
Né en 1942 à Lille, photographe, réalisateur, artiste conceptuel, Serge Lutens s’est fait connaitre en faisant réaliser en 1992 « Féminité du Bois », un parfum complètement en rupture avec tout ce qui se faisait alors et que j’ai évoqué largement dans mon article sur les parfums « révolutionnaires », pour la marque de cosmétique japonaise Shiseido. Par la suite, en 2000, il crée sa propre marque à laquelle il donne son nom. Il s’adjoint le parfumeur Christopher Sheldrake qui a fait ses armes chez Chanel pour créer des fragrances souvent inspirées des senteurs de bois, d’épices et des cires du Maroc, pays auquel il est très attaché. En 2006, il se voit décerner le titre du « Talent d’Or » par le Sommet du Luxe et de la Création puis, l’année suivante, il est fait commandeur de l’ordre des Arts et Lettres par le ministère de la culture. Ses parfums sont connus pour être très avant-gardiste et viennent rejoindre le cercle alors très fermé d’un marché alternatif. Il a travaillé ponctuellement sur certains jus avec d’autres nez tels Maurice Roucel et Gilles Romey. Comme je le disais dans un précédent article, je suis venu à la parfumerie indépendante par un parfum de sa marque, « Datura Noir » et j’ai été, d’emblée, il y a une douzaine d’années maintenant, intrigué voir séduit par ses créations.
Les parfums Serge Lutens ont plusieurs spécificités. Tout d’abord, la marque ne communique pratiquement pas sur la composition de ses créations et, il me faut le dire, toutes les pyramides olfactives que l’on peut trouver sur internet sont passablement approximatives. Il m’est toujours difficile, lorsque je veux en parler, d’obtenir des informations précises. Je ne peux me fier qu’à mes propres impressions. Ensuite, Serge Lutens a voulu des parfums très linéaires et en fait de pyramide, le plus souvent il n’y a qu’un fil car les notes de tête et de fond sont inexistantes. Ce n’est qu’en 2020, qu’il fait explorer, et encore à sa manière, un agrume, l’orange, dans « Des Clous pour une Pelure », une création pour la collection des Eaux de Politesse. Ses parfums sont souvent surtout boisés, fleuris, résineux voire aromatiques mais il est difficile, tant ils sont atypiques, de les placer dans une famille olfactive précise. Je n’ai pas porté beaucoup de parfums de la marque mais seulement trois dont j’ai déjà pas mal parlé, il s’agit de « Datura Noir », « Louve » ou encore et très brièvement « Ambre Sultan ». J’ai donc décidé d’explorer cinq créations de la marque qui sont, je trouve, représentatives de la maison.
Créé en 2003 par Christopher Sheldrake, « Fumerie Turque » fait partie des parfums qui me semblent très significatifs. C’est un parfum aux notes dominantes de tabac, de miel et de rose et je dois dire que, lorsque je l’ai découvert, j’ai été particulièrement étonné car il ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. Comme son nom l’indique, je le trouve très fumé, presque cuiré, avec un côté bois aromatique brûlé dans de sombre fumeries. Intense, atypique, « Fumerie Turque » est vraiment emblématique de la liberté accordée par Serge Lutens au parfumeur. Il m’évoque un voyage aux confins de la Turquie urbaine et du désert. Audacieux, ce n’est pas une fragrance pour tout le monde et je dois avouer que, lorsque je l’ai senti pour la première fois, je n’étais pas prêt pour ce genre d’odeur. Je savais que c’était un beau parfum et j’étais capable d’en mesurer la qualité mais je ne l’aurais pas porté. Il est ressorti dans la très onéreuse collection des Gratte-Ciel et je l’ai redécouvert il y a quelques mois. Aujourd’hui, j’aimerais bien le réessayer. Mon nez et mon goût ont évolué et il pourrait me plaire.
À l’instar de « Louve » ou encore « Bois de Violette » que j’aime beaucoup, « Chypre Rouge » est sorti en 2006 dans une collection réservée au salon du Palais Royal, la boutique en nom propre de la marque, et à quelques rares parfumeries indépendantes de province. Comme son nom l’indique, c’est un des rares parfums chyprés de la marque mais sans bergamote et je l’ai toujours beaucoup aimé. À l’époque où je l’ai découvert, j’avais été séduit par l’accord patchouli et mousse de chêne que j’aime toujours mais également surpris par certaines notes aromatiques et d’autres fruitées qui, finalement créaient un ensemble poudré et tout à fait inédit. Je l’ai senti et re-senti de nombreuses fois et il m’a énormément attiré sans que je franchisse vraiment le pas. Je ne m’explique pas pourquoi car il est tout à fait magique et je l’ai senti porté. J’ai trouvé que c’était vraiment une très très belle création. J’aime particulièrement l’association chypre et poudré. « Chypre Rouge » est tout à fait au centre de ma zone de confort même s’il est vraiment atypique. Je ne sais pas si ce parfum existe toujours mais, si vous croisez sa route, n’hésitez pas à le découvrir.
