marques, certaines passionnantes, d’autres surfant vraiment sur la vague. J’avais aussi envie de parler des points de ventes « historiques » qui ne sont pas, comme on pourrait le croire nés dans les rues branchées de la capitale mais bien en province.

Je pense que l’on peut parler de parfumerie de niche, de parfumerie d’auteurs ou de parfumerie alternative si la marque répond à plusieurs exigences. La première est indéniablement l’originalité. En effet, quel est l’intérêt de dénicher son parfum dans une maison confidentielle ou qui le revendique si c’est pour porter quelque chose dont on pourrait trouver un équivalent dans une marque du circuit sélectif, donc plus facilement, et à un prix plus bas ? Le second critère est la liberté totale ou relative du parfumeur. Je m’explique : dans une marque du circuit sélectif, le ou les créateurs répondent à un brief plus ou moins précis et à des contraintes de matières et de prix. Dans une marque dite de niche, la création d’un parfum correspond soit à la volonté du fondateur de la marque soit à celle du nez. Je veux ajouter que la création doit trouver son public et non l’inverse. En effet, dans une marque « grand public », la sortie d’un nouveau jus est, le plus souvent l’aboutissement d’une étude qui en fixe les critères et même les notes. Ce ne devrait jamais être le cas dans une maison de niche. Ensuite, il y a le mode de diffusion. Logiquement, les parfums d’auteurs sont diffusés soit dans des parfumeries indépendantes, le plus souvent, et, lorsqu’elles peuvent se le permettre dans des boutiques en nom propre. On le voit d’ailleurs de plus en plus même lorsque la marque est resté propriété de son fondateur. La Fragrance Foundation France classifie différemment les marques faisant la différence entre la haute parfumerie qui regroupe, en somme les collections privées des marques grand public, les marques propriétés d’un groupe et les marques indépendantes. Je trouve que c’était nécessaire car toutes n’ont ni le même mode de diffusion ni les mêmes ressources.

Je parlais de diffusion et je pense qu’il faut faire la genèse des parfumeries multi-marques qui ont commencé, dès la fin des années 90, à distribuer des parfums alternatifs. Certaines marques comme Annick Goutal, Nicolaï Parfumeur Créateur ou encore L’Artisan Parfumeur ont, très tôt eu des enseignes à leur nom mais les plus petites maisons ont tout d’abord étés distribués en provinces dans des parfumeries traditionnelles qui leur réservaient un espace et je pense que la première fut Taïzo à Cannes. Puis, certaines boutiques se sont vraiment spécialisées dans les années 2000. On a vu la « bifurcation » de la Parfumerie du Soleil d’Or à Lille, de Santa Rosa à Toulouse et, bien évidemment, il y a déjà 22 dans, de La Mûre Favorite dans le 6ème arrondissement de Lyon puis de L’Atelier Parfumé dans la Presqu’île. C’est seulement deux ans plus tard qu’est née, nichée au coeur du Marais, la toute première parfumerie de niche de Paris, j’ai nommé Marie-Antoinette qui est devenue une institution notamment grâce à la personnalité très attachante d’Antonio, son fondateur. Depuis, nombre de passionnés en France et en Suisse ont ouvert leur boutique et je crois que beaucoup offrent une sélection exigeante, pointue et qui offrent aux amateurs des envies illimitées. Je citerai bien évidemment La Parfumerie Bordelaise, Théodora à Genève, Le Nez Insurgé à Bordeaux, Le Paravent et Odorem à Lyon, Sens Unique à Paris et bien d’autres que je suis content de découvrir lorsque je me déplace. À Paris, c’est toujours dans le Marais que l’un des lieux où la sélection est le plus audacieuse qui a ouvert il y a quatorze ans. Il s’agit de Sens Unique dont j’ai déjà beaucoup parlé. Il est aussi de très grands espaces tels Jovoy tout près de la place Vendôme ou Nose rue Bachaumont dans le Sentier qui offrent un grand choix de marques pour la plupart indépendantes ou au moins qui l’étaient à leur lancement.

