Retour sur le travail de Bertrand Duchaufour
Au début de mon blog, j’avais déjà consacré un article au très prolixe et très talentueux Bertrand Duchaufour. Depuis que je m’intéresse à la parfumerie d’une manière systématique et, peut-être même avant, j’ai été impressionné par son talent et son inventivité. Il est tellement prolixe qu’il me semble qu’un second portrait n’est pas superflu. Il a travaillé pour des maisons comme Symrise, entre-autres, avant de s’impliquer directement dans TechnicoFlor. On lui doit plus 380 parfums à ce jour pour des maisons diverses et variées et, depuis 2024, il assure la direction artistique et la composition des créations de sa propre marque L’Entropiste dont je vous ai déjà parlé. En 1995, c’est donc pour Jo Malone qu’il signe son premier parfum, « Ambre & Lavender »que j’ai porté longtemps mais qui, hélas, a été retiré de la collection. On lui doit des créations Acqua di Parma, Aedes de Venustas, Alex Simone (que je ne connais pas encore), Anomalia, Antinomie, Astrophil & Stella, Comme des Garçons, D’Orsay, Eau D’Italie, Dior, Francesca Dell’Oro, Frapin, Givenchy, Grandiflora (que je regrette de ne plus trouver en France), Jovoy, L’Artisan Parfumeur (même si la plupart de ses créations pour la marque ont disparu), bien sûr L’Entropiste, Lalique, Les Bains Guerbois, Maison Crivelli, Maison Rebatchi, Majda Bekkali, MDCI, Miller et Bertaux, Miller Harris, Naomi Goodsir, Neydo, Olfactive Studio, Olibere, Parfumeur du Monde, Penhaligon’s, The Different Company, Vilhelm Parfumerie… La liste n’est pas exhaustive car je ne parle de ce que je connais. Il fallait bien quand même six créations pour retracer un peu l’univers de Bertrand Duchaufour. L’article sera un peu plus long que d’habitude car mais il y a tellement de créations que j’ai eu beaucoup de mal à choisir même si j’ai éliminé les parfums dont j’avais parlé dans le premier article.
Le premier parfum qui m’est venu à l’esprit car je le trouve emblématique du style du parfumeur est « Or du Sérail » créé par Bertrand Duchaufour en 2014 pour la très belle maison de Naomi Goodsir. La marque le décrit ainsi : « L’opulence du tabac d’orient nous enveloppe alors et les mots de Naomi Goodsir nous reviennent en mémoire : « palais des murmures, fruit défendu, voleur de nuit, voluptueuse gourmandise, rêveries orientales ». On ne va pas se mentir, cette création est vraiment dingue et ne ressemble à rien d’autre. Après une envolée de davana, de fruits rouges, de mangue très présente, d’orange douce, de pomme et de rhum vient un coeur de cire d’abeille, de noix de coco, de sauge sclarée et d’ylang-ylang qui nous entraine sur un fond ambré avec des notes de cèdre, de ciste labdanum, de maté, de muscs, de tabac et de vanille. Fruité, ambré, un peu cuiré, ce parfum est déroutant et pourtant on sent une vraie harmonie quand on l’essaye. Il est parfaitement extravagant et pourtant je tourne autour depuis un certain temps. Je le trouve plus que réjouissant. Il a vraiment un côté jubilatoire. Artistiquement, je trouve que c’est un parfum particulièrement singulier et qui ne ressemble à rien d’autre. J’ai aimé le porter pas mal et je pourrais franchir le pas. Pour moi, c’est un vrai bijou de la parfumerie et il est, à mon sens, vraiment significatif de l’inventivité de Bertrand Duchaufour.
