Quelques unes de mes tubéreuses préférées
J’ai souvent évoqué la tubéreuse mais soit d’une manière très générale, pour son opulence, son côté à la fois élégant et parfois dérangeant mais j’avais envie d’envisager cette note que j’ai mis un certain temps à apprivoiser par un autre biais. En effet, si elle peut être envoûtante ou entêtante selon les nez, elle peut aussi revêtir de nombreuses facettes. Tour à tour réellement florale, médicinale ou animale, elle peut être travaillée de manière très différente. On la retrouve vraiment dominant un bouquet de fleurs blanches, s’intégrant dans des notes vertes ou boisées ou encore associée à des effluves narcotiques ou cuirée. Oui, cette tubéreuse faussement vénéneuse, séductrice ou profondément « confortable » peut nous surprendre. Je crois que je me suis rendu compte de ça non pas en sentant le très beau « Fracas » de Germaine Cellier pour Robert Piguet mais plutôt en découvrant le désormais discontinué « Royal Mayfair » de Creed qui offrait une approche presque mentholée de cette note. J’ai donc décidé d’aller explorer ou ré-explorer avec vous des parfums très différents les uns des autres afin de sentir, par le prisme de cette fleur, des univers complètement variés. J’ai sélectionné cinq parfums que j’aime et dans laquelle cette note est travaillée en majeur.
Le premier parfum qui m’est venu à l’idée m’a séduit dès sa sortie en 2016 et il s’agit de « Adjatay Cuir Narcotique » créé par Alexandra Monet pour The Different Company. La parfumeure décrit ainsi son oeuvre : « Tanné, souple, grainé, maroquin, pleine fleur, mégissé, vernis. J'ai toujours adoré travailler les notes cuirées car elles ont une facette charnelle et les possibilités sont immenses. Pour "Adjatay, cuir narcotique "J'ai eu envie de travailler un cuir épais, sombre et texturé, un cuir qui crisse quand on le prend en main, un cuir au parfum de débauche. Pour cela j'ai associé l'essence de Styrax, l'absolu Castoreum et le Cypriol à des notes épicées noires. Sur cette structure cuirée, je suis venue y déposer une tubéreuse subversive dans laquelle les notes narcotiques envahissent l'espace. Entre le Cuir et la Tubéreuse, l'osmose est parfaite, aucun des deux éléments ne prend le dessus, ils vibrent et se répondent afin de créer une puissante addiction » et je dois bien dire que j’en comprends parfaitement l’inspiration car la dualité entre le cuir et la tubéreuse, presque fantômatique et pourtant parfaitement présente se révèle d’un équilibre parfait. Avec son départ d’ylang-ylang et de mandarine déjà opulent et pourtant ciselé, son coeur floral et amandé de tubéreuse associée à des notes de jasmin qui le rendent encore plus animal et d’héliotrope et son fond résolument cuiré avec des accents styrax, castoreum, santal et tonka, ce parfum à la fois complexe et lisible m’a séduit immédiatement et je dois bien dire que je suis très attiré par « Adjatay Cuir Narcotique » qui, entre élégance et animalité, réussit le parfait équilibre.
En 2014, avec « L’Eau Scandaleuse », Anatole Lebreton va encore plus loin dans la dualité entre le cuir et la tubéreuse. Il décrit ainsi son oeuvre : « Comme une danse, un combat, la chair de la tubéreuse se mêle à la peau sèche du cuir et duo s’alanguit sur un tapis mousseux. L’animalité de l’un et de l’autre se répond et s’enlace, s’accouple avec insolence et sensualité ». Avec ce parfum, je trouve que le parfumeur a vraiment exploité sans complexe le côté très animal, très cuir, à la limite du too much de cette fleur subversive et envoûtante. Jugez plutôt, le parfum s’ouvre avec des notes de bergamote, de pêche et de davana comme pourrait l’être un chypre très contemporain mais, très vite la tubéreuse très opulente se mêle à l’ylang-ylang pour le côté lumineux et au cuir pour nous conduire sur un fond castoreum, cypriol nagarmotha et mousse de chêne. Pour moi, si elle est parfaitement affirmée et assumée comme un parfum cuiré, « L’Eau Scandaleuse » est aux confins de trois familles olfactives et je suis très vraiment très séduit. J’ai essayé beaucoup ce parfum et je lui trouve une vraie élégance et même, oh surprise, un côté cocon très agréable au plus froid de l’hiver. J’ai un coup de coeur pour ce parfum il faut bien le dire mais je dois bien dire que c’est une création au caractère très bien trempé qu’il faut assumer. Peut-être même qu’il faut en casser le style en la portant avec une tenue plus décontractée. Je ne sais pas mais, en tout cas, j’ai pris beaucoup de plaisir à le porter sur toute une journée pour écrire mon article. C’est un parfum que je pourrais aisément m’approprier.
