Passion Parfums

L’un des rares fruits (hormis les agrumes) à être utilisé en parfumerie sous une forme naturelle est le cassis. Enfin, c’est surtout son bourgeon qui est exploité. J’ai eu l’occasion de sentir l’odeur âcre de la matière première une fois qu’elle a subi des transformations pour devenir un absolu et, le moins que l’on puisse dire, c’est que son odeur n’est pas agréable. Pourtant, associée à d’autres matières premières, synthétiques où naturelle, le bourgeon retrouve l’odeur un peu acidulée de la baie de cassis telle qu’on peut la trouver dans la nature ou encore dans les sorbets ou les confitures. Je trouve que c’est une effluve caractéristique. Je pensais ne pas vraiment connaitre de parfum dont la note dominante est le cassis mais c’est en regardant la vidéo sur le sujet de Clotilde, de la chaine YouTube Iris Factice que j’ai découvert que, finalement, j’aimais bien cette note et surtout qu’elle offrait des tas de possibilités. J’ai donc choisi cinq créations dans lesquelles, le cassis est bien présent mais également dans lesquelles il est travaillé de très différentes manières.

 

Le bourgeon de cassis

Le premier est, évidemment, « Chamade » créé en 1969 par Jean-Paul Guerlain dont j’avais déjà parlé dans mon portrait du parfumeur, volontairement sans évoquer la note de cassis qui est pourtant omniprésente du coeur au fond mais qui est surtout là, à mon sens, pour donner du « peps » au parfum. Lorsqu’on le sent, on ne l’identifie pas forcément car on est submergé par les versants à la fois fleuris, ambrés, vanillés et épicés du parfum. Pourtant, et je l’ai senti récemment, lorsqu’on y pense, on retrouve tout à fait le côté acidulé du cassis qui vient contrebalancer de manière « très efficace », les notes suaves et qui, de ce fait, rend cette création tout à fait équilibrée et jamais too much. Avant de vouloir écrire mon article sur Jean-Paul Guerlain, je n’avais jamais vraiment senti « Chamade » et, lorsque je l’ai découvert, je me suis surtout attaché à son côté oriental fleuri contrebalancé par des notes aldéhydées et salées mais, lorsque j’ai un peu insisté, j’ai parfaitement identifié une dualité entre l’amertume de la jacinthe et le côté acidulé du cassis. Il avait donc sa place dans ce top.

 

 

« First » de Van Cleef & Arpels, créé en 1976, fut sans doute l’un des premiers grands parfums de Jean-Claude Ellena. Il le décrit souvent comme l’un des derniers « classiques » avant l’avènement de « Opium » d’Yves Saint-Laurent qui va être, nous l’avons vu, une petite révolution dans le milieu de la parfumerie et influencera nombre de nez pour revoir leur copie sur les fleuris et les orientaux. Mais revenons à « First ». Je dois dire que c’est un féminin que j’aime beaucoup et je sens la note de cassis dès l’envolée alors qu’elle est associée à la bergamote, la framboise et la pêche. Elle reste présente lorsque le parfum s’enrichit, au coeur d’accents d’oeillet, de tubéreuse, d’orchidées, d’iris et d’ylang ylang et est, une nouvelle fois associée à la jacinthe. Je trouve que l’association de ces deux notes est vraiment très riche et qu’elle s’harmonise bien avec le fond de vanille, d’ambre, de fève tonka et de mousse de chêne. J’ai re-senti « First » plus que récemment et je dois dire que je trouve qu’on remarque bien qu’il est antérieur à l’écriture épurée qu’affectionne Jean-Claude Ellena et qui est devenu sa signature. Ici, beaucoup de notes et une harmonisation, un équilibre difficile à obtenir et pourtant c’est une réussite.

 

 

Je ne pense que très rarement sur les créations vendues en parapharmacie de Roger et. Gallet et j’ai sans doute tort car on peut y trouver des pépites. En 2017, la marque a surfé sur la vague des collection privées et a sorti ce qu’elle a appelé d’une manière un peu étrange les Extraits de Cologne. Créé par Élise Benat, « Cassis frénésie » a été, d’emblée, celui que j’ai préféré car je trouve que, vraiment, on retrouve le côté pétillant de la petite baie et qu’il est un quasi solinote. Bien évidemment, j’identifie bien un départ de poivre et de bergamote, un coeur aromatique dans lequel il doit y avoir de la lavande et un fond presque légèrement cuiré mais le cassis demeure omniprésent, délicieux, comme une petite réminiscence de l’enfance et de ceux qu’on a pu cueillir dans un jardin. Pour être honnête, j’ai vraiment beaucoup aimé « Cassis Frénésie » que je n’ai pas du tout trouvé ni cheap ni convenu. Je trouve que c’est un joli parfum pour l’été et qui mérite bien d’être découvert.

 

 

 

Comment parler de cassis sans revenir sur cette « Eau de Charlotte » créée par Annick Goutal en 1982 et qui reste, à mon sens, l’une des plus belles fragrances du genre. Je l’ai re-sentie hier et j’ai trouvé, comme toujours, que l’association acidulée de ce précieux petit bourgeon avec la bergamote et le lys au départ qui viennent se mêler aux notes poudrées du mimosa et gourmandes de la vanille et de la fève de cacao en font un parfum délicieux, addictif et tout à fait singulier. Cette « Eau de Charlotte » a, hélas, été reformulée et la version de Goutal Paris est légèrement différente de celle dont je me souvenais et que j’aimais beaucoup mais elle reste vraiment un joli parfum. Je trouve que la note de cassis apporte à ce jus la fraîcheur et un côté presque pétillant qui lui feraient vraiment défaut dans le cas contraire. Lorsqu’elle a appris la parfumerie à Grasse, Annick Goutal a su inventer ce genre de parfum complètement à contre-courant avec ce qui se faisait à l’époque puis, en s’adjoignant l’aide d’Isabelle Doyen, ses créations se sont faites de plus en plus riches et, tout en restant épurées, leurs signatures conjuguées ont vraiment lancé un style.

 

 

J’ai gardé, non pas le meilleur car ce serait arbitraire, mais mon préféré pour la fin. Je l’ai dit dans un article sur mes découvertes durant cette période difficile, « Sublime Balkiss », créé en 2008 par Céline Ellena Nezen a été vraiment une très belle surprise. Je ne le connaissais pas vraiment et je ne m’attendais pas à cela. Chypré, floral à fruité à la fois, il associe un départ de bergamote et de violette à un coeur de jacinthe, de rose et de cassis pour aller vers un fond de patchouli, de bruyère qui remplace la traditionnelle mousse de chêne et de fève amère de cacao vraiment surprenante. Pour moi, ce parfum est un parfait exemple d’équilibre et d’élégance tout en gardant une singularité qui ne le fait ressembler à rien d’autre. En le citant à nouveau, je pourrais radoter mais tant pis. Il est parfaitement à sa place en tête de ce top cassis car, vraiment, il me plait énormément et j’irai jusqu’à dire que c’est le seul de ma sélection qui me ferait sans doute franchir le pas pour prolonger l’été en septembre.

 

 

Nous l’avons vu ensemble, le cassis est une note vraiment riche et intéressante qui peut, soit, en solinote, nous donner de l’énergie, soit équilibrer une composition plus complexe. Je suis très content de m’être penché sur ce petit bourgeon et vraiment, je remercie Clotilde de m’en avoir donné l’idée. J’espère que je ferai de nouvelles découvertes autour de cette note très naturelle et je ne manquerai pas de vous en parler.