Je me suis toujours parfumé et, avant d’avoir l’idée de pouvoir explorer toutes les familles olfactives, je cherchais parmi le rayon homme de ce qui allait devenir les parfumeries du sélectif. Si les féminins sont plus facilement mythiques que les masculins, il y a quand même de grands parfums qui ont marqué le XXème siècle en France (au Royaume Unis, Penhaligon’s, entre autres, s’intéressaient au secteur depuis longtemps) en tout cas. Le premier, j’en ai souvent parlé, a été bien évidemment « Pour un Homme » de Caron créé par Ernest Daltroff en 1934 même si d’autres maisons avaient un peu amélioré leurs eaux de Cologne pour plaire à une clientèle masculine un peu plus facilement. Ensuite, il faudra attendre les années quarante pour voir apparaître des fragrances uniquement « pour mec ». Nous allons y revenir durant cet article, à travers cinq créations mythiques.
Très tôt, Jacques Guerlain a compris qu’une certaine clientèle masculine pouvait s’intéresser à la parfumerie en constatant que plusieurs élégants parisiens portaient « Jicky ». En 1904, il crée donc un parfum à mi chemin entre ce qui deviendra une fougère et un orientale destiné à parfumer les mouchoirs et l’intérieur des vêtements. Il s’agit bien évidemment de « Mouchoir de Monsieur » qui, après l’avènement de « Pour un Homme » de Caron, deviendra un parfum à part entière. Je le connais bien car je l’ai porté. Il est typique des eaux de toilettes de la première moitié du XXème siècle. Un peu cologne, un peu aromatique et, finalement déjà, un peu oriental, il s’appuie sur un fond d’iris, d’ambre, de vanille et de mousse de chêne après avoir fait la part belle à la lavande, la cannelle et la fève de tonka. Son départ de bergamote et de verveine lui confèrent quelque chose de frais mais c’est tout de même une vraie création, complexe qui existe toujours aujourd’hui. Je trouve qu’il a beaucoup de points communs avec les parfums pour hommes à l’anglaise de cette époque, je pense évidemment à « Blenheim Bouquet » de Penhaligon’s mais en plus sophistiqué et aussi en plus poudré. J’ai beaucoup aimé « Mouchoir de Monsieur ». Je trouve qu’il était un pendant très réussi à « Jicky ». La seule chose que je lui reprochais était sa tenue. Je ne l’ai pas racheté uniquement pour cette raison. Aujourd’hui, ce grand succès du passé est toujours disponible mais il est un peu difficile à trouver. Il faut le commander dans les parfumeries du sélectif ou sinon se rendre sur un stand ou un dans une boutique Guerlain.
C’est beaucoup plus tard, et je l’avais déjà évoqué, que Marcel Rochas demande à Edmond Roudnitska de lui créer un parfum masculin. Il naitra quelques années plus tard, en 1949 de l’imagination de Thérèse, l’épouse du parfumeur et son écriture plus épurée en fera, après « Fougère Royale » de Houbigant, l’un des premiers parfums réellement aromatiques de la parfumerie française. Cette construction construite autour de l’oeillet et des agrumes (citron et bergamote) comporte des notes très nettes de géranium un peu amer, de jasmin doux et un peu vert et de lavande. Le fond est poudré, Edmond Roudnitska l’ayant saturé de muscs blancs. Je trouve que la réédition de « Moustache Original 1949 » est vraiment magnifique. C’est une construction de cologne mais avec vraiment beaucoup de relief et de facettes différentes. J’ai eu un réel coup de coeur pour cette fragrance qui n’a pas pris une ride. À l’époque, « Moustache » existait en deux concentrations différentes, l’eau de toilette et l’au de toilette concentrée. Edmond et Thérèse Roudnitska ont eu énormément d’imagination et je comprends que l’élaboration de ce parfum ait pris plusieurs années. Désormais mythique, il avait été abandonné par la marque, un peu passé de mode et, il y a quelques temps, ils ont décidé de le sortir à nouveau tout en limitant les points de vente en même temps qu’ils lançaient une eau du parfum avec le même nom et le même flacon, créée par Nathalie Gracia-Cetto plus accessible au grand public mais radicalement différent de l’original. Pour plus de précisions, je vous renvoie à mon article sur « Moustache Original 1949 ».
