Passion Parfums

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Retour sur Parfum d'Empire, l'indépendance Corse

Marc-Antoine Corticchiato

 

 

Elles sont rares les marques pionnières de la parfumerie de niche qui ont su rester indépendantes. Je pourrais bien évidemment citer Histoires de Parfums, créee par Gérald Ghislain en 2000 et Parfum d’Empire fondée par Marc-Antoine Cortichiatto qui en est également le parfumeur unique, en 2003. C’est de cette maison, que je considère comme l’une des plus intéressantes du marché, sur laquelle j’ai eu envie de revenir car j’ai eu l’opportunité récemment de redécouvrir absolument toutes les créations. J’en avais oublié certaines et une petite piqûre de rappel ne m’a pas fait de mal. Aujourd’hui, Parfum d’Empire est l’une des maisons indépendantes avec Voyages Imaginaires, Naomi Goodsir, James Heeley ou Beaufort London, dans lesquelles je me retrouve encore le plus et cela valait bien un coup de projecteur. La marque compte aujourd’hui, répartie en deux collections, 24 parfums et une Cologne éphémère et il y a donc « du grain à moudre » dans toutes ces créations dont aucune (à ma connaissance) n’a disparu du catalogue depuis la création de la maison même si certaines ont changé de concentration.

 

 

 

 

 

C’est donc en 2003, alors dans une concentration eau de toilette, que Marc-Antoine Corticchiato a lancé sa première création, « Eau de Gloire », en référence à l’un des plus célèbres personnages historiques de Corse, sa patrie de Coeur, j’ai nommé bien sûr Napoléon Bonaparte, petit caporal de l’armée aux rêves de grandeurs et qui s’était fait sacrer empereur, rien que ça ! Je dois admettre que je n’étais pas vraiment un adepte de cette composition, pourtant fort originale avec une omniprésence de la note d’immortelle et il me faudra attendre la reformulation en eau de parfum et, je pense, son intégration à la Collection Héritage Corse, il y a une dizaine d’années, pour que je sois un peu plus séduit et même interpellé par la qualité et la singularité de son évolution. Pour les vingt ans de la marque, en 2023, Marc-Antoine l’a d’ailleurs décliné dans une version Cologne contenue dans un très beau flacon tube gravé, que je trouve particulièrement réussie.

 

 

 

 

Eau de Gloire Parfum d'Empire parfum - un parfum pour homme et  femme 2003

 

 

 

Mais j’anticipe, revenons à la création de la marque. Après le lancement de « Eau de Gloire », Marc-Antoine Corticchiato va affirmer sa signature de parfumeur créateur avec des créations comme « Ambre Russe », également en 2003 puis viennent « Osmanthus Interdite », « Eau Suave » et « Equistrius » dans lesquels on remarque un côté baroque certes mais aussi très contemporain. En 2006, après le très élégant « Iskander », le parfumeur, lance une pièce maîtresse de ce qui est devenue la collection classique avec « Cuir Ottoman », un parfum qui s’éloigne parfaitement de la famille olfactive à laquelle il appartient car, si le thème est respecté, l’envolée irisée et les notes liquoreuses le rendent absolument unique et d’une originalité rare. Il s’agit-là d’une pièce maîtresse et, je dois le dire, c’un vrai chef-d’oeuvre qui va toucher les amateurs de cuirs mais aussi les autres, tant hommes que femmes. L’année suivante, Marc-Antoine Corticchiato reprend le même processus pour inventer un parfum complètement baroque autour de l’accord fougère. C’est une composition qui reste encore aujourd’hui parmi les plus méconnues de la collection. « Fougère Bengale » reprend l’accord imaginé pour Houbigant au XIXème siècle mais les facettes aromatiques sont arrondies par nombre notes et un mix parfait avec une construction chyprée. Pour moi, cette création annonce un autre parfum qui naitra quelques années plus tard.