« Voyage dans la nuit d’émeraude. Un bois sacré aux accents d’épices brûle tel un Encens. L’atmosphère puissante et vibrante autour du chaman guide mes pensées au-delà des volutes de fumée. Je retrouve mon animal totem, je rejoins les esprits de la terre : les mille facettes du Palo-Santo et du Copal soutiennent mon voyage », tels sont les mots de Bertrand Duchaufour pour évoquer le très ethnique « Petite Fumée » qu’il a créé en 2021 pour la marque de parfums 100% naturels Parfumeurs du Monde. Je crois que j’ai découvert ce parfum un peu avant sa sortie et je me suis rendu compte que, même avec une palette réduite, il pouvait inventer une composition sophistiquée et très facettée. Le départ est très épicé avec des poivres noirs et roses et une cardamome presque pétillante qui nous emmène sur un coeur de palo santo, de clou de girofle, d’amande et d’encens mais c’est surtout le fond de styrax et de vétiver parsemé de notes baumées qui est absolument fascinant. Je ne suis pas tellement friand de parfums boisés mais, lorsque j’ai découvert « Petite Fumée », je crois bien que j’ai revu ma copie totalement. Il ne ressemble à rien d’autre et je trouve qu’il n’est pas très difficile à porter. Je l’ai posé sur ma peau et il a évolué de manière très agréable et original à la fois. Pour moi, c’est carton plein.
Je l’ai évoqué bien souvent mais il est tellement extraordinaire que je me devais de mettre dans ma sélection « Chypre Palatin », créé par Bertrand Duchaufour pour MDCI en 2012. « Claude Marchal forme pour l'occasion un duo de choc avec Bertrand Duchaufour et nous livre un chypre aux échos "cuirés". Parfum de sillage, il poudre délicatement sur la peau et renoue avec la grande tradition des chypres avec une petite patine "à la Duchaufour" de fruits confits, et un fond.... d'une rare complexité pour un 10/10 en tenue ». Construit de manière moderne, il donne pourtant l’impression d’être un grand chypre hérité d’une parfumerie des années 20. Cela est peut-être du à la richesse de la composition qui s’ouvre avec un coeur vert de galbanum très vite complexifié par des notes de ciste, de lavande, d’aldéhydes, de clémentine, de jacinthe et de thym qui nous emmène sur un coeur superbe et pourtant jamais too much de prune, d’iris, de gardénia, de jasmin et de rose puis sur un fond baumé si cher au parfumeur mais, cette fois, parsemé de notes d’immortelle, de styrax, de benjoin, de mousse de chêne et de vanille. C’est un néo-chypré très cuir et particulièrement élégant. J’aime beaucoup ce parfum. Il est un peu hors de mon budget mais, vraiment il est génial. Peut-être que je pourrais, un jour, me débrouiller pour acquérir un petit format.
Il ne reste plus beaucoup de parfums créés par Bertrand Duchaufour dans les maisons comme L’Artisan Parfumeur ou Penhaligon’s mais c’est quand même dans la première que je suis allé chercher la prochaine fragrance. Je regrette vraiment d’avoir vu disparaitre mes compositions préférées comme « Piment Brûlant » ou encore « Traversée du Bosphore » mais, ouf, il reste encore « Méchant Loup » que j’ai toujours beaucoup aimé. « Un événement inattendu dans une forêt fantaisiste. Le Grand méchant loup tente avec un accord doux-amer de résine, de noisette grillée, de miel et de réglisse. En s’échappant, le Petit Chaperon Rouge libère les parfums des brindilles, des feuilles séchées mêlés au parfum de la terre, de l'humidité et de la sève ». Je trouve cette création très emblématique du style Duchaufour avec des notes miellées, un coeur de réglisse et un fond très original de bois de noisetier. Pour écrire mon article, avec le concours d’Anne, de la parfumerie lyonnaise La Mûre Favorite, j’ai porté ce parfum pendant une journée et j’ai compris qu’il ait encore assez de succès pour être encore commercialisé par le groupe espagnol qui détient désormais L’Artisan Parfumeur. Alors certes, il est peut-être un peu plus destiné aux hommes mais il a beaucoup de caractère et je suis certain que certaines femmes peuvent être séduites par son côté épicé et rond à la fois. Pour ma part, je pourrais le porter très facilement et il n’est pas dit que je ne le fasse pas dans l’avenir.
