Signé Jean-Claude Ellena
Jean-Claude Ellena est l’un des rares parfumeurs qui, alors qu’il est en activité, est une référence absolue . Doté d’une signature très identifiable, même si, parfois, il fait quelques entorses à son style, avec des formules courtes, épurées, impressionnistes et finalement aquarelle, cet « écrivain d’odeurs » a inventé nombre de chefs-d’oeuvre de la parfumerie moderne. Je dois dire que j’aime beaucoup son univers olfactif et je lui avais d’ailleurs déjà consacré un portrait. J’ai décidé de parler à nouveau de son travail à travers quatre parfums que je porte ou que j’ai porté avec un plaisir toujours immense et parfaitement intact. Lorsque je remets mon nez dedans, je suis tellement séduit que je me suis dit que je ne pouvais pas faire moins que de les évoquer avec vous. Je vous emmène donc dans le charme discret des parfums de Jean-Claude Ellena et j’espère que vous aimerez autant que moi son magnifique travail.
Le premier parfum qui me vient à l ‘esprit est l’une des réalisations que Jean-Claude Ellena a faite pour L’Artisan Parfumeur. Il s’agit bien évidemment de « Bois Farine », lancé en 2003, que je ne trouve pas forcément emblématique de son style mais qui ne ressemble à rien d’autre. « Un accord de bois blancs et d'iris délicatement poudré, inspiré par le parfum d'un arbre de la Réunion aux accents de farine et de pâte à gâteau ». Certes, ce parfum est un peu gourmand et poudré mais pas forcément comme on l’entend d’habitude. Pour moi, il évoque un côté farine, bien évidemment, légèrement sucré mais surtout très poudré en évitant l’écueil d’être très irisé ou très rose. Il est très difficile de le décrire. Je trouve qu’il est, à la fois, très sec, comme un bois fraîchement scié, très doux et baumé avec presque une facette laiteuse, et particulièrement singulier. « Bois Farine » ne sera pas le parfum de tout un chacun et la marque évoque assez peu la pyramide olfactive. Elle ne parle que blé et de muscs. Je dois dire que j’ai porté ce parfum et que j’ai du y renoncer, non pas parce que je ne l’aime pas mais car il est, en fait, tellement particulier que je ne savais pas vraiment quand j’aurais l’occasion de l’avoir autour de moi. À mon sens, « Bois Farine » est à la fois un objet non identifié dans la marque, dans les créations de Jean-Claude Ellena mais aussi dans toute la parfumerie. Attention, il est devenu difficile à trouver et à sentir. Il n’est disponible que dans les boutiques L’Artisan Parfumeur et sans doute sur le site de la marque. Il faut vraiment le découvrir car, devenu très confidentiel, c’est un parfum unique et iconique.
La seconde création date de 2019 et a été éditée dans la collection de Grasse de Perris Monte Carlo. Il s’agit, bien évidemment, de « Jasmin de Pays » que j’ai énormément porté à ma grande époque où j’étais en quête d’un solinote idéal. J’avais beaucoup aimé « Madagascan Jasmine » créé par Michel Roudnitska pour la marque australienne Grandiflora mais je ne le trouvais plus en France alors je cherchais et Gian Luca Perris m’a suggéré l’une des nouveautés de sa marque. Je dois dire que j’ai été bluffé par « Jasmin de Pays » qui, une fois de plus, donne une lecture de la fleur comme je ne l’avais jamais sentie. Je m’attendais à un parfum un peu vert et presque frais et transparent mais ce n’est pas tout à fait ça. Jean-Claude Ellena le décrit ainsi : « J’ai pour le jasmin une dévotion qui me vient de mon enfance à Grasse. Enfant, à l’aube je cueillais une à une entre le pouce, l’index et le majeur, la fleur de jasmin d’un blanc transparent de porcelaine, son odeur tendre, verte et légère m’enivrait. Vers midi, les derniers pétales de craie blanche embaumaient une odeur chaude de fleur d’oranger. Les fleurs oubliées et jaunies exhalaient le soir venu des senteurs fauves, animales et profondes. Si son odeur variait au rythme de la journée, son caractère ne changeait pas. Il y avait dans cette prise de conscience, œuvre de la nature, suffisamment d’informations pour penser autrement le parfum et jouer avec ses éléments existants et varier les effets, afin que le parfum soit unique et demeure éternellement jasmin ». C’est une composition très solinote mais pas seulement qui s’ouvre avec un jasmin de Grasse absolument magnifique qui s’enrichira de notes de cou de girofle au coeur et de muscs blancs en fond. Je lui trouve presque des notes amandées aussi sur ma peau. Il est absolument incroyable. C’est mon jasmin sans aucun doute. Ce n’est pas un pur floral, il se fait déroutant, profond et, finalement, sophistiqué. En revanche, je ne retrouve pas les notes animales qui peuvent parfois me gêner dans ce genre de composition. Pour moi, « Jasmin de Grasse », c’est carton plein.