 

L’année 2008 verra la naissance de deux parfums absolument étonnants et Marc-Antoine Corticchiato fait le grand-écart entre le très vif, hespéridé et particulièrement original « Yuzu Fou » et le très épicé, oriental et confit « Aziyadé » qui, en ce qui me concerne, demeure l’un des trois parfums les plus difficiles à aborder de la collection classique. Il mêle des notes d’orange amère, de datte, de prune avec les épices comme le cumin, la cardamome, la cannelle et le gingembre sur un fond encens, patchouli et vanille entre-autres. C’est une composition complexe, segmentante, qui peut avoir un côté un peu culinaire quand on le sent superficiellement mais, une fois posé sur la peau, il revêt une curieuse élégance, comme un parfum oriental d’un autre genre, un « objet parfumé non identifié ». J’ai porté, complètement par hasard « Aziadé » que je n’arrivais pas à appréhender et, aussi étonnant que cela puisse paraitre, il m’a beaucoup plu. Dans le style un peu déroutant et particulièrement « niche » si l’on peut dire, c’est l’année suivante que Marc-Antoine Corticchiato lance « Wazamba », inspiré d’odeurs plutôt chamanique et qui est l’un des parfum les plus résineux que je connaisse avec des notes de cyprès, de ciste, de myrrhe, d’encens et d’opoponax. Il s’agit d’une composition complexe étonnante, presque un peu dérangeante pour certains mais qui a indubitablement ses adepte (et j’en connais) que j’ai un peu de mal à porter. Pour moi, il s’agit d’un parfum pour amateur de ce côté vraiment résineux. Il n’en demeure pas moins tout à fait incroyable. La même année, Marc-Antoine Corticchiato se lance aussi dans l’un des rares floraux de la collection classique en créant une composition à parts égales entre les emblématiques jasmin, tubéreuse et rose. Le parfum s’appellera « 3 Fleurs », la qualité des matières est incroyable, sa tenue et son sillage également. Cette composition s’avère avoir une particularité étonnante. La note dominante change vraiment selon les peaux. Sur la mienne, l’évolution fait la part belle à la tubéreuse.

 

 

 

 

 

 

 

 

En 2011, Marc-Antoine Corticchiato nous emmène plutôt vers le Maroc et les orangeraies dans lesquelles il a passé une partie de son enfance avec « Azemour Les Orangers », un parfum hespéridé et boisé qui est un néo-chypré aux notes de tête particulièrement riches car il s’agit d’une concentration d’agrumes et d’épices qui nous conduisent sur un coeur de fleur d’oranger légèrement twisté par la rose et le géranium. Le fond est résolument mousse de chêne ce qui n’est pas pour me déplaire. C’est un parfum que j’ai porté et qui m’a réjoui même s’il n’est pas mon préféré dans la marque. L’année suivante, le parfumeur s’attelle à une tâche très différente, celui de reconstituer un « fantôme » de la parfumerie dont tout le monde parle mais qui est interdit depuis plus d’un siècle. J’ai nommé le musc animal ou musc Tonkin qui donnera son nom au parfum. Tout d’abord sorti en extrait dans une édition limitée, il sera réédité en eau de parfum puis à nouveau en extrait pour faire partie intégrante de la collection. Je pense que « Musc Tonkin » est un parfum sur lequel il faut s’arrêter car il est différent, étrange, parfois dérangeant. Il ne plaira pas à tout le monde, c’est le moins que l’on puisse dire. Marc-Antoine Corticchiato ne communique absolument pas sur la composition de cet anti-musc blanc qui nous éloigne complètement du côté « propre » auquel nous sommes désormais habitués. La création est singulière, charnelle, avec des notes florales mais animales. J’ai beaucoup de mal à le décrire par des mots. Je l’ai un peu porté en eau de parfum et, sur ma peau, les notes fleuries se développaient beaucoup. Très clairement, « Musc Tonkin » est clivant et il faut vraiment l’essayer sur la durée avant de s’aventurer à le porter complètement.