J’ai eu un coup de coeur absolu, dès que je l’ai découvert, pour « Feu Patchouli », créé par Bertrand Duchaufour pour Maison Rebatchi en 2018. Je l’ai énormément porté et je dois dire que je l’aime toujours autant. Je l’ai souvent évoqué sur ce blog mais je ne pouvais pas ne pas le mettre dans ma sélection. « Un bois puissant mâtiné d’effluves chyprées où le patchouli domine. Une symphonie magnifique tout en vibration dans laquelle les épices girofle, cannelle, poivre noir, baie rose sonnent comme des cuivres éclatants. Le parfum est riche, dense, intense, sombre et aussi mystérieux qu’enivrant ». Ce chypre très moderne, qui bouscule les codes et ébranle notre nez est pourtant d’une rare élégance et je ne le trouve pas difficile à porter. Après un départ de bergamote, de cédrat, d’orange douce du Brésil, de poivres noir et rose, de cassis et d’aldéhydes, le coeur ultra épicé d’oeillet, de rose et de davana est épicé par la cannelle et le clou de girofle. Le fond, très classique, de patchouli et mousse de chêne est rehaussé par des traces d’encens, de labdanum, de myrrhe, de muscs blancs et même de caramel. « Feu Patchouli » est foisonnant. C’est un chypre ultra moderne dans lequel la construction classique est détournée plusieurs fois durant son évolution. J’ai vraiment du goût pour ce parfum. Je pense qu’il va revenir dans mes habitudes avec l’automne.
Bizarrement, je n’ai pas été plus sensible que ça aux créations de Bertrand Duchaufour pour sa marque, L’Entropiste » sauf, c’est vrai, pour la douceur un peu étonnante d’un beau floral. Il a pour nom « Jodhpur 6 am » et il m’a beaucoup plu. « Jodhpur 6am capture cet instant suspendu où la ville s’éveille, encore enveloppée d’ombre et de silence. Un visage fatigué, un souffle chaud de thé noir, une douceur laiteuse dans l’air. Le parfum s’inspire de cette première gorgée de chai prise au bord de la route, entre les effluves de fleurs fraîches et l’écho des pas dans les ruelles. Il est une caresse olfactive, un baume matinal, une mémoire infusée de lumière. Les premières notes révèlent un mélange vibrant de gingembre et de réglisse, relevé par l’amertume du thé noir. Le cœur, plus lacté, laisse s’épanouir une tubéreuse blanche et généreuse. En fond, les muscs prolongent cette chaleur apaisante, comme un tissu encore imprégné de nuit, effleuré par l’aube ». C’est un grand floral qui s’ouvre sur une envolée épicée et un peu sombre de cardamome, de gingembre, de réglisse et de thé noir puis vient un coeur de tubéreuse un peu lactée pour se poser sur des notes de muscs blancs. Très franchement, le côté épuré m’a un peu surpris mais il est vrai que le rendu sur ma peau est très très beau. À ce jour, il est le seul parfum de la maison que je pourrais porter. Je le trouve très exotique tout en restant dans ma zone de confort. Son prix est élevé et il me faudra le réessayer plusieurs fois avant de prendre une décision, s’il me venait l’envie de franchir le pas.
J’aurais pu citer plein de parfums de Bertrand Duchaufour que j’ai porté (ou que je porte encore) et, avant de vous le demander, je vais essayer d’en énumérer quelques uns pour conclure. J’ai donc, au fil des années, été séduit, pour les discontinués, par « Amber & Lavender » de Jo Malone, « I Miss Violet » de The Different Company, « Ostara » et « Vaara » de Penhaligon », « Balinesque » d’Olibere, « Traversée du Bosphore », « Piment Brûlant », « Nuit de Tubéreuse » de L’Artisan Parfumeur, « Queen of The Night » de Grandiflora (qui existe encore mais que je ne trouve plus) et il en reste des actuels, « Feu Patchouli », que j’ai déjà évoqué et surtout « Mossland » de Neido qui m’a beaucoup accompagné cet été. J’en oublie sûrement mais il faut dire que l’oeuvre du monsieur est immense et je ne connais pas tout. J’aime beaucoup le travail de Bertrand Duchaufour. Pour moi, il est synonyme de qualité et d’inventivité. J’ai hâte de découvrir le prochain.
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