Ce n’est que récemment que j’ai découvert « Chêne » créé par Christopher Sheldrake en 2004 tout simplement parce que j’ai deux amis qui se sont mis à le porter et je me suis rendu compte que, malgré son nom d’une évidente simplicité, c’était un parfum très complexe, élégant et complètement hors-norme. Boisé certes, il me fait vraiment penser à l’odeur de la feuille de chêne lorsqu’elle est encore sur l’arbre mais avec des notes un peux miellées et amères à la fois. Je pense que le chêne est difficile à utiliser mais qu’il a du être remplacé dans cette composition par du cèdre. J’identifie également une note que j’aime c’est l’immortelle. J’adore sentir « Chêne » sur ces deux amis. Je trouve qu’il leur va super bien. En revanche, je l’ai essayé et, sur moi, ce n’est pas vraiment une réussite. Je l’éteint complètement. Tout comme « Chypre Rouge », je ne suis pas certain qu’il existe encore mais je suis ravi de l’avoir découvert.
Créé en 2004, « Vétiver Oriental » toujours par Christopher Sheldrake, avait disparu pendant quelques années avant de ressortir il y a deux ou trois ans. Je me le suis remis en mémoire et me suis rendu compte que je l’aimais beaucoup. Comme son nom l’indique, c’est un travail autour du vétiver mais il est construit d’une manière à la fois ambrée, ronde et poudrée. Je pense qu’il doit y avoir une note d’ambre gris et de ciste qui lui donnent une certaine profondeur. Par rapport aux autres parfums que j’ai cité, « Vétiver Oriental » est peut-être un peu plus classique mais je dois dire que je l’aime beaucoup. Il est dans la lignée (sans vraiment lui ressembler) du parfum de Cartier « Le Baiser du Dragon », c’est à dire opulent, arrondi et très très addictif. Je me prend à le sentir très souvent lorsque je flâne dans une parfumerie. Un seul défaut, sa tenue qui est relativement courte.
En 2013, Christopher Sheldrake crée « la Fille de Berlin » sur laquelle je ne m’étais jamais arrêté sans doute à cause de son nom qui me faisait imaginer qu’il n’était pas du tout pour moi puis nous avons participé à lancement pour la marque et la démonstratrice me l’a fait essayer et elle a eu raison. Sur le papier il n’avait rien pour me plaire vu qu’il est construit autour d’une rose chyprée avec un côté « feuille de rosier » ou tout du moins l’idée que je m’en fait. Je ne sais plus vraiment pourquoi ce parfum porte ce nom mais la personne me l’avait expliqué. J’ai porté, à cette occasion, cette fragrance toute la journée et j’en ai retiré beaucoup de plaisir. Pour moi, « la Fille de Berlin » est l’une des dernières créations que je trouve vraiment intéressante. Je suis beaucoup mois attiré par tout ce qui est sorti depuis dans la marque. Je l’ai re-senti récemment et j’ai retrouvé le même plaisir. C’est l’une des roses du marché de la parfumerie que je pourrais porter.
J’aurais pu, bien évidemment explorer d’autres parfums Serge Lutens car il y en a beaucoup mais j’en ai déjà évoqué pas mal au fil des articles. De plus, je ne suis pas très convaincu par la politique de la maison (et de Shiseido qui se cache derrière) qui consiste à multiplier les points de vente et, de ce fait, de produire plus avec une concentration bien inférieure à ce qu’elle était. En outre, le packaging noir des flacons vendus en chaîne ne me plait pas beaucoup. Je le trouve cheap. Ceci dit, Serge Lutens reste une marque qui rencontre un grand succès et je peux le comprendre car j’ai aimé porter les deux parfums que j’ai acquis. J’étais moins séduit par « Ambre Sultant » mais c’est une histoire de goût. Accessibles dans les parfumeries du circuit sélectif, la plupart des parfums Serge Lutens sont à découvrir même si la baisse de qualité tant au niveau des nouvelles créations tant au niveau de la création que de la tenue est un peu navrante.