Passion Parfums

Qu’elles soient naturelles ou issues de la synthèse, les molécules odorantes constituent la palette du parfumeur et elle n’a cessé de s’enrichir depuis la fin du XIXème siècle alors que des maisons comme L.T. Piver, Guerlain ou encore Coty ont osé utiliser plus largement la chimie dans leurs formules et l’assumer. Aujourd’hui, l’Ifra interdit ou limite de plus en plus l’utilisation de certaines matières natures pour plusieurs raisons. La première, et elle est tout à fait louable et même essentielle est la protection animale. Ainsi, par exemple, l’utilisation du musc de tonkin ne tue plus le chevretin du Tibet et c’est la moindre des choses. C’est également le cas pour tous les autres animaux et je ne peux que trouver ça formidable. La seconde a également une fonction de préservation d’une flore un peu rare dont il faudrait relancer la production avant d’en utiliser fleurs, feuilles, rhizomes ou autres parties. La troisième est plus sujette à caution puisqu’il s’agit de limiter les allergènes potentiels. Dans l’idée, cela semble une bonne idée mais comment expliquer que des matières naturelles utilisées depuis des décennies soient considérées subitement comme faiseuses de réactions cutanées ? J’explique cela en introduction car je voulais parler de la synthèse dans son ensemble. Elle est utilisée pour diverses raisons et l’une d’elle est de remplacer des matières naturelles interdites, trop coûteuses (alors que quelques fois les manipulations pour en obtenir la senteur par la chimie coûtent également très cher comme c’est le cas de l’iris par exemple). Mais les molécules de synthèse ont aussi un autre but, celui d’apporter au parfumeur des notes inédites ou impossibles à capturer dans la nature. Ainsi, de nombreux parfums ont pu voir le jour. Si la plupart des parfumeurs ont eu envie, et je le comprends d’allier les deux afin de créer des facettes différentes à leurs jus et de sublimer les matières naturelles, d’autres, dans un parfum ou deux ou dans toute une collection ont pris le parti de créer uniquement à partir de la chimie. J’ai trouvé intéressant l’aller mettre mon nez dans certaines créations et de voir si elles me plairaient. J’en ai retenu quatre et j’espère en parler assez bien pour susciter votre intérêt. J’ai fait pas mal de recherches sur le sujet mais je ne suis ni chimiste ni parfumeur alors j’espère que vous me pardonnerez mes approximations.

Il existe chez Excentric Molecules, 14 créations à ce jour uniquement basées sur le travail de la synthèse. Il s’agit là d’une marque allemande crée en 2006. J’en ai senti plusieurs car j’avais du glaner des doses d’essai lors d’achats parisiens et j’ai retenu « Molecule 01 » créé par Geza Schoen en 2006. Le parfumeur en parle ainsi : « Petite révolution : pour la première fois, un parfum est créé en hommage à une molécule chimique de synthèse. Il s’agit de l’Iso E Super, un composant aux notes boisées, douces et sensuelles que l'on retrouve très souvent dans les parfums mais à faible dose. La formule de Molecule 01 est surdosée puisqu’elle en contient 100% ! ». Sur ma peau, le parfum est particulièrement étonnant. Il a quelque chose de tout à fait agréable dès le début. Il est complètement linéaire et je le trouve très boisé mais doux à la fois, comme un cocon. Pour moi, il est tout de même vraiment masculin et j’aime beaucoup son côté un peu « brûlé » et profond à la fois. Il rappelle un peu plusieurs bois utilisés en parfumerie et notamment le bois de réglisse et le chêne (en tout cas, c’est comme ça que je le ressens) et il a un côté très agréable sans pour autant être un coup de coeur. De plus, je trouve sa tenue très limitée. Ceci dit, c’est également une curiosité à découvrir.