Je ne parlerai pas des parfums réalisés par Jean-Claude Ellena pour Hermès car il y en a beaucoup et cela mériterait sans aucun doute un article dédié à cette période. J’ai donc décidé de me plonger dans les très belles créations qu’il a composé pour Les Éditions de Parfums Frédéric Malle. J’ai un peu triché car je n’en n’ai porté aucune jusqu’à présent et il faut bien dire que ça arrivera peut-être dans l’avenir d’autant qu’il a signé le prochain qui sortira en octobre je crois. Il aura pour nom « Heaven Can Wait » et je crois que ce sera un travail autour de l’iris et de la prune. Je vous en parlerai prochainement. Mais j’anticipe, revenons au parfum que j’ai choisi pour évoquer la collaboration de Jean-Claude Ellena avec Frédéric Malle. Il s’agit de « Angéliques Sous La Pluie » autour duquel je tourne depuis fort longtemps. Lancé en 2000, il est d’une délicatesse et d’une fraîcheur rarement égalée. Dès l’envolée de baies de genièvre, de poivre rose et de bergamote, je suis séduit. Le coeur, presque croquant, d’angélique m’a réconcilié avec cette plante que je n’aimais pas vraiment au début de mon intérêt pour la parfumerie. Le fond se fait un peu poudré avec du bois de cèdre et des muscs blancs. « Nature impressionniste… Quelques fleurs d’angélique piquées d’une touche de baies de genièvre, poivre rose, et bergamote. La vibration claire du cèdre, et la tendresse du musc blanc. Des nuances de mauve et de gris, un peu délavées, et rendues floues par la pluie. Un tableau couvert de rosée, fragile. Une aquarelle à la fraîcheur épicée. …Une beauté imparfaite… ». C’est sa dilution qui fait le charme de ce parfum et aussi son manque de tenue sur ma peau. C’est un peu pour cela que je n’ai jamais franchi le cap. J’ai adoré cette composition dès que je l’ai essayée il y a bien longtemps. Pour moi, « Angéliques Sous La Pluie » n’en demeure pas moins l’une des plus belles fragrances de la marque.
Il ne m’est absolument pas possible d’évoquer le travail de Jean-Claude Ellena sans parler de l’un de mes plus grands regrets car il a été, hélas, trois fois hélas, discontinué il y a déjà quelques années. Il s’agit de « Bois d’Iris » que le parfumeur avait créé en 2000 pour sa marque de l’époque The Different Company. Pour moi, et je pèse mes mots, c’était l’un des plus beaux travails autour de l’iris qui m’est été donné de découvrir et de porter. « Jean-Claude Ellena propose un travail différent en mélangeant l’Iris et le Bois. Un Iris androgyne et moderne pour une fragrance élégante et sobre. L’Iris Pallida, le fastueux, celui qui recèle la plus grande richesse en molécules odoriférantes, ne veut que cette terre de douceur et de sècheresse rocailleuse. L’Iris cache ses merveilles olfactives dans ses racines. Elle les cache tellement bien qu’il faut plusieurs années de soins et de traitements complexes pour s’en emparer : plantation, binage fréquent et manuel pour ne pas blesser les rhizomes, récolte trois ans plus tard, triage, décorticage, rinçage et suivi d’un mois de séchage sur des sacs de jute, puis concassage et meulage en usine. La poudre qui en résulte six ans plus tard, est distillée à la vapeur après avoir macéré dans l’eau froide. Elle va donner l’essence d’Iris ou beurre. De cette substance crémeuse, à son tour distillée, naît alors un trésor, une splendeur hors de prix, l’absolue ». Pour mon goût, ce parfum est l’un des plus équilibrés qu’il m’est été donné de découvrir et de porter énormément. Après un départ de géranium et de bergamote, le coeur légèrement poudré et un peu cuiré d’iris et de narcisse vient prendre toute sa place en des effluves élégantes, raffinées et qualitatives puis le socle de vétiver, de muscs blancs et de bois de cèdre m’enveloppent et m’emmènent dans une époque où le terme de parfumerie de niche avait un vrai sens. J’aurais pu parler de « Osmanthus », « Bergamote » ou encore « Rose Poivrée », les très beaux « rescapés » de l’origine de la marque mais mon goût pour « Bois d’Iris » m’a simplement emporté vers la nostalgie.
Ces quatre parfums sont, pour moi, quelques illustrations de l’immense talent de Jean-Claude Ellena, pour moi, digne hériter d’Edmond Roudnitska (même s’il y en a d’autres), le père de la parfumerie moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Je trouve que son talent a su traverser les décennies et que rien n’est jamais acquis pour lui comme pour les passionnés qui aiment travail. Tout est toujours à faire et, à chaque nouvelle création, il me surprend énormément.
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