En 1966, Edmond Roudnitska revisitera en quelque sorte « Moustache » pour créer, pour la maison Dior, le désormais mythique « Eau Sauvage ». Sa construction est vraiment très cologne entre une profusion de notes d’agrumes et de plantes aromatiques telles que le basilique, le romarin et la verveine. On retrouve toujours un coeur de géranium et un fond ambré boisé avec une overdose de vétiver et de mousse de chêne. Le lancement de « Eau Sauvage » est un peu visionnaire car il représente un homme moderne, qui prend soin de lui et qui initie une nouvelle génération deux ans avant mai 68. Le fils d’Edmond Roudnitska, Michel, nous avait confié que, lorsqu’il était étudiant à Paris, tous ses condisciples portaient « Eau Sauvage ». Il reste, encore aujourd’hui, l’un des plus grands succès, non seulement de la maison Dior mais également de toute la parfumerie sélective qui s’adresse à une clientèle masculine. Il a même été, en 1984, lancé sous une forme « extrême », plus boisée, plus aromatique et un peu aldéhydée que je trouve différente de l’original. Pour être honnête jusqu’au bout, je n’aime pas tellement « Eau Sauvage ». D’abord, je trouve que c’est un parfum qui a vieilli et ensuite, il est tellement porté qu’il ne me plait pas vraiment. Il y a même une note qui me dérange pas mal mais sans doute ai-je tort, tant il remporte, encore aujourd’hui, un grand succès.
Créé par le parfumeur Pierre Wargnye en 1982, « Drakkar Noir » de Guy Laroche a été le parfum de toute une génération. C’est un aromatique fougère avec une formule à tiroir tels que les maisons de coutures les aimaient à cette période. Ayant grandi dans la terrible décennie 80, je l’ai senti et re-senti toute mon adolescence. Mes copains, mes camarades de classe, sans doute aussi mes cousins plus âgés, le portaient. Le départ est très aromatiques avec des notes de romarin, de lavande, d’armoise et de menthe, acidulée par un cédrat très présent. Le coeur de pin, d’angélique et d’oeillet est typique des parfums masculins de ces années-là et le font à la fois boisé et vert soutient le tout. À l’époque, la campagne de publicité était absolument colossale et il était difficile de passer au travers. Je dois admettre que ça avait plutôt tendance à me décourager. J’ai redécouvert « Drakkar Noir » il y a quelques années et, s’il est un peu tombé en désuétude et s’il est très typé années 80 avec tout ce qui va avec, les looks improbables, la new wave et les synthétiseurs, il m’a rendu presque nostalgique d’une époque insouciante. « Drakkar Noir » a toujours ses adepte car il est toujours fabriqué et assez largement distribué. Je pense, qu’il a été et, finalement demeure aujourd’hui, un incontournable de la parfumerie masculine.
J’aurais pu parler de « Fahrenheit » de Dior, de « Le Mâle » de Gaultier ou encore de « Amen » de Mugler qui ont été et sont encore de gros succès mais ils me rebutent tellement que l’envie d’en faire un descriptif n’est pas là. Je vais donc revenir sur un parfum qui est, pour moi, celui qui clos le XXème siècle car, jeune adulte, je l’ai senti sur mes copains, mes collègues de travail. Il s’agit de « Jaïpur » de Boucheron qui est un oriental épicé créé par Annick Menardo. Si je n’ai jamais pu le porter, je l’ai toujours aimé. Il ne ressemble à rien d’autre et je le trouve particulièrement réussi. Je trouve qu’il porte très bien son nom avec son overdose de jasmin sambac et de rose de turkie relevée par des épices comme la cannelle, le clou de girofle ou la noix de muscade. Opulent mais pas trop, il a un côté exotique chic. Je crois qu’il existe en eau de parfum et en eau de toilette encore aujourd’hui. Il était assez surprenant quand il est sorti mais j’ai toujours trouvé qu’il demeurait facile à porter. Un rien extravagant, très épicé, c’est un joli parfum vraiment et qui continue à avoir son succès.
Voilà, j’ai fait un peu le tour des parfums masculins qui ont marqué leur temps et, en tout cas mes narines. Il y en a plein d’autres mais je trouve que ceux-ci sont toujours révélateurs d’une époque et je me rends compte qu’ils ont toujours leurs adeptes vu qu’ils sont encore fabriqués et vendus dans les chaînes de parfumerie et des grands magasins.