 

J’ai parlé récemment de la création 2014 qui obtenu le FIFI Award du meilleur parfum d’une marque de niche indépendante en 2015. Il s’agit bien sûr de « Corsica Furiosa » (déplacé dans la collection L’Héritage Corse) à côté duquel j’étais complètement passé et qui, maintenant, me plait de plus en plus. Je ne vais pas m’étendre et je vous renvoie à mon article sur les redécouvertes que j’ai pu faire aux Ateliers du Parfumeur à Dijon il y a quelques jours. L’année suivante vient un autre extrait de parfum, tout d’abord sorti en édition limitée puis intégré à la collection avec un millésime par année. Il s’agit de « Tabac Tabou » bien évidemment. Cette création-là m’a fait un effet extraordinaire lorsque je l’ai découvert, légèrement en avant-première. Je n’avais jamais rien senti de tel et, vraiment, l’infusion de feuille de tabac mélangée à des notes miellées et à l’immortelle est un plaisir sans cesse renouvelé. J’ai souvent évoqué ce parfum comme l’une des plus belles offres de toute la parfumerie et je ne vais pas me dédire. Je le sens, je l’essaye, j’y reviens. Il n’est pas forcément complètement pour moi mais il mérite amplement son prix et je le trouve parfait. Chaque millésime revêt ses légères différences et je me sens surpris souvent, toujours, encore.

 

 

 

 

Tabac Tabou Parfum d'Empire parfum - un parfum pour homme et femme  2015

 

 

 

Il faudra attendre deux ans pour Marc-Antoine Corticchiato nous propose une nouveauté et cela valait la peine de patienter car « Le Cri de La Lumière » est, indéniablement, à mon sens, l’un des chefs-d’oeuvre de la collection classique. Avec cette composition, le parfumeur signe un néo-chypré absolument incroyable qui s’ouvre avec une très belle graine d’ambrette qui se charge au coeur d’un iris poudré et pourtant limpide, et se pose sur un fond de patchouli avec des notes de rose. Il faut se méfier de sa première impression. Ce parfum, devenu depuis simplement « Le Cri », est particulièrement sage à la vaporisation puis, sur la peau, il se facette, prend de l’ampleur et se fait de plus en plus singulier et élégant. Lumineux et profond, il remporte tous les suffrages. Je peux le dire car je l’ai beaucoup porté et je dois dire que j’en ai eu des compliments. Je trouve qu’à partir de la création de ce parfum, Marc-Antoine Corticchiato a un peu modifié la signature à laquelle nous étions habitués depuis le début de sa marque.

 

Avec « Acqua di Scandola » en 2018, Marc-Antoine Corticchiato inaugure Héritage Corse, une nouvelle collection dans laquelle seront édités plusieurs nouveautés qui seront rejointes par « Eau de Gloire » (reformulée en eau de parfum) et « Corsica Furiosa ». Cette nouveauté, je l’avais découverte très longtemps avant son lancement et je dois dire qu’elle n’avait pas tellement retenu mon attention de prime abord. Quelle erreur ! « Acqua di Scandola » est un salin plusqu’un marin et il est un hommage aux plages et aux orchers de la Corse. Cette évocation de la mer, le parfumeur l’a voulue différente, sans la présence de la calone, molécule de synthèse qui, bien souvent, imite en parfumerie l’odeur des embruns. Je dois dire que, lorsque je l’ai mis sur ma peau, après sa sortie, j’ai été séduit par le côté à la fois minéral, hespéridé, aromatique et réellement salin comme de l’eau de mer de ce parfum. Comme ça, je ne fais pas une description glamour et pourtant, s’il a un côté brut, je trouve que « Acqua di Scandola » revêt aussi une très belle élégance. L’extrait d’algue utilisé pour sa composition n’avait jamais été utilisée en parfumerie (à l’instar de l’infusion de feuille de tabac pour « Tabac Tabou »-) et une fois de plus, Marc-Antoine Corticchiato innove avec une création originale, réaliste et super agréable à porter. L’année suivante, en 2019, il étoffe la collection avec deux créations, « Immortelle Corse », un extrait dédié à sa fleur insulaire fétiche en concentration extrait. Je ne peux pas dire qu’il s’agisse du travail autour de l’immortelle que je préfère mais c’est un joli parfum, peut-être un rien trop liquoreux pour mon goût. Le fond est très beau mais je ne suis pas complètement conquis par certains stades de l’évolution. Cette année-là voit aussi le lancement d’un parfum qui me déstabilise complètement. Il s’appelle « Salute » et est une ode au travail de la vigne. On y retrouve un départ de mandarine, un coeur de lie de vin et un fond bois et mousse de chêne. Quand je le sens, j’identifie presque des notes chocolatées et noyau de cerise. Je ne peux pas dire que je l’aime tellement mais il complète parfaitement la collection Héritage Corse dans son évocation des vignobles.

