Passion Parfums

J’avais envie de revenir sur Jardins d’Écrivains, la marque fondée en 2012 par Anaïs Biguine qui, non seulement a lancé sa maison mais en est aussi la parfumeure. J’en avais déjà parlé car je trouvais le rapprochement entre la littérature et la parfumerie est une démarche qui me plait beaucoup. Les correspondances entre les arts me semblent, depuis que j’y ai réfléchi il y a bien longtemps, lorsque j’étais au lycée, évidentes et rapprocher la création olfactive des mots des auteurs m’a semblé une extrêmement pertinent. Je ne vais pas revenir sur « George », « Orlando » ou « Alcools » que je porte ou que j’ai beaucoup porté mais j’ai remis mon nez dans les autres créations d’Anaïs Biguine. J’ai eu envie de sélectionner quatre parfums de la collection classique et de la Pléiade qui vont bientôt n’être qu’un seul et même univers, hors de mes propres iconiques si je puis dire, et de vous en parler de mon mieux. Jardins d’Écrivains est un merveilleux univers et je remercie Florence de la boutique Arcane Majeur à Vichy, de m’avoir aidé à les redécouvrir.

En créant, en 2017, « Ajar », en hommage à Romain Gary, Anaïs Biguine a vraiment bouleversé la pyramide olfactive avec un départ très net de poire et de bergamote, un fond d’orchidée et de jasmin puis, un coeur de mousse de chêne, d’encens et de bois de santal. Voilà une construction chyprée dans laquelle le patchouli est absent et qui fait la part belle à la douceur du bois de santal. La marque en décrit ainsi l’inspiration : « Romain Gary imagine un savant subterfuge littéraire en créant Emile Ajar. L’anonymat devient pour lui une façon de se réinventer et de devenir multiple. Une source d’inspiration idéale pour Jardins d’écrivains dont les créations naissent d’interprétations olfactives. Tel un parfum caméléon Ajar est une histoire d’incarnation. La noirceur de l’encens oriental se mêle à une éblouissante orchidée. Une ambivalence exprimant le paradoxe de la personnalité. Une sorte de jeu d’ombre et de lumière qui sommeil en chaque individu ». Cette création un peu surprenante, déroutante et pourtant élégante est la préférée de mon amie Florence et je crois que c’est un peu celle qui l’a décidée à faire entrer la marque dans sa boutique. Pour ma part, je trouve que « Ajar » est une petite pépite comme il y en a pas mal chez Jardins d’écrivains. Quand on le vaporise sur la peau, il ne paye pas de mine si j’ose dire mais, lorsqu’il prend sa vraie place, lorsqu’il se pose et se développe, toutes les facettes élégantes se mettent à se répondre et « Ajar » devient une merveille. C’est un parfum à ne surtout pas tester uniquement sur touche. S’il vous plait du départ, demandez à l’essayer et à vivre avec. C’est toujours vrai mais avec cette création-là, c’est encore plus flagrant.

 

« William Burroughs est le plus avant-gardiste et le plus audacieux des auteurs de la «Beat Generation». Jeune il mène une vie de bohème et savoure les expériences extrêmes. Son premier ouvrage, Junky, décrit la réalité crue de la dépendance, qu’il a lui-même vécu.  Avec Junky, Jardins d’Écrivains interprète le parallèle avec la dépendance olfactive. Le parfum a le pouvoir de provoquer un état propre à chacun ; son influence sur le comportement est indéniable et troublante. S’il raconte une partie de soi aux autres, il révèle également beaucoup à celui qui le porte. Junky se veut complexe et insolite. La fraîcheur du Cannabis accapare les premières notes. Le coeur ténébreux des fleurs crémeuses de Gardénia, d’Iris et de Violette se mêle à un fond de bois secs : Cachemire, Cèdre et Cade, subtilement rehaussé de résines et de Vétiver de Java. Junky invite à la singularité ». Quand Caroline, qui avait à l’époque Ma Belle Parfumerie à Dijon (décidément Jardins d’Écrivains est aussi une marque jalonnée par le belles rencontres humaines), je n’avais pas vraiment remarqué « Junky ». Je le trouvais assez joli mais je n’étais pas allé plus loin. Il m’a fallu quelques années pour le poser sur ma peau et le laisser évoluer. En voulant traduire l’addiction sous toutes ses formes et en rendant hommage à Burroughs, Anaïs Biguine a inventé, en 2014, un jus vraiment très étonnant, oscillant entre fraîcheur, notes poudrées, florales, résineuses et boisées. Après une envolée de chanvre qui peut sembler peut-être un peu dérangeante surtout associée au bois de rose et au galbanum qui semblent antinomique, le coeur d’iris, poudré et délicat se pare des accents britanniques de la violette de du gardénia puis, comme la fumée d’encens, le fond s’amplifie avec des notes d’opoponax, de bois de cèdre et de cade, de mousse de chêne et de vétiver. « Junky » va garder un côté un peu fumé, pas trop résineux et très élégant. S’il évoque l’oeuvre de Burroughs à sa créatrice, pour moi, il a un petit côté hippie chic. En tout cas, il se doit d’être porté également car il serait dommage de passer à côté des ses dizaines de facettes.