Lorsque j’ai découvert Aether il y a quelques années, j’avoue avoir été pour le moins dérouté. Nicolas Chabot qui a fondé cette marque en 2016 souhaite « rendre hommage » aux molécules de synthèse car il considère qu’elles sont souvent reléguées au second plan lorsqu’elles sont utilisée au sein de compositions parfumées. Il a donc lancé également 14 parfums à ce jour et a demandé à des parfumeurs tels Amélie Bourgeois, Anne-Sophie Behaghel, Amelie Bourgeois, Rodrigo Flores-Roux, Nicolas Beaulieu et Beverley Bayne de se pencher sur son projet pour créer des fragrances uniquement issues de la chimie. J’avoue que le résultat est parfois très réaliste et reproduit des senteurs naturelles mais que d’autres jus sont complètement abstraits et ouvrent un tout nouvel univers olfactif. J’avais plusieurs doses d’essai et je me suis arrêté sur « Celluloïd » créé en 2016 par Amélie Bourgeois et que la marque décrit ainsi : « Le plastique comme nouvelle inspiration, le celluloïd est la toute première matière plastique artificielle, qui a notamment servi dans l'industrie cinématographique à la production des pellicules. ». Contrairement à certains autres parfums de la marque je lui trouve une certaine évolution et je dois dire que j’aime bien. Ce parfum est assez enveloppant et le départ très agrumes rappelle un peu l’amertume du pamplemousse. Je n’ai pas pu identifier de notes de coeur si ce n’est un aspect un peu poudré, presque violette et « noyau de cerise » à la fois et un fond d’ambroxan et d’une autre molécule qui rappelle vraiment le patchouli. C’est vrai qu’il y a un côté un peu « plastique » ou mieux encore, bakélite, comme les vieux téléphones. Très honnêtement, j’ai bien aimé ce parfum et je pourrais le porter. Je ne sais pas si je franchirai le pas d’un full size mais il est très intéressant.

 

 

 

Il était tout de même logique que je vous parle de « Not a Perfume » créé pour Juliette Has a Gun en 2010 mais je l’ai essayé et, très honnêtement, j’ai trouvé qu’il ne sentait pas grand chose. J’ai alors opté pour « Not a Perfume Superdose » lancé en 2019 qui est la version intense. La marque décrit l’original par ces mots : « Not a Perfume est une fragrance composée d'un seul et unique ingrédient, le Cétalox. Habituellement relégué au second rôle dans les formules, il joue ici le rôle principal... Un des seuls parfums du marché ne comportant aucun allergène… » et le « Superdose » ainsi : « La même fragrance mais overdosée. Un plaisir pour tous les fans de Not a Perfume et ceux pour qui le parfum ne ressortait pas assez… Superdose garde évidemment son ADN propre, élégant et pur laissant un sillage encore plus puissant. Un nom explosif pour un parfum qui ne l’est pas moins ». Personnellement, je ne connaissais pas l’odeur du cétalox mais le résultat sur ma peau est un boisé frais et musqué qui sent le propre. Il est très muscs blancs et se développe très peu et je trouve tenue et sillage relativement modérés. Très franchement, je ne suis pas séduit. Il y a quand même un côté gadget et je trouve que, s’il est agréable à sentir, rien en ce parfum ne m’arrête suffisamment pour le réessayer. Il y a d’autres fragrances que je trouve plus intéressantes chez Juliette Has a Gun même si la marque est un peu éloignée de ma zone de confort et de mes goûts. Ceci dit, j’ai été content de tenter l’expérience car j’entendais énormément parler de « Not a Perfume » et de « Not a Perfume Superdose » et je voulais me faire mon idée.

 

 

 

Pour conclure, je dirai que si les parfums uniquement construits en molécules de synthèse peuvent être agréables, il leur manque souvent (exception faite il faut bien l’avouer de « Musc Tonkin » qui est très étonnant) un petit je-ne-sais-quoi de profondeur qui fait qu’ils accrocheraient mieux mon nez. Je ne suis pas forcément un adepte du tout naturel mais j’aime bien l’idée d’une composition qui ne s’interdit rien et qui élargit notre plaisir olfactif au lieu de le restreindre. Ceci dit je salue la prouesse technique et artistique que représente ce challenge.