 

 

 

 

 

 

À partir de 2021, Marc-Antoine Corticchiato revient à la collection classique avec trois nouveauté, une par an, qui vont marquer aussi un tournant dans sa manière d’inventer des fragrances. Le tournant a été amorcé avec « Immortelle Corse » et les deux sorties suivantes sont une mise en valeur de matières premières. Le premier parfum de cette série met en lumière une « herbe folle » jamais utilisée en parfumerie, l’inule. Il s’appelle, « Mal-Aimé » et fait partie encore de la collection Héritage Corse. Cet « éloge des mauvaises herbes » m’avait dérouté à sa sortie et j’en ai parlé récemment donc je ne vais pas m’étendre mais, à défaut de me plaire, il me surprend, ce qui n’est déjà pas si mal. En 2022, soit l’année suivant, dans la collection classique, vient également une création qui fait partie de ma sélection de vétivers dans un article qui vient de paraître donc je ne vais pas non plus développer trop le sujet mais, encore une fois, il a su me dérouter. L’an dernier, Marc-Antoine Corticchiato a voulu travailler un oud surtout naturel dans une composition cuirée qui n’a pas non plus remporté mes suffrages. « Ruade » est qualitatif (et très coûteux) mais je lui trouve des facettes trop animales et aussi un côté très « curry » qui tendent à me déranger. J’aime l’idée d’un oud précieux, travaillée de manière cuirée et au sein de belles matières mais celui-ci est peut-être un peu trop affirmé pour moi. Je n’ai pas adhéré. Il m’a presque même un peu dérangé. Je sais qu’il a ses adeptes et je ne remets pas du tout en cause sa qualité mais il s’éloigne trop de mes goûts et je lui préfèrerai des parfums plus proches de moi dans la marque. C’est d’ailleurs ce qui se passe depuis quelques mois. En 2024, Marc-Antoine Corticchiato lance un second floral (il n’y en n’avait pas eu vraiment depuis « 3 Fleurs » et là, il cible, sans s’en rendre compte, particulièrement bien mes goûts avec le très solaire « Un Bel Amour d’Été ». Peut-être moins baroque et moins original que les parfums qui m’ont fait aimer la marque, il a un mérite certain, celui de tomber parfaitement dans ma « zone de confort ». Je l’ai déjà dit mais je l’aime et j’ai développé une addiction ses effluves d’ylang-ylang, de gardénia, de magnolia et de champaca. Il n’en fallait pas plus pour que je le porte et je suis ravi de le faire.

 

 

Eau Suave Parfum d'Empire parfum - un parfum pour femme

 

 

 

Pour conclure, je dirai que pionnier ne se conjugue pas du tout avec vintage et que, sans l’appui d’une maison de composition, sans être rachetée par un groupe financier, Parfum d’Empire, petite maison qui regroupe moins d’une dizaine de salariés, qui ne fait pas de bruit et qui n’offre aucun parfum « sucraille », continue à exister, à plaire, à avoir ses fidèles et à s’en créer de nouveaux. À mille lieux de ce que je considère comme des marques de chaînes déguisées en niche, plus ou moins rachetées par des groupes financiers, Marc-Antoine Corticchiato, par son seul talent et son obstination, est toujours là, présent et incontournable. S’il crée pour d’autres maisons, il revient toujours à la sienne pour nous proposer de vrais beaux parfums d’auteurs. Plusieurs d’entre-vous me demandent mon top 3 alors je puise dans mes goûts et je n’aurai aucune objectivité. Mes trois créations préférées sont « Eau Suave », « Ambre Russe » et « Un Bel Amour d’Été ». Je laisse « Tabac Tabou » hors concours car, pour moi, il n’est pas seulement le plus beau parfum de la marque mais sans doute l’un des plus réussis de toute l’offre que nous avons aujourd’hui dans l’offre parfumée. J’avais déjà pas mal parlé de Parfum d’Empire mais je voulais, par cet article exhaustif, rendre hommage à Marc-Antoine Corticchiato dont j’admire à la fois le travail et l’esprit d’indépendance depuis de très nombreuses années.

 



18/05/2024
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