 

Mon troisième choix est un hommage à Oscar Wilde et je trouve que l’inspiration est assez limpide : « Jardins D’Écrivains s’est inspiré des célèbres aphorismes d’Oscar Wilde pour exprimer une figure de style olfactive.  Les mots comme les parfums ont un pouvoir de révéler avec justesse. L’eau de parfum Wilde est destinée aux esthètes œuvrant dans leur vie pour devenir ce qu’ils sont ». Parfum de dandy ou de lady ? Je dirai que « Wilde », lancé entre 2013 est un peu les deux. Par moment, je le trouve vraiment très délicat et réconfortant, voire même un peu « girly », parfois, je le trouve complètement masculin mais à la mode du XIXème siècle. Son originalité est vraiment terrible. Il s’ouvre, excusez du peu, avec des notes de bergamote et de raisin puis vient un coeur de figue, d’oeillet et de thé assez original puis, le fond de mousse de chêne et de vétiver. Encore une fois, c’est un chypre sans patchouli. J’ai adoré « Wilde » alors que j’étais complètement passé à côté il y a quelques années tant j’avais été séduit par « Orlando ». Je le redécouvre aujourd’hui et il est vrai qu’il me plait énormément. C’est un parfum insaisissable et, si je le trouve peut-être un peu plus féminin, je pense qu’il peut plaire à tous les amateurs de beaux parfums originaux. J’ai beaucoup aimé le sentir et même le porter. Je pourrais tout à fait me l’approprier.

 

Le dernier parfum que j’ai choisi est également construit de manière très originale. Il s’agit de « Marlowe », créé par Anaïs Biguine en 2015 et il rend hommage à l’auteur de théâtre Christopher Marlowe, contemporain de Shakespeare. « Christopher Marlowe est le bad boy génial du théâtre Élisabéthain. Beau, alcoolique, gay, occultiste et espion. Il est le rival et l’ami de son compatriote Shakespeare. Marlowe mène une existence tumultueuse et bohême. Il s’intéresse à l’autodestruction de l’esprit humain ce qui en fait un dramaturge contemporain. Avec Marlowe Jardins D’Écrivains interprète l’érudition du mouvement baroque au travers d’un personnage à l’intense exaltation. Un parfum dense, capiteux, animal et théâtral. Dès les premières notes, le nectar vénéneux de la tubéreuse se mêle à l’opulence de l’osmanthus. Le coeur suranné de fleurs séchées évoque une poésie tragique. Le fond révèle des notes de cuir chypré et poudré ». Je pense que je pourrais tout à fait porter ce parfum hyper complexe qui s’ouvre avec une tubéreuse cuirée par l’osmanthus et la résine d’élémi puis, le coeur de myrrhe au coeur d’un bouquet floral puis un fond cuir un sombre renforcé par des muscs et du labdanum et adouci par la mousse de chêne. « Marlowe » est un très beau parfum et je trouve que la tubéreuse est particulièrement bien utilisée entre parfum féminin et masculin. Là encore, la nuit tous les chats son gris et on a envie de les croiser.

Il y a encore plein de belles choses chez Jardins d’Écrivains et la marque est vraiment à découvrir. De plus, même si les prix on grimpé, les parfums restent encore abordables surtout pour des créations d’une telle complexité. En tout cas , j’aime toujours les découvrir et les redécouvrir.