Je pense l’avoir déjà écrit mais la toute première marque à se tourner vers la parfumerie indépendante a été Diptyque qui, dans sa boutique du Boulevard Saint-Germain, au coeur du Quartier Latin de Paris, a commercialisé, dans un concept de bazar chic et de cabinet de curiosité, « L’Eau de Diptyque » dès 1961. Aujourd’hui, la marque compte trois collections de parfums pour soi, de nombreux produits de toilette et de senteurs pour la maison. Elle est également largement distribuée dans des boutiques en nom propre à travers la France mais aussi dans des parfumeries indépendantes et, parfois, dans les stands spécialisés des grands magasins. « L’Eau de Diptyque » existe toujours et a sans doute été reformulée mais j’avoue que je ne l’ai jamais sentie. Ensuite, mais plus de dix ans plus tard, c’est Jean-François Laporte qui, après avoir créé une eau de toilette emblématique, « Mûre et Musc », fonde sa marque, L’Artisan Parfumeur. Dès 1976, la marque sera distribuée dans des franchises à travers la France, dans des boutiques multi-marques puis, sur les stands des Grands Magasins. Depuis quelques années, la marque, rachetée par le groupe espagnol Puig, ouvre, un peu partout, à Paris comme ailleurs, des boutiques en nom propre ce qui change vraiment la physionomie du réseau de distribution. Elle compte aujourd’hui plusieurs collections outre celle des classiques et, pour ma part, je suis un grand amateur de La Botanique, créée d’abord sous le nom de Natura Fabularis et signée Daphné Bugey qui renoue avec le côté complètement inédit de la marque. Pour finir avec les marques pionnières, je ne peux que parler de celle qui me touche le plus. Complètement à contre-courant, hors des modes et du bling-bling des années 80, Annick Goutal lance sa maison un peu par hasard en 1981 après avoir appris la parfumerie à Grasse. Elle s’adjoint très vite le talent de la formidable Isabelle Doyen et lance une collection toute en élégance et en finesse dont beaucoup de fragrance, dont la première « L’Eau d’Hadrien » en version eau de toilette existe toujours. La marque a été vendue une première fois au groupe Taittinger puis, il y a une bonne dizaine d’années à un groupe coréen. Elle a un peu perdu son identité propre en devenant Goutal Paris et en changeant le flaconnage il y a quatre ou cinq ans. J’ai déjà parlé de cela et je ne vais pas m’étendre d’autant que, même les parfums qui ont étés reformulés, restent vraiment beaux, qualitatifs et d’une élégance rarement égalée. Voilà donc pour les trois marques pionnières, suivront bien évidemment Nicolaï Parfumeur Créateur en 1989, Serge Lutens, Les Éditions de Parfums Frédéric Malle et Parfum d’Empire.

Je terminerai par un avis personnel et moins historique. Bien évidemment, je le laisse guider par mes goûts et je peux être client de nombres de marques, qu’elles soient alternatives ou plus grand public mais je vais avoir plus de plaisir à m’intéresser à des maisons qui ont su rester indépendantes et qui durent comme Parfum d’Empire par exemple. C’est ma démarche, mon admiration devant le travail artistique mais je ne néglige aucune marque même si je suis toujours un peu enragées contre ce que j’appelle « la fausse niche » qui proposent à des prix très élevés des jus d’une banalité rare. Je voulais aussi préciser que souvent, même si pas toujours, lorsque les points de vente se sont multipliés, la qualité a baissé. Certaines maisons ont voulu plus de visibilité mais on du pour répondre à la demande, « diluer » un peu leurs matières premières ce qui est un problème pour la tenue du parfum. Ce point de vue n’engage que moi et je pense que chacun « voit midi à sa porte » ou à son nez et trouve le plaisir de sentir où il ou elle le veut.