J’ai eu un vrai coup de coeur, il y a quelques années, pour « Tuberose Angelica » créé par Marie Salamagne pour Jo Malone London en 2014. Je le trouve vraiment très agréable et facile à porter tout en gardant une identité à la fois un peu boisée mais surtout verte et croquante qui vient casser le côté trop opulent de la tubéreuse qui en occupe le coeur et le fond. La marque le décrit ainsi : « La Reine des fleurs blanches. Sensuelle. Effleurée par l'angélique verte et épicée. Somptueuse sur la chaleur du bois d'ambre. Enivrante et envoutante. La tubéreuse est une senteur florale connue pour sa volupté. C'est une fleur enivrante et sensuelle qui ne s'ouvre que la nuit. Sa puissante et intense féminité, associée à son aspect plus profond, en font une addition parfaite pour la collection Cologne Intense, la facette plus profonde et plus riche de la marque » et je trouve que c’est une description assez juste car la dualité entre les notes vertes, croquantes et légèrement boisée viennent vraiment rendre la tubéreuse opulente et très florale facile à s’approprier. Là encore, la parfumeure a misé sur une formule courte pour créer un équilibre entre les deux matières premières travaillées en majeur. Je crois qu’il faut vraiment porter « Tuberose Angelica » pour en apprécier l’élégance pas si discrète mais, un peu à l’anglaise, très botanique et dépourvu du côté animal souvent présent avec cette fleur suave.
Et puis la tubéreuse peut aussi être légère, estivale et transparente. C’est le cas dans « Pleine Lune » créé par Anne Flipo et Paul Guerlain pour Bastille et qui a été l’un de mes choix l’été dernier tellement il m’avait séduit. J’ai trouvé qu’après le départ de thé vert, de maté, de bergamote et de poivre rose (que je ne sens pas beaucoup), le coeur de tubéreuse, s’enrichit délicatement de fleur d’oranger et de jasmin pour conserver le côté très floral et franc voire même, curieusement, une certaine fraîcheur. J’avoue que j’en reste un peu là sur ma peau et que le fond de cèdre, de tonka, de santal et de benjoin m’échappe quelque peu. « Si vous aimez les regards de défi qui sont aussi des invitations, Pleine Lune est fait pour vous. La tubéreuse, fleur sauvage et sensuelle, s'accompagne ici d'un thé matcha et d'une bergamote innocente. Velouté et séduisant, Pleine Lune a été créé pour fasciner », tels sont les mots de la marque pour en expliquer l’univers et je trouve que c’est assez bien dit. Pour l’avoir beaucoup porté, je trouve que « Pleine Lune » est une tubéreuse en clair obscur et que l’association avec les notes de thé et de maté a presque un côté matcha amer et addictif. J’ai beaucoup aimé porter ce parfum et je ne m’en suis pas privé. J’ai passé une grande partie de l’été avec lui et, si la tenue est ce qu’elle est, je trouve que c’est une interprétation complètement inédite de la tubéreuse que je ne peux que saluer.
Si je parle de tubéreuses originales, je ne peux absolument pas, au risque de radoter, faire l’impasse sur « Nuit de Bakélite » créé en 2017 par Isabelle Doyen pour Naomi Goodsir car s’il ne devait m’en rester qu’une ce serait indéniablement celle-là. On a tout dit, et moi le premier, sur ce parfum qui m’avait, dans un premier temps, provoqué, de par ses notes de tête, et l’association, de l’angélique, de la feuille de tomate et de violette avec le galbanum. Seulement voilà, je suis têtu et, à force d’en entendre parler, j’ai eu envie de l’essayer vraiment non seulement sur la peau mais autour de moi et là, le rejet s’est transformé en addiction. Le coeur de tubéreuse associé au karo karounde, la fleur d’un petit arbuste d’Afrique du Sud et qui rappelle le côté médicinal de la tubéreuse, et d’iris poudré puis le fond de bois de gaïac, de cuir, de styrax et de tabac ont achevé de me convaincre. « Nuit de Bakélite » a l’élégance à la fois terriblement androgyne d’un grand parfum et me conforte dans l’idée qu’on peut vraiment créer quelque chose de complètement inédit et le faire devenir un classique. Certes, il est clivant mais, vraiment, quand on adhère, on ne peut qu’être accro. Pour ma part, je ne me vois pas m’en passer. C’est un parfum vers lequel je vais instinctivement quand je ne sais pas quoi porter. Paradoxal me direz-vous. Peut-être, mais c’est comme ça. Le plus surprenant, ce sont les compliments qu’il m’attire. Il faut dire que, même si j’y vais avec parcimonie, son sillage est quand même le plus « costaud » de tous les parfums que je porte régulièrement. Cette tubéreuse verte et boisée est vraiment à découvrir. En tout cas, moi je l’aime énormément.
Elle peut aussi être épicée avec la coriandre comme dans « Poison » d’Édouard Fléchier pour Dior qui a tant fait couler d’encre ou franchement florale comme dans le très beau « Compliment » de Nathalie Lorson pour Maison Violet mais j’ai choisi dans cet article, les interprétations les plus surprenantes de cette fleur, reine sombre de la parfumerie, comme une dame de pique qui viendrait nous chercher vêtue d’un « grand noir majuscule ». Alors, entre ombre et lumière, telle est aussi la tubéreuse. J’espère que mon article vous aura plu. En tout cas, moi j’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire même si j’ai choisi de parler de parfums que je connais vraiment bien plutôt que d’en explorer d’autres que j’aurais pu découvrir ou redécouvrir.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 206 autres membres