*Article entièrement réécrit
J’ai découvert le travail de Quentin Bisch, il y a déjà quelques années mais je n'avais pas mesuré combien il allait rencontrer un succès qui ne se dément pas. Il faut dire qu'il a composé beaucoup de parfums, que ce soit chez Givaudan où il a été formé, ou pour des maisons indépendantes. À ce jour, que ce soit seul ou en équipe, il a créé environs 170 parfums malgré son jeune âge. Alors, "stakanoviste" ou simplement prolixe. J'ai eu beaucoup de mal à sélectionner seulement cinq créations mais je me suis concentré sur des compositions très distinctes les unes des autres afin d'exposer, dans ce portrait, l'étendu du talent du parfumeur. J'ai, bien évidemment, sélectionné des parfums que je connais assez bien même si, je pense, je ne possède pas encore de création de Quentin Bisch. En tout cas, mes choix sont subjectifs et n'ont pour but que de mettre en lumière les différentes matières premières qu'il a pu explorer jusqu' à maintenant et ce qu'il en a fait.

J’ai évoqué, dans mon article sur la marque « Hermann à Mes Côtés Me Paraissait une Ombre » que j’ai réessayé récemment mais je voulais parler aujourd’hui de « Attaquer le Soleil Marquis de Sade » que Quentin Bisch a créé en 2016 pour État Libre d’Orange et qui m’avait beaucoup surpris à sa sortie. Je ne suis pas forcément un amateur de ciste mais il faut dire que ce parfum est vraiment réussi. C’est un travail tout en facettes autour du ciste et, de son apparente pureté se dégage une certaine opulence qui m’a beaucoup intrigué. À l’époque et pour la marque, Quentin Bisch en avait dit « Lire Sade c’est prendre le risque de se faire soudainement face, à nu. Un risque merveilleux à prendre si l’on veut plonger au coeur et au corps de notre immense et vive humanité. Car Sade libère. Sade nous pousse à imaginer et à désirer au delà des frontières et des cadres dont nous avons saturé nos perspectives. « Combien de fois, sacredieu, n’ai-je pas désiré qu’on pût attaquer le soleil, en priver l’univers, ou s’en servir pour embraser le monde ? » En tant que créateur de parfum, comment ouvrir mes perspectives, imaginer au delà, sabrer mes limites ? Question très personnelle… Le ciste ! Un de mes paradoxes. Une de mes zones d’ombre. Depuis toujours je recule devant le ciste, je l’évite ou je le cache, sous des couches épaisses couleur vanille — l’ambre comme échappatoire. Voici donc que je me fais face dans une formule radicale : le ciste, à nu,et dans tous ses états. Cher Marquis, à tes soleils, à nos volcans! » et je trouve que ces quelques lignes résument de manière tout à fait pertinente cette création singulière et addictive.
J’étais complètement passé à côté, à sa sortie, de « Mandarina Corsica » lancé en 2018 par l’Artisan Parfumeur car, la même année, nous étions un peu envahis par cette note hespéridée mais je l’ai vraiment découvert un an plus tard et, finalement, je le trouve très bien vu. Quentin Bisch a utilisé la dualité de la mandarine en renforçant son côté acide avec des notes d’orange amère, et la facette verte de l’hédione avant d’aller vers son côté rond et confit avec la vanille, le bois de santal, le caramel et la fève tonka en fond. « Mandarina Corsica » est, finalement, plus complexe que j’en avait eu l’impression lorsque je l’avais senti pour la première fois et, après l’avoir essayé, je me suis dit que, même si j’avais préféré « Mandarino di Sicilia » de Perris Monte Carlo dans la même famille, je le trouvais bien réussi. Je ne sais pas, il faudrait peut-être que je le tente plutôt en automne car il a une certaine facette ronde et presque opulente qui pourrait me déranger au plus chaud de l’été. "Une lettre d'amour à la Corse. Pour le parfumeur Quentin Bisch, tout a commencé par une gourmandise corse, un joyau aromatique, une mandarine confite. Le croquant du sucre, le zeste doux et amer, la pulpe juteuse de la mandarine, la fève tonka et l'immortelle. Le parfum capture la sensation de chaleur". Il faut le dire, ce parfum est un succès étonnant. J'aime beaucoup l'idée mais je ne suis pas du tout certain de pouvoir le porter. En tout cas, je le redécouvre régulièrement et, curieusement, il m'évoque vraiment l'hiver.
"Né du rêve d’apesanteur d’un vol imaginaire, Transport enchanté d’un voyage solaire, Magie aérienne aux multiples voltiges, Effluves à sensation qui donnent le vertige, Tapis d’or et d’orient caressé par le ciel, En vagues perpétuelles soyeuses et sensuelles". En général, je suis relatitvement dubitatif face à l’univers de la marque Liquides Imaginaires que je trouve parfois un peu abstrait. Je me suis même montré souvent très sévère envers cette marque que je trouve vraiment surévaluée. Pourtant, « Tapis Volant », le parfum par Quentin Bisch et Nisrine Bouazzaoui Grillie en 2019 fait exception à la règle. Quand je l’ai découvert, j’avais un à-priori un peu négatif surtout que j’avais senti pas mal de choses et que je n’avais pas été convaincu mais il a été une bonne surprise. Le côté doux amer de la bergamote se marie parfaitement bien avec, dès la tête, des notes de bois précieux profondes et exotiques et un iris plus terreux que réellement poudré. Les notes de jasmin omniprésentes et la rondeur du santal et de la fève de tonka lui confèrent un côté très surprenant mais dans le bon sens du terme. Je l’ai trouvé, enveloppant sans être envahissant, original sans être importable et, surtout, je n’ai pas eu l’impression d’avoir senti cette fragrance trente fois avant de la découvrir. Force m’est de constater que je considère « Tapis Volant » comme une vraie réussite et une jolie découverte olfactive.
« Je voulais créer un parfum de contraste en utilisant l'osmanthus qui a une dualité et une qualité inattendue. Elle paraît innocente mais elle peut être très sensuelle, presque animale ; cette fleur, qui ressemble à un ange, peut devenir diabolique ». Quentin Bisch a créé « Fleur du Mal » dont, je dois bien l’avouer, le flacon m’a attiré l’oeil et m’a convaincu de tenter la création. Résolument contemporain, ce floral un peu cuiré et ambré s’ouvre sur des notes de pêche avant d’évoluer sur un coeur développant les différentes facettes de l’osmanthus associées à un jasmin très prenant puis, le fond de suède et d’ambre vient soutenir la fragrance. J’ai une prédilection pour l’osmanthus qui, entre notes cuirées et abricotées, révèle plein de possibilités. Logiquement, j’ai bien aimé « Fleur du Mal » et je trouve son évolution élégante et plutôt réjouissante mais je ne vois pas vraiment ce qui le différencie d’autres fragrances qui présentent cette construction. Je le trouverais plutôt, sinon solinote, un peu linéaire. Attention, je ne remets pas en question ni la qualité de la création ni celle des matières premières mais je m’attendais un peu plus à quelque chose de dingue.

Lancé en 2014 et également créé par Quentin Bisch, « Fleur Narcotique » est aussi l’une des eaux de parfums phare de Ex-Nihilo décrite ainsi : « Notre interprétation de la Parisienne Rive Droite, sophistiquée et séductrice. Une overdose d’ingrédients substantifs pour une explosion de senteurs affirmées et subtiles. Le sillage d’une pivoine charnelle enveloppée de bois. Une fleur faussement ingénue, aérienne, fatale ». Après une ouverture de litchi et de pêche associée à la bergamote qui m’évoque les parfums des années 70 ou 80 que je trouve assez tenace, le parfum s’exprime sur un coeur complètement floral de jasmin, de pivoine et de fleur d’oranger pour se poser sur un fond boisé et musqué avec une note de mousse de chêne. Il garde, tout au long de son évolution, une certaine fraîcheur et une grande douceur. Je ne peux pas dire qu’il m’a tellement surpris car je le trouve finalement assez vintage alors que je m’attendais à quelque chose d’ultra moderne. C’est une jolie création, très féminine dans l’âme comme, finalement, les autres parfums que j’ai déjà senti pour cette revue. Je ne me vois pas la porter mais il ne faut jamais dire jamais.
J'ai volontairement fait l'impasse sur certains bests créés par Quentin Bisch que ce soient les parfums composés pour Marc-Antoine Barrois, Essential Parfums, la collection Potager de L'Artisan Parfumeur ou encore Penhaligon's. J'en ai déjà pas mal parlé et j'ai préféré me concentrer sur des créations un peu moins "sous les feux de la rampe". Les cinq que j’ai sélectionné m’ont bien parlé et m’ont donné envie de me pencher encore un peu plus sur son travail. Je n’aime pas tout ce que j’ai découvert mais c’est aussi ça la parfumerie, il faut accepter d’être dérangé ou indifférent parfois pour mieux s’accrocher à une fragrance qui va nous plaire.